La responsabilité de l’État du fait des dommages occasionnés lors des manifestations

La responsabilité de l’État du fait des dommages occasionnés lors des manifestations

Les récentes manifestations amènent à s’interroger sur la responsabilité de l’État du fait des dommages occasionnés lors des attroupements ou rassemblements, notamment aux commerces et aux restaurants (dégradation des vitrines et du mobilier, impossibilité d’exploiter l’établissement, fermeture anticipée).

Comment engager la responsabilité de l’État dans le cadre des dommages et dégradations occasionnés lors de manifestations ? Comment être indemnisé ?

Quel est le régime de responsabilité de l’État ?

La responsabilité de l’État du fait des préjudices subis lors des manifestations peut être engagée sur plusieurs fondements juridiques.

Premièrement, conformément à l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure, l’État engage sa responsabilité sans faute des dommages causés aux personnes ou aux biens, résultant de crimes et délits commis lors des attroupements ou rassemblements.

Deuxièmement, lorsque les conditions de l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies, l’État peut voir sa responsabilité sans faute engagée sur le fondement d’une rupture d’égalité devant les charges publiques lorsque son abstention d’user de ses pouvoirs de police a créé un préjudice spécial et anormal (par exemple : un secteur n’aurait pas été protégé).

Troisièmement, les victimes de dommages occasionnés lors de manifestations peuvent toujours engager la responsabilité pour faute de l’État dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police.

Comment engager la responsabilité sans faute de l’État ?

Comme indiqué, la responsabilité de l’État du fait des dommages occasionnés lors des manifestations peut être engagée sans faute sur le fondement de l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure.

L’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure dispose que « L’État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. »

Une victime peut ainsi engager la responsabilité sans faute de l’État dès lors qu’elle démontre les trois critères cumulatifs suivants :

  • La présence d’un attroupement ou d’un rassemblement, qu’il soit armé ou non (par exemple, l’établissement ou le commerce est situé sur le parcours d’une manifestation) ;
  • La caractérisation d’un crime ou d’un délit, commis à force ouverte ou par violence (par exemple, la dégradation de sa vitrine) ;
  • La présence d’un lien de causalité direct entre l’infraction et la manifestation (par exemple, la dégradation a été commise lors de la manifestation).

Préalablement, il convient de définir les notions « d’attroupement » et de « rassemblement ».

Conformément à l’article 431-3 du Code pénal « Constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public »

Les conclusions du rapporteur public Monsieur Alexandre Lallet, sous la décision du  24 juillet 2019 du Conseil d’État (n°427638) nous éclairent sur la notion d’attroupement, considérant qu’une manifestation organisée, qui se déroule pacifiquement ne peut être considérée comme un attroupement au sens de l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure.

Il ajoute que la seule altération d’une manifestation ne peut non plus amener à la qualification d’attroupement ou de rassemblement.

Pour qu’une manifestation organisée se transforme en attroupement, il est nécessaire que des groupes d’individus violents (black bloc, autonome par exemple) s’extraient de la manifestation et commettent des délits ou crimes qui sont à l’origine de dommages aussi bien sur des personnes que des biens.

Il convient de préciser que pour engager la responsabilité de l’État les dommages doivent nécessairement résulter d’un crime ou d’un délit.

La Cour administrative d’appel de Douai rappelle dans sa décision du 26 mars 2009 qu’une victime ne peut prétendre à une indemnisation de l’État lorsque son préjudice n’a pas de lien avec l’accomplissement d’une infraction (CAA Douai , 26 mars 2009, n°08DA01010).

Enfin, le juge administratif veille à ce que la victime établisse un lien de causalité « direct et certain » entre le dommage subi, la manifestation et l’agissement constitutif d’un crime ou d’un délit (CAA Nantes, 5 juillet 2013, n°11NT03064).

Le juge administratif recherche le contexte temporel et géographique du préjudice. Il veille à ce que le dommage invoqué résulte de l’attroupement.

Ainsi, si une victime invoque un préjudice dont la date ou le lieu de commission semble trop éloigné de la manifestation, il ne reconnaitra pas la responsabilité de l’État dans l’accomplissement de ce dommage (CAA Nantes, 15 décembre 2015, n°14NT01609).

Pour voir sa responsabilité exonérée, il revient alors à l’État de démontrer que les dommages ont été occasionnés par des groupes spontanés qui se sont précisément réunis dans l’objectif de commettre de tels dommages.

Il faut nécessairement que le groupe ait occasionné les dégradations dans un cadre qui s’extrait de la manifestation.

Une telle position a été retenue par le Conseil d’État le 7 décembre 2017 : « Le seul caractère organisé et prémédité des dégradations ne suffit pas à écarter la responsabilité de l’État dès lors que les dégradations avaient été commises dans le cadre de la manifestation » (CE, 7 décembre 2017, Commune de Saint-Lô, n°400801).

Dès lors que les trois conditions issues de l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure sont réunies, le juge administratif accorde aux victimes une réparation intégrale de leurs préjudices.

À ce titre, le Conseil d’État, dans son avis du 6 avril 1990 a considéré que « Il résulte des dispositions précitées, qui n’énoncent aucune restriction quant à la nature des dommages indemnisables, que l’État est responsable des dégâts et dommages de toute nature qui sont la conséquence directe et certaine des crimes et délits visés par lesdites dispositions. La responsabilité de l’État peut ainsi être engagée, sur le fondement de ces dispositions, non seulement à raison de dommages corporels ou matériels, mais aussi, le cas échéant, lorsque les dommages invoqués ont le caractère d’un préjudice commercial consistant notamment en un accroissement de dépenses d’exploitation ou en une perte de recettes d’exploitation. »

Récemment, le Tribunal administratif de Toulouse à l’occasion de deux décisions du 21 avril 2022 a condamné l’État à verser les sommes de 559.794,49 € à la Commune de Toulouse et 648.960,08 € à la Métropole de Toulouse au titre des dommages occasionnés par les manifestations des « gilets jaunes » qui se sont déroulées entre le mois de novembre 2018 et le mois de juin 2019 (TA Toulouse, 21 avril 2022, n°190448).

De ce fait, les victimes de dommages occasionnés lors de manifestations peuvent obtenir réparation de l’État sur le fondement de l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure.

Il est toutefois loisible à ces mêmes victimes d’engager la responsabilité sans faute de l’État sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques.

La responsabilité sans faute pour rupture d’égalité devant les charges publiques

Lorsque les conditions prévues par l’article L.211-10 du Code de la sécurité intérieure ne sont pas réunies, et que la victime a subi un préjudice anormal et spécial, elle peut engager la responsabilité sans faute de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques.

Pour ce faire, le Tribunal administratif de Toulouse dans sa décision du 21 avril 2022 rappelle qu’il revient à la victime de démontrer que le préjudice qu’elle subit est anormal, spécial et d’une particulièrement gravité (TA Toulouse, 21 avril 2022, n°190448).

C’est ainsi que le Conseil d’État, dans son arrêt du 30 septembre 2019, a reconnu que l’abstention de l’État à recourir à la force publique pour cesser le blocage et le déroutement de plusieurs navires par des salariés grévistes étaient de nature à causer un préjudice suffisamment grave et spécial à une compagnie de navigation, lui permettant d’engager la responsabilité de l’État pour rupture d’égalité devant les charges publiques (CE, 30 septembre 2019, n°416615).

Toutefois, il convient de préciser que dans le cadre des manifestations, le caractère anormal et spécial est parfois difficile à démontrer.

À ce titre, la Cour administrative d’appel de Nantes, dans son arrêt du 15 décembre 2015 a considéré que « Compte tenu du caractère général des manifestations et actions de cette nature déclenchées par des agriculteurs en mai et juin 2009 sur l’ensemble du territoire, un nombre important de commerces de la grande distribution ont été affectés par des incidents du même type ; que, dans ces conditions, la société ne peut soutenir qu’elle aurait subi un préjudice anormal et spécial susceptible en tant que tel d’être indemnisé sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques » (CAA Nantes, 15 décembre 2015, n°14NT01609).

Ainsi, dès lors que le préjudice est modéré ou généralisé à un groupe d’une ampleur importante, la responsabilité de l’État ne peut être retenue.

Toutefois, les victimes de dommages liés aux manifestations peuvent toujours engager la responsabilité de l’État dès lors que l’autorité compétente a commis une faute dans la mise en œuvre de ses pouvoirs de police.

La responsabilité pour faute dans la mise en œuvre des pouvoirs de police

La Cour administrative d’appel de Nantes dans son arrêt du 5 juillet 2013 considère qu’il revient à la victime du préjudice de démontrer la commission d’une faute lourde par les autorités compétentes de l’État dans l’exécution de leurs opérations de maintien de l’ordre.

Il convient de préciser que seule une faute d’une particulière gravité permet d’engager la responsabilité de l’État sur ce fondement.

Selon la Cour administrative d’appel de Douai dans son arrêt du 6 novembre 2014, une telle faute peut résulter d’une abstention des autorités compétentes à user de leurs pouvoirs de police alors même que l’action dommageable était prévisible et que l’emploi des pouvoirs de police n’était pas de nature à créer un risque sérieux de trouble grave à l’ordre public.

En tout état de cause, dès lors que l’autorité compétente commet une faute grave dans l’exercice de ses fonctions et que la manifestation crée un dommage à une personne ou à un bien, la victime peut obtenir réparation de son préjudice sur le fondement de la responsabilité pour faute de l’État.

Par conséquent, afin d’obtenir réparation, les victimes de dommages issues des manifestations peuvent engager la responsabilité de l’État sur plusieurs fondements juridiques.

Que faire pour engager la responsabilité de l’État dans ce cadre ? Comment être indemnisé du préjudice subi ?

Il convient d’adresser une demande préalable à l’État (aux préfectures) exposant les motifs et raisons pour lesquels sa responsabilité doit être engagée. Il est nécessaire de faire cette démonstration en droit et en fait.

Cette demande doit être accompagné d’une demande indemnitaire chiffrée et justifiée.

L’État disposera alors d’un délai de deux mois pour se prononcer sur cette demande.

En cas de refus ou d’absence de décision prise dans ce délai de deux mois, il faudra contester la décision de refus devant le tribunal administratif, et ce obligatoirement dans un délai de deux mois à compter du refus (express ou tacite).

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