Par une décision du 27 juin 2024, la Cour de cassation (Cass, Civ, 3e, 27 juin. 2024, n°22-24.502) revient sur l’indemnisation du bailleur en cas de dégradation des locaux par le locataire lors de la restitution des lieux.

Cet arrêt précise que le bailleur est tenu de prouver l’existence d’un préjudice résultant d’une faute contractuelle du preneur pour obtenir réparation lors de la restitution du local.

Cela implique concrètement qu’en cas de dégradation des locaux par le preneur, le bailleur ne peut obtenir d’indemnisation qu’à la condition de justifier d’un réel préjudice. Un tel préjudice pourrait ainsi résulter des frais supportés par le bailleur pour remettre en l’état les locaux, d’une baisse de la valeur locative liée à l’état du local, ou encore des délais supportés pour relouer compte tenu des travaux de réfaction. On précisera que ce préjudice est évalué au jour où le juge statue.

L’existence d’un préjudice ne saurait découler du seul manquement contractuel du preneur, ce qui implique que le bailleur ne peut pas se limiter à démontrer le mauvais état du local et les dégradations pour obtenir réparation.

En l’espèce, un bail commercial avait été consenti entre les parties. Le locataire a par la suite donné sa dédite et rendu les locaux. Le bailleur constatant que des travaux de remise en état étaient nécessaires a mis en demeure le locataire de lui verser un montant équivalent à celui desdits travaux, sans pour autant effectuer de travaux avant de louer de nouveau son bien.

Le tribunal judiciaire de Lille condamna le preneur au versement du montant estimé des travaux de remise en état des locaux. La Cour d’appel de Douai confirma par la suite ce jugement.

Saisie par le preneur, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif qu’elle n’a pas constaté l’existence d’un préjudice pour le bailleur résultant d’une faute contractuelle du preneur.

Cette décision est l’occasion de revoir les conditions dans lesquelles le bailleur peut solliciter réparation en cas de dégradation du local par le preneur.

Le bail commercial est régi par les articles L145-1 à L145-3 du Code de commerce. Cependant, des articles à portée générale du Code civil peuvent également lui être applicable. C’est le cas notamment de l’article 1713 du Code civil qui stipule que le preneur : « répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute ».

Il existe donc une présomption de responsabilité du preneur pour tout dommage ou perte ayant eu cours durant sa jouissance du bien. Cette présomption est néanmoins réfutable, la charge de la preuve reposant sur le preneur, à qui il appartient de démontrer que les dégradations ou pertes ne relèvent pas de sa responsabilité (Cass, Civ, 3e, 28 janv. 2004, n° 02-11.814).

Une application jusqu’alors stricte par la jurisprudence

La question centrale de l’arrêt présentement commenté ne concerne pas en réalité la présomption réfutable de responsabilité du preneur, mais a fortiori la nécessité pour le bailleur de prouver l’existence d’un préjudice. C’est sur ce point précisément que l’on pourrait avoir assisté à un revirement de jurisprudence.

En effet, dans une décision du 7 janvier 2021, aux faits similaires, la Cour de cassation avait adopté une position inverse à celle adoptée dans le récent arrêt du 27 juin 2024.

Les faits étaient analogues ; un bailleur demandait une indemnisation de son préjudice à hauteur du montant des réparations nécessaires pour la remise en état de son bien après le départ de son locataire. La difficulté résidait dans le fait que bien que des dégradations aient été constatées, le bailleur n’avait effectué aucun travaux avant de relouer son bien. La Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel de Paris sur le fondement de l’article 1732 du Code civil, précisant que :

« l’indemnisation du bailleur, à raison des dégradations qui affectent le bien loué et qui sont la conséquence de l’inexécution par le preneur de ses obligations, n’est subordonnée ni à l’exécution de réparations par le bailleur, ni à l’engagement effectif de dépenses, ni à la justification d’une perte de valeur locative » (Cass, Civ, 3e, 7 janv. 2021, n° 19-23.269).

La décision du 27 juin 2024 est-elle un revirement de jurisprudence ?

La récente décision du 27 juin 2024 (Cass, Civ, 3e, 27 juin. 2024, n°22-24.502), se fonde pour sa part non seulement sur l’article 1732 du Code civil, mais également sur les articles 1147 et 1149 du Code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Ces deux articles abrogés ont été remplacés par les articles 1231-1 et 1231-2 du Code civil au contenu sensiblement semblable.

Le nouvel article 1231-2 du Code civil en particulier prévoit que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après. »

L’utilisation en particulier de cet article 1231-2, anciennement article 1149 du Code civil peut être vu comme un tournant dans le raisonnement de la Cour de cassation. Il place en effet l’existence d’un préjudice réel subi par, dans notre cas, le bailleur, à la source du droit à réparation.

Cependant, une décision similairement motivée avait déjà été prononcée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 3 décembre 2003, qui précisément avait énoncé que « des dommages-intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (Cass, Civ, 3e, 3 déc. 2003, n° 02-18.033).

Les faits étaient également similaires dans la mesure où il s’agissait également d’un litige faisant suite à une restitution en mauvais état des locaux mis à disposition dans le cadre d’un bail commercial. Le bailleur demandait également une indemnisation de son préjudice à hauteur des frais de remise en état des locaux. La Cour d’appel de Caen avait alors rejeté la demande de dommages et intérêts du bailleur, notant que ce dernier avait pu relouer le local sans avoir dû consentir un bail à des conditions plus défavorables ni engager de frais liés à des travaux de remise en état. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi.

On peut donc se laisser à penser que bien que cet arrêt semble apparaître comme un revirement de jurisprudence, il peut en réalité s’agir d’un retour à une position précédemment adoptée par la Cour de cassation.

Étayant cette théorie, une seconde décision, portant également sur des dégradations des locaux dans le cadre d’un bail commercial, et motivée pareillement par les articles 1732, 1147 et 1149 du Code civil, a été rendue ce même jour par la Cour de cassation qui souligne de nouveau l’obligation pour le bailleur d’apporter la preuve du préjudice subi (Cass, Civ, 3e, 27 juin. 2024, n° 22-10.298).

Conclusion

S’il demeure que, conformément à l’article 1713 du Code civil, le preneur est présumé responsable de toute dégradation ou perte intervenue durant sa période de jouissance du bien, la Cour de cassation a réaffirmé le 27 juin 2024 l’obligation pour le bailleur de prouver l’existence d’un préjudice subi, étant à noter que le préjudice est évalué à la date à laquelle le juge statue.

Baptiste

Par Philippine Chapot, en collaboration avec Baptiste Robelin, associé du cabinet Novlaw en droit des affaires.

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