
La France peut-elle dénoncer unilatéralement l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ?
L’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 établit les conditions spécifiques dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent séjourner et travailler en France. Il leur accorde un régime particulier pour la délivrance des titres de séjour, distinct de celui applicable aux autres étrangers, qui ont accès à une plus grande variété de titres de séjour. Cependant, les règles concernant les conditions d’entrée, les mesures d’éloignement (telles que l’obligation de quitter le territoire, l’interdiction de territoire, l’expulsion), les conditions d’accès au travail (comme les autorisations de travail) et les dispositions relatives à l’ordre public s’appliquent également aux ressortissants algériens.
Récemment, cet accord est au cœur de débats en France. Le 26 février 2025, le Premier ministre François Bayrou a réuni un comité interministériel de contrôle de l’immigration pour discuter des moyens de renforcer les contrôles migratoires nationaux, européens et diplomatiques, sur fond de tensions accrues entre Paris et Alger. Cette initiative fait suite à des incidents récents qui ont ravivé les discussions sur la pertinence et l’efficacité de l’accord de 1968. Certains responsables politiques plaident pour sa révision ou sa suppression, tandis que d’autres mettent en garde contre les conséquences juridiques, diplomatiques et humaines d’une telle démarche.
La question centrale est donc la suivante : la France peut-elle dénoncer unilatéralement cet accord ? Et si cela se produisait, quels seraient les effets concrets pour les Algériens résidant en France
Dans cet article, le cabinet NOVLAW Avocats et son associé Bruno GUILLIER, en charge des questions liées au droit des étrangers et de l’immigration, détaillent ici les conditions d’une telle dénonciation et ses conséquences concrètes pour les Algériens vivant en France ou souhaitant s’installer en France.
Les règles juridiques applicables à la dénonciation d’un accord international
Le cadre juridique international applicable
L’accord franco-algérien de 1968 est un accord bilatéral et, à ce titre, il relève du droit international public.
Contrairement à d’autres États, la France n’a jamais ratifié la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. En conséquence, c’est le droit coutumier international qui s’applique en matière de dénonciation des traités. Selon les principes coutumiers :
- Un État ne peut pas dénoncer unilatéralement un traité bilatéral.
- Des exceptions sont toutefois possibles :
- Lorsque les parties ont manifesté une intention commune de permettre une dénonciation unilatérale dans le texte même de l’accord.
- Lorsqu’il existe une clause de dénonciation implicite, ce qui nécessiterait une interprétation juridique du texte.
Or, l’accord franco-algérien ne contient pas expressément de clause de dénonciation unilatérale, rendant donc sa suppression par la seule volonté de la France juridiquement incertaine et potentiellement contestable.
Toutefois, une telle contestation serait très difficile à mettre en œuvre, car la question de la compétence pour trancher la question de la validité d’une dénonciation unilatérale se pose. Qui serait à même de juger d’une telle question ?
- Il n’existe a priori pas d’organe juridictionnel automatique pour juger de la validité d’une telle décision.
- En l’absence de mécanisme de règlement des différends prévu dans l’accord, cette question resterait donc largement hypothétique et pourrait surtout se jouer sur le plan diplomatique et politique, plutôt que devant une juridiction internationale.
Le cadre juridique interne applicable en France
Sur le plan du droit interne français, la dénonciation d’un traité est un acte de gouvernement.
En conséquence :
- Le juge administratif n’est pas compétent pour apprécier la légalité d’un acte de dénonciation ou de suspension d’un accord international.
- L’exception d’illégalité devient irrecevable, empêchant les recours contre une éventuelle décision de dénonciation.
- Néanmoins, le juge administratif peut contrôler la régularité de l’acte, notamment au regard de l’article 55 de la Constitution qui subordonne l’applicabilité des accords internationaux à leur ratification et leur publication.
Procédure de dénonciation : quelles étapes juridiques en France ?
En vertu des articles 5 et 52 à 55 de la Constitution, la procédure de dénonciation d’un traité repose sur plusieurs étapes :
- Compétence présidentielle : En vertu de l’article 5 de la Constitution, c’est le Président de la République qui est responsable des engagements internationaux de la France.
- Ratification et approbation : La dénonciation doit être ratifiée, en respectant les formes légales prévues (cf. articles 52 et 53 de la Constitution).
- Publication au Journal Officiel : Tant que l’acte de dénonciation n’a pas été publié, l’accord franco-algérien reste opposable à l’État français et aux autorités administratives.
Une dénonciation unilatérale aurait des conséquences plus politiques que juridiques
Si la France décidait de dénoncer unilatéralement l’accord franco-algérien :
- L’Algérie pourrait contester cette décision sur le plan diplomatique, ce qui pourrait entraîner des représailles bilatérales. Sur le plan juridique, une contestation reste bien difficile.
- En l’absence de toute ratification et publication de la dénonciation selon les règles constitutionnelles, l’accord resterait applicable en droit interne, rendant toute tentative de le contourner juridiquement difficile.
- Sur le plan juridictionnel, les tribunaux français ne pourraient pas annuler la décision de dénonciation du Gouvernement, mais ils pourraient être saisis pour examiner sa régularité, notamment en cas de non-respect des procédures de ratification et de publication.
Les conséquences pour les ressortissants algériens en cas de suppression de l’accord franco-algérien
La suppression ou la modification de l’accord franco-algérien de 1968 aurait des effets profonds sur le régime de séjour des Algériens en France.
Aujourd’hui, cet accord leur garantit un régime spécifique et dérogatoire du droit commun des étrangers, leur offrant notamment :
- Des titres de séjour, appelés certificat de résidence algérien, de plein droit, indépendamment de quotas ou sans que l’administration ne puisse exercer de pouvoir discrétionnaire pour les refuser.
- Des facilités pour la carte de résident de 10 ans accordée dans des conditions plus favorables que celles du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
- Un accès plus souple au regroupement familial et à l’ouverture d’un commerce ou d’une entreprise.
Sans cet accord et sans retour aux accords d’Évian du 19 mars 1962, les Algériens pourraient relever des règles du droit commun applicables aux autres étrangers, entraînant une modification substantielle de leur statut.
Fin des titres de séjour spécifiques aux Algériens
Aujourd’hui, grâce à l’accord de 1968, les Algériens bénéficient de titres de séjour spécifiques appelés « certificat de résidence algérien ».
Toutefois, seulement certains de ces certificats de résidence algériens sont délivrés dans des conditions plus souples que le droit commun :
- Des certificats de résidence valables un an sont accordés automatiquement uniquement :
- Aux conjoints de Français entrés en France avec un visa.
- Aux parents d’enfants français qui exercent l’autorité parentale sur leur enfant ou contribuent à son entretien.
- Aux personnes pouvant justifier de 10 ans de résidence en France sans avoir fait l’objet d’une OQTF (15 ans si la personne a été étudiante).
- Aux commerçants disposant d’un projet d’activité commerciale défini, d’une inscription préalable au registre du commerce ou des métiers ou à un ordre professionnel et des fonds nécessaires à leur vie en France.
- Des certificats de résidence algériens de 10 ans sont délivrés sous conditions allégées :
- Une durée de présence régulière en France plus courte : 3 ans au lieu de 5 ans. Toutefois, les Algériens ne sont pas les seuls à bénéficier de cette réduction de durée. Elle est aussi prévue dans les accords signés par la France avec le Maroc, la Tunisie, le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Niger.
- Des conditions de ressources et d’intégrations moins strictes
- Le regroupement familial répond à des conditions de ressources et de conditions de vie plus souples que celles prévues pour les autres étrangers.
Si l’accord était supprimé, ces titres ne seraient plus garantis automatiquement et un autre cadre légal trouverait à s’appliquer
Un retour au droit commun des étrangers en France pour les Algériens soumis à interprétation
En cas de suppression de l’accord, l’application aux Algériens du droit commun des étrangers contenu dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) n’est pas certaine.
En effet, l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 s’inscrit dans un cadre plus large, celui des accords d’Évian du 19 mars 1962 qui a organisé l’indépendance de l’Algérie et qui prévoit un statut particulier pour les Algériens en France.
Ainsi, à l’origine, les accords d’Évian garantissaient aux Algériens
- Une liberté de circulation vers la France avec la simple présentation d’une carte d’identité ;
- Une liberté d’installation et d’égalité des droits, à l’exception du droit du vote.
Le but de l’accord du 27 décembre 1968 et de ces différentes modifications était de mettre fin à la liberté d’installation et de circulation totale des Algériens en les obligeant à disposer d’un visa ou d’un certificat de résidence pour venir ou s’installer en France.
La dénonciation unilatérale de l’accord franco-algérien par la France pourrait alors avoir pour effet :
- Un retour potentiel aux règles des accords d’Évian et donc un rétablissement des très grandes facilités de circulations pour les Algériens qui n’auraient plus besoin de visa ou de titre pour s’installer en France ;
- De créer un « vide juridique » empêchant la France de contrôler l’arrivée et l’installation des ressortissants algériens en France.
Ainsi, une dénonciation unilatérale de l’accord par la France pourrait, en théorie, rétablir les grandes facilités de circulation dont bénéficiaient anciennement les Algériens.
Toutefois, une telle interprétation reste théorique et soumise aux précisions ou aux textes qui pourraient être pris par le Gouvernement ainsi qu’au contrôle du juge[1] qui pourrait vérifier la réciprocité concrète des accords d’Évian par l’Algérie avant de les appliquer.
Un durcissement des conditions d’entrée et de séjour en cas d’un retour au droit commun des étrangers pour les Algériens
En cas de retour au droit commun des étrangers après la dénonciation unilatérale de l’accord franco-algérien par la France, le passage aux règles prévues par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile aurait un effet immédiat, mais limité sur les conditions d’entrée et de séjour en France des Algériens :
- Obligation d’un visa long séjour pour s’installer en France : aujourd’hui, les Algériens peuvent obtenir certains titres de séjour sans visa long séjour préalable et uniquement sur présentation d’un visa court séjour.
- Renforcement des conditions de délivrance et de renouvellement de certains titres de séjour, avec des conditions plus strictes sur les ressources et le niveau d’intégration (durée de présence et niveau de ressources). Concrètement cela ne concerne que les titres délivrés aux conjoints de français, aux parents d’enfant français, aux commerçants ainsi qu’aux personnes présentes depuis 10 ans en France et les cartes de 10 ans.
- Un encadrement plus strict du regroupement familial, avec des critères de ressources et de logement plus exigeants :
- Durée minimale de séjour de 18 mois avant de pouvoir demander le regroupement familial ;
- Exigence de ressources suffisantes et d’un logement adapté ;
- Délais d’instruction plus longs.
[1] S’il estime en avoir le pouvoir et la compétence
Les avantages d’un retour au droit commun des étrangers en France pour les Algériens
Si l’accord franco-algérien était supprimé, les Algériens pourraient bénéficier de certains dispositifs plus avantageux du droit commun.
Accès aux titres de séjour « Talent »
Aujourd’hui, les Algériens ne peuvent pas bénéficier de ces titres de séjour beaucoup plus avantageux (valables 4 ans, accessibles aux travailleurs qualifiés, entrepreneurs et aux investisseurs ainsi qu’aux chercheurs et aux professions artistiques).
En relevant du droit commun des étrangers en France, ils pourraient enfin y prétendre, ce qui faciliterait l’installation des talents algériens en France et ces titres créés sous Nicolas Sarkozy pour faciliter une « immigration choisie ».
Facilités pour les étudiants algériens et transition vers l’emploi
Aujourd’hui, les étudiants algériens sont soumis à des règles spécifiques qui sont très largement désavantageuses par rapport au droit commun :
- Leur certificat de résidence algérien ne leur permet pas de travailler à titre accessoire pendant leurs études et ils doivent nécessairement disposer d’une autorisation de travail pour ce faire.
- Leur certificat de résidence algérien ne permet pas automatiquement une transition vers un titre de séjour travail après les études.
- Contrairement aux étudiants d’autres nationalités, ils ne peuvent pas bénéficier directement du titre « recherche d’emploi ou création d’entreprise ».
Si l’accord était supprimé, les étudiants algériens pourraient bénéficier des avantages prévus pour les étudiants étrangers par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :
- Un accès au titre « recherche d’emploi ou création d’entreprise » pour rester en France après leur diplôme.
- Possibilité de travailler pendant leurs études.
- Possibilité de demander un titre portant la mention « talent » après leurs études, sous conditions de salaire ou de création d’entreprise.
- Possibilité de bénéficier du titre de séjour portant la mention « recherche d’emploi ou création d’entreprise »
- Meilleures opportunités de transition vers un emploi stable.
La dénonciation unilatérale de l’accord franco-algérien, un pari aux conséquences incertaines ?
L’hypothèse d’une dénonciation unilatérale de l’accord franco-algérien de 1968 soulève de nombreuses incertitudes, tant sur le plan juridique, politique que diplomatique.
Un flou juridique sur le régime applicable aux Algériens
Contrairement aux idées reçues, le retour au droit commun n’est pas automatique.
La suppression de l’accord pourrait réactiver les dispositions des accords d’Évian, offrant aux Algériens une liberté d’installation et de circulation encore plus large qu’aujourd’hui.
Cette situation créerait un vide juridique, rendant difficile l’application immédiate du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Des titres de séjour plus avantageux dans le droit commun
Les titres de séjour spécifiques aux Algériens, loin d’être systématiquement avantageux, sont souvent moins complets que ceux du droit commun.
La suppression de l’accord leur permettrait d’accéder enfin à des titres plus adaptés à leur situation, comme les titres Talent ou le titre Recherche d’emploi et création d’entreprise pour les étudiants, facilitant leur intégration et leur évolution professionnelle en France.
Une procédure longue et complexe
D’un point de vue institutionnel, une dénonciation ne pourrait pas être immédiate.
La procédure implique une approbation du Parlement et une ratification par le Président de la République, rendant toute réforme longue et sujette à des débats politiques intenses.
Un risque de tensions diplomatiques et d’instabilité politique
Un acte unilatéral de la France serait et est déjà mal perçu par l’Algérie, mettant en péril la déjà faible coopération bilatérale sur l’immigration, l’économie et la sécurité.
De plus, cette décision pourrait affecter la crédibilité de la France sur la scène internationale, en fragilisant la fiabilité de ses engagements diplomatiques.
En conclusion
En conclusion, la suppression de l’accord franco-algérien est loin d’être une solution simple et maîtrisée.
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