Enquête interne en entreprise

Enquête interne en entreprise : un sillage qui prend forme !

L’enquête interne a connu un essor significatif au cours des dernières années. Outil de gestion des différends professionnels, elle va également dans le sens de la démarche de conformité des entreprises, laquelle a pu être initiée ou renforcée avec l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2. Diverses questions se posent toutefois sur sa mise en pratique, notamment en lien avec les droits de la défense des personnes visées. Des interrogations qui tendent à se dissiper à mesures que les juges se saisissent des conditions de conduite d’une enquête interne.

Dans un arrêt rendu le 27 novembre 2024 (n°23-11.720), la chambre sociale de la Cour de cassation nous éclaire un peu plus sur les conditions dans lesquelles l’employeur conduit une enquête interne dans le respect du principe du contradictoire.

À travers cet arrêt, la Cour a jugé que l’employeur n’a nullement l’obligation de remettre au salarié et aux membres du conseil de discipline l’intégralité d’un rapport d’enquête interne diligentée pour établir la matérialité des faits reprochés au salarié, dès lors toutefois qu’il communique un dossier contenant les éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire.

Cette décision clarifie donc les obligations procédurales des employeurs et les droits des salariés concernés par une enquête interne, en rappelant que l’équilibre entre débat contradictoire et protection des intérêts de l’entreprise est au cœur de la validité des procédures disciplinaires.

Cette décision est l’occasion de revenir sur l’essor des enquêtes internes, qui ne fait pas l’objet d’une codification mais qui évolue à mesure que les juges s’en saisissent. Une évolution récente, qui comme le prouve cet arrêt, interpelle les employeurs sur le rôle central de l’avocat et de sa déontologie dans leur mise en œuvre. Cet article sera également l’occasion de rappeler que les personnes concernées par une enquête interne disposent d’un certain nombre de droits consacrés par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).

L’essor récent de l’enquête interne

L’enquête interne est un processus initié par une entité lorsqu’elle est confrontée à des soupçons d’agissements pouvant constituer une violation de ses règles internes, de la règlementation ou de la législation applicable. Non codifiée, elle fait néanmoins l’objet d’une jurisprudence dynamique, notamment depuis une jurisprudence intervenue 5 ans jour pour jour avant l’arrêt qui fait l’objet de cet article. Le 27 novembre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation posait les jalons de l’enquête interne sur le fondement de l’obligation de sécurité : « il appartient à l’employeur, avisé de faits éventuels de harcèlement, de diligenter une enquête interne afin de vérifier les allégations qui lui sont rapportées ».

L’enquête interne permet d’apprécier la réalité de faits qui sont portés à sa connaissance, d’évaluer les risques potentiels (juridiques, opérationnels, réputationnels) et de déterminer les mesures nécessaires à mettre en œuvre pour limiter ou éliminer ces risques.

L’enquête interne peut être déclenchée à la suite d’une alerte lancée par un salarié ou un tiers, d’un signalement effectué par le comité social et économique (CSE), ou encore, du fait d’éléments mis en lumière dans le cadre d’un contrôle interne ou externe.

Le mécanisme de l’enquête interne n’est pas nouveau. Les entreprises diligentent ce type d’investigations depuis longtemps dans une démarche de gestion des risques, notamment dans les domaines du droit bancaire et du droit de la concurrence.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 (loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016), les enquêtes internes se sont multipliées, la loi imposant en effet aux entités assujetties de mettre en place un programme de compliance anticorruption et en particulier « un dispositif d’alerte interne destiné à permettre le recueil des signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de conduites ou de situations contraires au code de conduite de la société » (article 17, II, 2°). Les dispositions précitées ne prévoient pas explicitement d’obligation de déclencher une enquête à réception d’une alerte. En revanche, sa mise en œuvre permet à l’entité concernée de corroborer la réalité des faits dénoncés et le cas échéant de sanctionner les manquements à la loi, à la probité, ou encore aux standards qu’elle s’est fixée, mais aussi de piloter ses risques de façon utile et stratégique. L’enquête interne, associée au programme de conformité, constitue ainsi un puissant instrument de gestion du risque.

Pour mener ces enquêtes, les entreprises se retrouvent donc confrontées à un cadre jurisprudentiel mouvant, comme en témoigne la question récurrente de la transmission ou non du rapport d’enquête interne au salarié visé.

Enquête interne et licenciement : pas besoin de communiquer tout le rapport d’enquête interne

Dans cette affaire, l’employeur avait diligenté une enquête interne afin de vérifier les faits reprochés à l’un de ses salariés, soit des connexions abusives sur le compte d’une cliente et l’utilisation de son téléphone professionnel pour la contacter.

Une enquête qui avait permis de confirmer ces faits et conduit au licenciement pour faute de ce salarié. Une synthèse du rapport d’enquête, établie par l’employeur, avait été transmise à ce salarié ainsi qu’aux membres du conseil de discipline, tel que devant être réunie suivant la convention collective nationale à laquelle l’employeur était soumis.

Un licenciement qui a donné lieu a une saisine du Conseil de prud’hommes par le salarié en vu de contester son licenciement, notamment pour défaut de communication des éléments de l’enquête avant l’entretien préalable au licenciement, le privant d’exercer ses droits de la défense. Ses demandes étaient rejetées dans un jugement rendu le 10 décembre 2021. Il en faisait donc appel.

Par décision du 14 décembre 2022, les juges d’appel confirmaient son licenciement, relevant que chacun des membres du conseil de discipline disposait d’une synthèse établie par l’employeur reprenant, d’une part, l’ensemble des éléments rapportés par les enquêteurs dans leur rapport, à savoir le nombre de connexions réalisées par le salarié sur le compte personnel de la cliente, le nombre de fois où le salarié avait pu appeler cette même cliente depuis son téléphone professionnel portable ainsi que la période concernée, d’autre part, le compte rendu de l’entretien du salarié avec le responsable de l’enquête. 

Le salarié formait alors un pourvoi en cassation en faisant valoir une irrégularité dans la procédure disciplinaire. Il soutenait donc de nouveau que l’absence de communication du rapport complet d’enquête interne avait porté atteinte à ses droits et l’aurait ainsi privé de la possibilité d’assurer utilement sa défense.

Cependant, la Cour de cassation a rejeté cette argumentation en énonçant que : « l’employeur n’est pas tenu de remettre au salarié et aux membres du conseil de discipline l’intégralité du rapport d’enquête interne, dès lors qu’il communique un dossier contenant des éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire. ».

Au même titre qu’il n’y avait pas d’obligation légale ou jurisprudentielle d’assurer le respect du contradictoire pendant l’ enquête, même si quelques précautions doivent être prises pour assurer le respect de ce principe et renforcer la force probante du rapport qui en découle (notamment, permettre au salarié concerné de désigner des personnes à interroger, l’informer des faits à l’origine de l’enquête et de tous nouveaux faits à charge apparaissant en cours d’enquête, etc.), l’employeur n’était pas soumis à l’obligation de communiquer le rapport d’enquête à l’employé, de même qu’il n’était pas tenu de communiquer les pièces de l’enquête préalablement au licenciement.

Le recul des juridictions sur la pratique des enquêtes internes qui se démocratise a permis d’avoir du recul et de faire évoluer la position des juges. Dans une affaire du 29 juin 2022 (n°20-22.220), la Cour de cassation a jugé que dans le cadre d’une enquête interne, le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire n’impose pas que le salarié ait accès au dossier et aux pièces recueillies, dès lors que la décision que l’employeur peut être amené à prendre ultérieurement ou les éléments dont il dispose pour la fonder peuvent, le cas échéant, être ultérieurement discutés devant les juridictions de jugement.

Est-ce alors à dire que la Cour de cassation opère un revirement dans cet arrêt du 27 novembre 2024 ?

Lorsqu’elle relève que « l’employeur n’est pas tenu de remettre au salarié et aux membres du conseil de discipline l’intégralité du rapport d’enquête interne, dès lors qu’il communique un dossier contenant des éléments suffisamment précis pour permettre un débat contradictoire. », elle juge que la communication intégrale d’un rapport d’enquête interne n’est pas obligatoire.

Partant, elle laisse entendre que l’employeur doit non seulement communiquer un certain nombre d’éléments issus de ce rapport au salarié préalablement à son licenciement, mais encore, ces éléments doivent présenter un caractère suffisamment précis et détaillé pour garantir un véritable débat contradictoire. Elle s’est appuyée sur les constatations de la Cour d’appel, qui a relevé que la synthèse fournie contenait « l’ensemble des éléments rapportés par les auditeurs dans leur rapport » ce qui avait ainsi permis au conseil de discipline de « discuter des faits reprochés au salarié qui étaient suffisamment précisés pour permettre l’engagement d’une véritable discussion ».

Cet arrêt du 27 novembre 2024, en permettant au salarié d’avoir connaissance d’une synthèse du rapport d’enquête interne contenant des éléments précis, semble donc franchir un cap vers le renforcement du respect du principe du contradictoire en la matière.

Le « droit de l’enquête interne » poursuit sa construction et cet arrêt en est l’illustration. Le recours à un avocat, pour l’entreprise comme pour le salarié concerné par une enquête interne, paraît donc pleinement se justifier. La déontologie de l’avocat encadre en effet largement la pratique des enquêtes internes et constitue une réelle garantie dans le cadre de ces investigations.

La déontologie de l’avocat, un indispensable pour parer aux exigences renforcées de l’enquête interne

La déontologie de la profession d’avocat constitue un garde-fou de l’enquête interne. Elle façonne en effet la manière dont elle est conduite, et ce à toutes les étapes de sa mise en œuvre. L’avocat est tenu au respect de ses obligations déontologiques, sous peine de sanctions. Parmi ces obligations figurent les principes essentiels de la profession.

L’application de ces principes dans le cadre de l’enquête interne est rappelée dans plusieurs textes, notamment le Vade-mecum de l’avocat chargé d’une enquête interne (annexe XXIV du Règlement intérieur du barreau de Paris) et le guide du Conseil national des barreaux (CNB) intitulé « L’avocat français et les enquêtes internes ».

En vertu de ces textes, l’avocat chargé d’une enquête interne se doit d’observer en toutes circonstances les principes essentiels prévus à l’article 1.3 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN). Ces principes imposent à l’avocat d’exercer ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, de respecter les principes d’honneur, de loyauté, d’égalité, de non-discrimination, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie, ainsi que de faire preuve à l’égard de ses clients de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

En pratique donc et notamment, préalablement à l’entretien, l’avocat doit expliquer sa mission à la personne visée par l’enquête et son caractère non coercitif. Il doit ainsi rappeler à la personne entendue qu’il n’est pas son avocat mais qu’il agit pour le compte de l’entreprise qui l’a missionné pour mener l’enquête. Cela implique pour le salarié la liberté de refuser de se présenter à l’entretien ou de le quitter à tout moment, sous réserve toutefois pour l’employeur d’en tirer toutes conséquences potentielles. Par ailleurs, l’avocat précise à la personne entendue qu’elle peut se faire assister ou conseiller par l’avocat de son choix et que ses déclarations et toute autre information recueillie pendant l’enquête pourront être utilisées par l’entreprise.

Outre ces principes essentiels, les textes professionnels précédemment mentionnés ont consacré le secret professionnel de l’avocat à l’égard de son client et ont estimé que les enquêtes internes sont dès lors couvertes par le secret. Le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris, dans une résolution du 13 avril 2023, a réaffirmé que les notes d’entretiens et le rapport d’enquête interne qui seraient établis par un avocat et transmis à son client sont pleinement protégés par le secret professionnel.

Enfin, les principes d’indépendance et de prévention des conflits d’intérêts s’appliquent à l’avocat lors de l’acceptation de sa mission. L’avocat ne doit être soumis à aucune pression ou influence extérieure dans l’exercice de sa mission. Il doit par exemple s’abstenir d’accepter une enquête qui le conduirait à porter une appréciation sur un travail qu’il a précédemment effectué.

Le RGPD au soutien des droits de la personne visée par l’enquête interne

Au cours d’une enquête interne, une quantité importante de données personnelles peut être collectée, telles que des informations relatives aux personnes impliquées ou aux événements ou incidents faisant l’objet de l’enquête.

Dans ce contexte, les personnes visées par une enquête interne disposent d’un certain nombre de droits issus du Règlement général sur la protection des données (RGPD). Ces droits permettent de garantir la transparence, la précision et la protection des données personnelles collectées et traitées.

Parmi eux figurent le droit d’accès aux données (article 15 du RGPD). Ce droit permet de savoir si des données personnelles sont traitées et d’en obtenir la communication dans un format compréhensible.

Par ailleurs, la personne entendue peut s’opposer au traitement de ses données à travers son droit d’opposition (article 21 du RGPD). Le responsable de traitement peut toutefois refuser d’y faire droit s’il existe des motifs légitimes et impérieux qui prévalent sur les intérêts et les droits et intérêts de la personne concernée ou si le traitement est nécessaire pour la constatation, l’exercice ou la défense de droits en justice.

Également, si les données personnelles collectées sont inexactes ou incomplètes, la personne entendue a le droit de demander leur rectification (article 16 du RGPD), garantissant ainsi l’exactitude des informations utilisées lors de l’enquête. Cependant, ce droit ne doit pas permettre la modification rétroactive des éléments contenus dans l’alerte ou collectés lors de son instruction. Son exercice, lorsqu’il est admis, ne doit donc pas aboutir à l’impossibilité de reconstituer la chronologie des éventuelles modifications d’éléments importants de l’enquête.

En définitive, l’arrêt du 27 novembre 2024 met en lumière l’importance de respecter le contradictoire dans le cadre des enquêtes internes. L’arsenal juridique les encadrant est encore en devenir tandis que les conséquences d’une violation des règles applicables peuvent être lourdes de conséquence. Dans ce contexte, le recours à un avocat permet de sécuriser la procédure et prémunir les personnes concernées, morales comme physiques, contre les risques éventuels.

Samuel

Par Samuel Guetta Avocat Associé Expert en Compliance du cabinet Novlaw Avocats,

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