Notre cabinet d’avocats avait été l’un des premiers à s’alarmer de la situation des entreprises du secteur de la boulangerie-pâtisserie, mais également de la restauration (CHR (cafés, hôtels, restaurants)) et des petites et moyennes entreprises de façon générale, face à la hausse des coûts de l’énergie.
Comme nous l’avions déjà écrit à l’époque (voir notre article : peut-on changer de fournisseur de gaz ou électricité pour bénéficier du bouclier tarifaire ? ) de nombreux professionnels se trouvent liés par des contrats de fourniture d’énergie à la tarification dite « libre » c’est-à-dire sans tarif réglementé ni indexé.
Ces professionnels sont doublement pénalisés. D’une part, ils ne peuvent bénéficier du dispositif dit « bouclier tarifaire » qui impose au fournisseur une limitation automatique des prix l’énergie qu’il fournit (limitation compensée par l’État). D’autre part, les professionnels ne bénéficiant pas de tarifs règlementés n’ont pratiquement aucune visibilité sur les tarifs pratiqués par leurs fournisseurs d’énergies, librement indexés suivant les cours du marché. Quand on connaît la volatilité de ces coûts dans le contexte actuel, et leur hausse drastique avec les conséquences de la guerre en Ukraine (parfois plus de 200%) on mesure l’impact particulièrement négatif de cette situation sur les entreprises pour lesquelles la consommation d’énergie est vitale.
C’est évidemment le cas des boulangers (fonctionnement des fours, réfrigérateurs, etc.). Mais c’est aussi le cas pour de nombreuses autres entreprises et commerces obligés de consommer non seulement pour produire, mais également chauffer pour accueillir leurs clients.
Nous avions déjà à l’époque mentionné le fait qu’il existait une inégalité profonde et choquante entre les particuliers et consommateurs, autorisés à changer de contrat de fourniture d’énergie à tout moment et sans frais, et les professionnels tenus d’honorer leurs contrats souvent mal négociés sous peine de lourdes pénalités.
Cette distinction entre professionnels et non professionnels est ici injustifiée : face à la multiplicité des tâches et obligations pour un entrepreneur qui gère une entreprise au quotidien (gestion opérationnelle, production, management, etc.) la plupart du temps, ceux-ci n’ont eu que quelques minutes pour souscrire leur contrat de fourniture d’énergie, ne disposant en réalité ni du temps ni de l’expertise nécessaire pour effectuer un choix éclairé. Enfin, la plupart de ces contrats ont été conclus dans un contexte où l’on ne pouvait encore mesurer les conséquences que la crise de l’énergie pourrait avoir sur les factures et charges.
Au cœur de l’hiver (et pourtant d’un hiver jusqu’ici clément) la situation devient dramatique : de nombreux professionnels et notamment commerçants (boulangers, restaurateurs, bouchers, etc.) voient leurs marges réduites à peau de chagrin et se trouvent obligés de licencier, si ce n’est de mettre la clé sous la porte.
Notre cabinet avait proposé les solutions suivantes pour pousser les fournisseurs d’énergie à la table des négociations : invoquer la théorie de l’imprévision de l’article 1195 du Code civil, devant le Juge ou dans le cadre d’une conciliation judiciaire, pour tenter d’obtenir soit un tarif plus attractif (règlementé ou indexé) soit une résiliation sans frais de leurs contrats.
Dans les cas les plus graves, le levier des procédures collectives (sauvegarde, redressement judiciaire) peut là encore sembler pertinent : non seulement l’administrateur judiciaire a la faculté de résilier un contrat dont la poursuite est contraire aux intérêts de la société (si la résiliation « est nécessaire à la sauvegarde du débiteur », conformément à l’article L622-13 du code de commerce) ; mais l’administrateur peut en outre étaler les dettes accumulées au plus fort de la crise dans le cadre d’un plan de redressement ou de sauvegarde.
Face à la crise, le gouvernement a finalement annoncé de nouvelles mesures : d’abord, la possibilité pour les boulangers (et eux uniquement) de rompre sans frais leur contrat de fourniture d’énergie s’il représente une menace pour la survie de l’entreprise.
On ne connaît pas encore suffisamment les termes de ce dispositif, mais il y a fort à parier que, là encore, le gouvernement reprendra des définitions propres aux procédures collectives (comme les conditions pour prononcer une sauvegarde, ouverte à l’entreprise qui sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés juridiques, économiques ou financières qu’elle n’est pas en mesure de surmonter).
Le gouvernement a également annoncé (et cette fois pour toutes les entreprises) la possibilité d’un report des charges sociales et la possibilité d’étaler les factures d’énergies.