Par un jugement du 2 février 2021, le tribunal administratif de Toulouse, saisi sur la question de la propriété de certains biens à la commune de Toulouse ou à une association, a été amené à se prononcer sur les conditions dans lesquelles une convention de subvention peut se voir qualifier en marché public ou en contrat de concession de service public (TA de Toulouse, 2 février 2021, Commune de Toulouse, n°2005649).

Dans les faits, le conseil municipal de Toulouse a créé le 18 mai 1978 la galerie photographie du Château d’eau qui a été exploitée en régie directe par la commune jusqu’en 1985.

La commune a alors chargé, par plusieurs conventions, l’association PACE La photographie au Château d’exploiter la galerie jusqu’au 1er janvier 2020, date à partir de laquelle la commune a repris l’exploitation en régie directe.

En conséquence, la commune de Toulouse a effectué une action en revendication pour obtenir que l’association lui remette les fonds photographiques et documentaires et les œuvres exposées.

La commune considère en effet que les conventions d’objectifs passées avec l’association étaient des délégations de service public et que les biens revendiqués sont donc des biens de retour.

A tous égards, on rappellera que les biens de retour, en vertu de l’article L. 3132-4 du code de la commande publique, sont notamment les biens meubles qui résultent d’investissements du concessionnaire et qui sont nécessaires au fonctionnement du service public. Et, dans le silence du contrat, ils sont et demeurent la propriété de la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition.

Dès lors, la qualification des conventions d’objectifs conclues entre la commune et l’association avait son importance puisqu’elle conditionnait la qualification des biens en cause.

Cependant, l’association considère, quant à elle, qu’il s’agissait de conventions « classiques » de subvention et que les biens en question demeuraient donc sa propriété.

En l’état, il appartenait donc au juge administratif de se prononcer sur la qualification des conventions conclues – conventions d’objectifs, marché public ou concession de service public – pour en déduire la propriété des fonds photographiques et documentaires.

Qualification d’une convention de subvention en marché public

Qualification d’une convention de subvention en marché public

Rappel sur la définition de subvention, de marché public et de délégation de service public

En premier lieu, rappelons que concernant la définition de la subvention, l’article 9.1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose que :

« Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires ».

Constitue donc une subvention :

  • Une aide quel que soit sa nature ;
  • Accordée par une autorité administrative ou un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial ;
  • Motivée par un objectif d’intérêt général ;
  • Destinée à
    • La réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement,
    • La contribution au développement d’activités,
    • La contribution au financement global de l’activité du bénéficiaire.

L’article 10 de la loi du 12 avril 2000 dispose également que :

« L’autorité administrative ou l’organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial mentionné au premier alinéa de l’article 9-1 qui attribue une subvention doit, lorsque cette subvention dépasse un seuil défini par décret, conclure une convention avec l’organisme de droit privé qui en bénéficie, définissant l’objet, le montant, les modalités de versement et les conditions d’utilisation de la subvention attribuée ».

Toute subvention dépassant un montant de 23.000 euros (décret n°2001-495 du 6 juin 2001) devra donc faire l’objet d’une telle convention.

En deuxième lieu, concernant la définition de la délégation de service public, le jugement du Tribunal administratif de Toulouse expose :

« D’une part en vertu des textes applicables aux dates des différentes conventions et repris par les dispositions de l’article L.1411-1 du code général des collectivités territoriales et de l’article L.1121-1 du code de la commande publique, doit être qualifié de délégation de service public un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, et dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service ».

Constitue donc, pour mémoire, une délégation de service public :

  • Un contrat conclu par une personne publique ;
  • Confiant la gestion d’un service public à un délégataire public ou privé ;
  • Et dont la rémunération est substantiellement liée à l’exploitation du service, ce qui signifie qu’il y a un transfert de risque d’exploitation.

Enfin, en troisième lieu, concernant la définition du marché public, le jugement du Tribunal administratif de Toulouse expose :

« D’autre part, en vertu des dispositions du code des marchés publics en vigueur à la date des premières conventions et telles que reprises par le code de la commande publique dans ses articles L.2 et L. 1111-1, doit être qualifié de marché public un contrat conclu à titre onéreux par une personne publique en vue d’acquérir des biens, travaux ou services dont elle a besoin, et qui stipule une rémunération ou un prix ayant un lien direct avec la fourniture d’une prestation individualisée à la collectivité contractante ou avec l’entrée de biens dans son patrimoine ».

Constitue donc un marché public :

  • Un contrat conclu par une personne publique.
  • A titre onéreux.
  • En vue d’acquérir des biens, travaux ou services.
  • Prévoyant une rémunération ou un prix ayant un lien direct avec la prestation objet du marché.

En l’espèce, c’est sur ce fondement que le Tribunal administratif devait donc qualifier la nature juridique des multiples conventions conclues entre la commune et l’association entre 1985 et 2020 et partant déterminer le régime de propriété des biens en litige.

Rejet de la qualification de délégation de service public

Le juge administratif considère tout d’abord que les conventions signées entre 1985 et 2013 avaient certes pour objet de confier à l’association une mission de service public culturel.

A cet égard, reprenant la méthode du faisceau d’indices permettant de déterminer la volonté de l’administration de déléguer une telle mission de service public, issues de la décision APREI (CE, 22 février 2007, APREI, n°264541), le tribunal expose que :

« Considérant qu’indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public ; que, même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission ».

En l’espèce, le Tribunal administratif constate donc que, pour ce qui concerne les conventions conclues entre 1985 et 2013, la Commune de Toulouse :

  • A confié à l’association une activité d’intérêt général ;
  • A organisé un contrôle de l’activité de l’association ;
  • S’est impliquée dans le fonctionnement de l’association.

Les critères/indices prévus par l’arrêt APREI étant réunis, le juge constate que les conventions concernées prévoyaient de charger l’association d’une mission de service public culturel.

Cependant, pour ce qui est des conventions conclues entre 1985 et 2013 entre l’association et la commune, le Tribunal a jugé que, si la commune avait confié à l’association une mission de service public, la convention ne constituait pas pour autant une délégation de service public.

En effet, le Tribunal observe que la subvention communale couvrant la large majorité, voire la totalité, des frais de fonctionnement de l’association, elle ne transférait pas un risque d’exploitation à cette dernière.

Il ne pouvait s’agir d’une délégation de service public, de ce fait.

S’agissant des conventions conclues après 2013, le juge analyse qu’aux termes de celles-ci :

  • La commune ne fixe pas de missions à l’association et se contente de prévoir l’accompagnement des activités de cette dernière ;
  • La commune fixe quatre objectifs auxquels l’association s’engage ;
  • La commune dispose de moyens pour contrôler le respect par l’association de ses engagements ;
  • La commune ne dispose plus de représentants au conseil d’administration de l’association.

Par conséquent, le Tribunal considère que ces conventions ne prévoyaient ni de confier une activité d’intérêt général à l’association, ni un contrôle et une implication de la commune suffisante pour que les critères prévus par l’arrêt APREI soient remplis.

Elles ne peuvent donc être considérées comme confiant une mission de service public culturel à l’association.

Au final, le Tribunal administratif de Toulouse a considéré que pour l’ensemble des conventions signées entre 1985 et 2020 la qualification de délégation de service public ne pouvait être retenue.

Requalification de certaines conventions en marché public

Concernant la qualification de marché public, le Tribunal administratif distingue le cas des conventions conclues entre 1985 et 1987, de celui des conventions conclues entre 1987 et 2020.

En premier lieu, concernant les conventions conclues entre 1985 et 1987, le juge a considéré que ces dernières :

  • Prévoyaient des prestations individualisées répondant aux besoins de la commune en matière de service public culturel ;
  • Et que l’aide accordée couvrait l’entièreté des frais de fonctionnement de l’association.

Les conditions prévues par l’article L. 1111-1 du code de la commande publique sont donc remplies. En l’occurrence, l’association effectue des prestations de service au bénéfice de la commune en contrepartie d’un prix.

En conséquence, le Tribunal administratif qualifie les conventions en marché public de service.

En second lieu, concernant les conventions conclues entre 1987 et 2020, le juge a considéré que ces dernières prévoyaient des prestations individualisées, mais que l’aide accordée ne couvrant pas l’entièreté des frais de l’association, elle ne constituait pas une contrepartie de ces prestations.

Les conditions prévues par l’article L. 1111-1 du code de la commande publique ne sont donc ici pas remplies.

En conséquence, le Tribunal administratif a écarté, s’agissant de ces conventions, la qualification de marché public.

La qualification de « simples » conventions d’objectifs

Le Tribunal administratif ne retiendra la qualification de conventions de subventions qu’uniquement pour les conventions qui ont été conclues entre 1987 et 2020.

En effet, comme nous l’avons exposé ci-dessus, ces dernières ne correspondaient ni à des délégations de services publics, ni à des marchés publics.

Le Tribunal administratif a donc fait le choix de qualifier la convention de subvention par l’application négative des critères de qualification des marchés publics et des délégations de service public.

En d’autres termes, au regard des faits en litige, la convention de subvention sera qualifiée lorsqu’on ne pourra, ni la requalifier en marché public, ni la requalifier en délégation de service public.

Concernant la qualification juridique des fonds photographiques et documentaires en litige, le Tribunal administratif constate que les marchés publics concluent entre 1985 et 1987 ne prévoient pas l’acquisition de quelconques biens.

En conséquence, cette prestation n’étant pas prévue dans le prix du contrat, la commune n’a aucun droit de propriété sur les biens acquis, durant cette période, par l’association.

Ensuite, concernant les conventions d’objectifs conclues entre 1987 et 2020, l’attribution d’une subvention, et l’utilisation de cette subvention pour l’acquisition de biens, n’accordent aucun droit de propriété à l’attributaire sur ces derniers.

En conséquence, la commune n’a aucun droit de propriété sur les biens acquis par l’association entre 1987 et 2020.