Telle est la solution dégagée par le Conseil d’État dans un arrêt n°438859 du 4 mars 2021, qui sanctionne un département pour avoir lancé la passation d’un tel contrat selon une procédure sans publicité ni mise en concurrence préalables.

Plus précisément, dans cette affaire, le département de la Loire avait engagé une procédure pour la passation d’un accord-cadre portant sur l’émission et la distribution de chèques emploi service, de titres-restaurants et de chèques cadeaux.

Par deux courriers successifs, une société a été invitée par le département à présenter une offre pour chacun des lots concernés. La société a décliné cette invitation, informant le département qu’elle ne souhaitait pas présenter d’offre.

La société en question a cependant saisi le juge du référé précontractuel auprès du tribunal administratif de Lyon, lequel a annulé la procédure de passation concernée par une ordonnance n° 2000411 en date du 4 février 2020.

Le département se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d’État.

Marché public et distribution de chèques emploi service, titres-restaurants et chèques cadeaux

Marché public et distribution de chèques emploi service, titres-restaurants et chèques cadeaux

Rappel de la distinction entre marché public et contrat de concession

A titre liminaire, le Conseil d’État procède à un rappel de la distinction entre marché public et contrat de concession.

Aux termes de l’article L. 1111-1 du Code de la commande publique, le marché public se définit comme « le contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au Code de la commande publique avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ».

 Aux termes de l’article L. 1121-1 du même Code, le contrat de concession est quant à lui défini comme étant « un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

La Haute juridiction relève qu’il résulte de ces dispositions qu’un contrat par lequel un acheteur public confie l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques ne constitue un contrat de concession que s’il transfère un risque réel lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service et si le transfert de ce risque trouve sa contrepartie, au moins partiellement, dans le droit d’exploiter l’ouvrage ou le service.

Le risque d’exploitation est ainsi constitué par le fait de ne pas être assuré d’amortir les investissements ou les coûts liés à l’exploitation du service.

Or en l’espèce, le Conseil d’État considère que « si les stipulations du projet de contrat ne font pas obstacle à ce que (…) le cocontractant qui projette d’exécuter le service prélève une commission à l’occasion du remboursement des titres aux personnes physiques ou morales les ayant acceptés en paiement ou place les sommes versées par le département durant le laps de temps précédant leur remboursement »,  le coût de l’émission des titres et de leur distribution est intégralement payé par le département et le cocontractant bénéficie, à titre de dépôt, des fonds nécessaires pour verser leur contre-valeur aux personnes physiques ou morales auprès desquelles les titres seront utilisés.

Partant, le cocontractant ne supporte aucun risque d’exploitation et le contrat en litige ne revêt donc pas le caractère d’un contrat de concession, mais celui d’un marché public.

Il s’ensuit que le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Lyon n’a pas méconnu le champ d’application de la loi en faisant application des dispositions du Code de la commande publique relatives au calcul de la valeur estimée des marchés publics.

Comment évaluer le besoin de l’acheteur dans le cadre d’un marché public ?

Ensuite, le Conseil d’État prescrit la méthodologie qu’il convient de suivre afin d’évaluer la valeur estimée du besoin d’un marché public.

Visant les articles R. 2121-1, R. 2121-3, R. 2121-4, R. 2121-6 et R. 2121-8 du Code de la commande publique, le juge administratif affirme ainsi que l’application de ces dispositions à un marché de titres de paiement implique que l’acheteur prenne en compte, « outre les frais de gestion versés par le pouvoir adjudicateur, la valeur faciale des titres susceptibles d’être émis pour son exécution, somme que le pouvoir adjudicateur doit payer à son cocontractant en contrepartie des titres mis à sa disposition ».

Dès lors, en jugeant qu’il appartenait à l’acheteur public d’établir le montant d’un marché de titres de paiement en prenant en compte la valeur faciale totale des titres susceptibles d’être émis pour son exécution, augmentée d’une évaluation sincère des frais de gestion prévisibles, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit.

L’appréciation de la lésion de la société requérante dans le cadre du référé précontractuel

Enfin, le Conseil d’État se penche sur la question de l’office du juge du référé précontractuel.

En effet, il appartient à ce dernier, aux termes de la fameuse jurisprudence SMIRGEOMES, « de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de manière indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, n°305420).

En l’espèce, rappelons que la société requérante avait indiqué à la commune qu’elle ne souhaitait pas présenter d’offre.

Une conception restrictive de la jurisprudence SMIRGEOMES aurait pu conduire le juge du référé précontractuel à considérer que le refus de la société de présenter une offre ne constituait pas une lésion.

A rebours de cette hypothèse, le Conseil d’État indique que dans cette affaire « la société (…) a été dissuadée de présenter une offre par l’irrégularité dont elle considérait que la procédure était entachée, qui conduisait à ce que la passation des lots en litige soit dispensée de formalités de publicité et de mise en concurrence ».

Le fait que le département se soit affranchi des obligations préalables suffit donc à constituer une lésion pour la société requérante.

Par conséquent, le département n’est pas fondé à demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque et le juge des référés du Conseil d’État met à sa charge la somme de 3 000 euros à verser à la société requérante au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative