Depuis la survenance de la crise sanitaire liée à la Covid-19, une pénurie de matériaux (bois, béton, produits métallurgiques, puces électroniques) affecte notamment le secteur du bâtiment et des travaux publics français. Les filières d’approvisionnement ont souffert des confinements successifs, et la reprise soudaine de l’activité a entraîné une hausse de prix inédite en même temps que des retards de livraison.

Ces aléas ne sont pas sans impact sur l’exécution des marchés publics, dont l’exécution se trouve bouleversée.

Une fiche technique sur le sujet a été éditée le 20 mai 2021 par la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Economie et des Finances : « Les marchés publics confrontés à la flambée des prix et au risque de pénurie des matières premières ».

En premier lieu, on rappellera que l’article 6 de l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 (qui s’applique aux contrats en cours d’exécution ou conclus durant la période courant du 12 mars 2020 jusqu’au 23 juillet 2020 inclus) prévoyait que :

  • D’une part, le titulaire d’un marché public ou d’un contrat de concession peut demander une prolongation du délai d’exécution, indépendamment de l’existence d’éventuelles clauses contraires ;
  • D’autre part, la levée des mécanismes de sanction automatique du titulaire en cas d’inexécution des obligations contractuelles.

La possibilité de suspendre ou prolonger les délais d’exécution

La fiche de la DAJ rappelle qu’outre l’aménagement des délais d’exécution par des clauses contractuelles et l’anticipation (lorsque cela est possible) d’une modification de ceux-ci, il est loisible aux acheteurs publics d’aménager les délais d’exécution lorsque des circonstances extérieures mettent le titulaire dans l’impossibilité de les respecter. En effet, les délais d’exécution peuvent être suspendus ou prolongés.

Partant, si le titulaire démontre qu’il n’est pas en mesure de respecter certains délais d’exécution, ou que l’exécution des prestations encadrées par ces délais entraînerait pour lui un surcoût manifestement excessif, il a la possibilité de demander à l’administration une prolongation de ces délais.

La non application de pénalités de retard

Rappelons que même dans le silence du contrat, les acheteurs sont libres de ne pas appliquer de pénalités de retard (CE, 9 novembre 2018, SAS Savoie, n° 413533), à la condition –classique – de ne pas octroyer de libéralité (CE, 19 mars 1971, Mergui, n°79962).

Par ailleurs, le Gouvernement a expressément demandé aux acheteurs publics (Etat, mais aussi collectivités territoriales et établissements publics) de ne pas appliquer de pénalités lorsque les retards de livraison ou d’exécution sont la conséquence des difficultés actuelles d’approvisionnement, qu’elles soient ou non directement liées à la crise sanitaire.

Outre, ce qui demeure avant tout des recommandations, les parties – en particulier le cocontractant de l’administration – pourraient se prévaloir du caractère imprévisible de la hausse des matières premières afin d’adapter les conditions d’exécution du contrat (prolongation des délais, révisions des prix, indemnisation), voire le résilier lorsque son exécution s’avère finalement impossible.

Invoquer la théorie de l’imprévision

Issue de la jurisprudence Compagnie générale d’éclairage au gaz de Bordeaux (CE, 30 mars 1916, n°59928), l’imprévision correspond à une situation dans laquelle l’exécution du contrat est compromise par un bouleversement dans son économie.

Appréciée au cas par cas, la reconnaissance d’une situation d’imprévision suppose la réunion de quatre conditions :

  • Un évènement anormal ;
  • Un évènement imprévisible ;
  • Un évènement extérieur ;
  • Un évènement temporaire (ce qui la distingue de la force majeure).

Sur le fondement de cette théorie, le titulaire d’un marché public peut, dans une hypothèse d’augmentation du prix de matières premières ou d’un composant indispensable à l’exécution des prestations (due à la guerre hier ou à la crise sanitaire et économique aujourd’hui) qui entraîne un bouleversement temporaire de l’économie du contrat, solliciter une indemnité.

L’augmentation en question doit avoir été imprévisible, dans sa survenance ou dans son ampleur. Cependant, dès lors que les prix des matières premières sont par définition soumis à des fluctuations, une indemnisation sur le fondement de la théorie de l’imprévision ne sera possible que si le titulaire établit que cette hausse était imprévisible dans son ampleur et qu’elle a entrainé un déficit d’exploitation.

Dans ce cadre, il incombe au titulaire d’apporter les justificatifs nécessaires, notamment, selon la DAJ, la preuve que l’achat des matériaux concernés était bien postérieur à la période durant laquelle le prix de ces derniers a augmenté de façon imprévisible ; voire encore que les prix fixés (par exemple aux bordereaux des prix unitaires du titulaire) pour la fourniture de matériaux l’ont été antérieurement à l’augmentation imprévisible de ceux-ci.

D’une façon générale, comme le souligne la DAJ, le juge administratif considère que 90% du montant de la charge extra-contractruelle (c’est-à-dire celle résultant de l’imprévision) doit être supportée par l’administration. Pour le reste, l’indemnité accordée ne couvrira qu’une partie du déficit subi par le titulaire, qui supporte le coût de l’aléa économique « normal » inhérent à tout contrat (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage au gaz de Bordeaux préc. ; CE, 21 octobre 2019, Société Alliance, n° 419155).

Il faut rappeler cependant que la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision ne pourra qu’être temporaire. En effet, si les circonstances bouleversent définitivement le contrat, les parties se trouvent alors en présence d’un cas de force majeure administrative, laquelle permettra au titulaire de solliciter de l’administration la résiliation du contrat devenu manifestement inéquitable (CE, 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg, n°s 89655, 01000, 01001).

En outre, dans l’hypothèse où l’administration refuserait de faire droit à une telle demande, le titulaire ne peut se délier unilatéralement de ses obligations contractuelles et devra, par conséquent, saisir le juge administratif à cette fin.

Se prévaloir de la force majeure

La non-application des pénalités de retard et le report des délais d’exécution s’imposent à l’acheteur lorsque les circonstances peuvent être qualifiées de cas de force majeure.

Rappelons que pour être qualifié de force majeure, un évènement doit réunir trois conditions :

  • Être extérieur aux parties cocontractantes ;
  • Être imprévisible ;
  • Être irrésistible.

Un cas de force majeure autorise aussi bien l’acheteur que le titulaire, à défaut d’un accord amiable sur une orientation nouvelle à donner à l’exploitation, à demander au juge la résiliation du marché en tenant compte tant des stipulations du marché que de toutes les circonstances de l’affaire (CE, 9 décembre 1932, Compagnie des tramways de Cherbourg préc.).