Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial et en cession de fonds de commerce, commente l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 10 octobre 2019 (Cass. 3e civ., 10 oct. 2019, no 18‐16.063)

Pour la Cour de cassation, la cession d’un droit au bail qui ne donne au cessionnaire que le bénéfice d’un sous-bail emphytéotique et pas d’un droit au renouvellement ou d’une indemnité d’éviction à l’expiration du bail emphytéotique, engage la garantie d’éviction du cédant.

Dans son arrêt du 10 octobre 2019, la Cour de cassation a rappelé que la cession d’un droit au bail qui donne au cessionnaire le bénéfice d’un sous-bail consenti par un emphytéote, sans droit au maintien dans les locaux ni au renouvellement ou à défaut une indemnité d’éviction à l’expiration du bail emphytéotique, au lieu de lui donner les droits normaux résultant du statut des baux commerciaux, cause un préjudice matériel actuel et certain au cessionnaire.

En l’espèce, une société ayant acquis le 16 novembre 2006 un fonds de commerce de pharmacie, apprend que le bailleur n’était pas en réalité le propriétaire du bien mais un emphytéote, d’après un bail emphytéotique courant du 16 juin 1928 au 29 septembre 2028. Elle saisit alors la justice afin d’obtenir la réparation de son préjudice en arguant qu’elle n’était pas locataire d’un bail, mais seulement sous-locataire d’un emphytéote.

La demande de la société sous-locataire a été rejetée par les juges du fond qui estimaient qu’elle était toujours présente dans les locaux et que rien ne prouvait qu’à l’issue du bail emphytéotique en cours elle serait expulsée.

Face à cette décision, la société se pourvoit en cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir rejeté sa demande alors que par l’acquisition du fonds de commerce, elle aurait dû recueillir le bénéfice de la propriété commerciale qui y était rattachée, et que le fait que son bailleur soit en réalité un emphytéote, l’empêchant ainsi d’avoir droit au renouvellement du bail ou à l’indemnité d’éviction constitue une éviction de son bail commercial.

La Cour de cassation par son arrêt du 10 octobre 2019, casse et annule la décision rendue par les juridictions du fond aux motifs que : « La cession d’un droit au bail qui, au lieu de conférer au cessionnaire les droits attachés à un bail commercial, ne lui donne que le bénéfice d’un sous‐bail consenti par un emphytéote, sans droit au maintien dans les lieux ni droit au renouvellement ou indemnité d’éviction à l’expiration du bail emphytéotique, ce qui affecte la nature et l’étendue du droit cédé, ouvre droit à la garantie d’éviction du cédant ».

  • À retenir : La distinction entre la cession d’un droit au bail et le bénéfice d’un sous‐bail consenti par un emphytéote

Pour comprendre la décision de la Cour de cassation, il convient tout d’abord d’établir une distinction entre le bail commercial et le bail emphytéotique.

Le bail commercial  se définit comme un contrat de location d’un local destiné à l’exploitation  d’une activité commerciale, industrielle ou artisanale. Sa particularité est qu’il donne plusieurs avantages au locataire dont la propriété commerciale qui constitue le droit d’obtenir le renouvellement du bail ou à défaut le versement d’une indemnité d’éviction. Le bail emphytéotique quant à lui est un contrat de location portant sur une longue durée pouvant aller jusqu’à 999 ans dans certaines législations. La particularité du bail emphytéotique est qu’elle donne au preneur appelé emphytéote, un droit réel sur le bien en contrepartie de son obligation d’assumer les risques de l’exploitation et de supporter les charges de la propriété. Contrairement au locataire d’un bail commercial, le locataire d’un bail emphytéotique ne bénéficie pas de la propriété commerciale.

En l’espèce, l’acquisition du fonds de commerce exploité dans l’emphytéose par la société s’est faite à travers un contrat de sous-location normal. Mais plus tard,  force est de constater qu’en réalité, il s’agissait d’une sous-location de bail emphytéotique et pas un bail commercial. Ainsi, au terme du bail emphytéotique prévu le 29 septembre 2028, les locaux devront être remis au propriétaire, car d’une part, l’emphytéote ne peut conclure un sou-bail commercial dont la durée est supérieure à celle du bail emphytéotique, et de l’autre, le sous-locataire ne peut prétendre au droit de renouvellement ou au paiement d’une indemnité d’éviction à l’expiration bail emphytéotique. C’est donc à bon droit que la société cessionnaire a saisi la justice pour la réparation de ce préjudice.

Certes, comme l’ont affirmé les juges du fond, rien ne prouvait qu’à l’expiration du bail emphytéotique, le sous-locataire ne pourrait pas obtenir le renouvellement de son bail ni le paiement d’une indemnité d’éviction. Cependant, il convient de rappeler que le problème qui se pose ici n’est pas les conséquences de la fin du bail emphytéotique mais le fait que la société sous-locataire ait acquis un droit au bail qui n’existait pas. Pour cette raison, c’est à juste titre que la Cour de cassation à annuler la décision des juges du fond aux motifs que  l’acquisition d’un fonds de commerce qui comporte un droit au bail qui ne confère pas de droit de renouvellement au-delà de l’expiration du bail emphytéotique en vertu duquel le bailleur tient ses droits cause un préjudice au cessionnaire et surtout que ce préjudice est certain et actuel.

En définitive, dans son arrêt du 10 octobre 2019, la Cour de cassation a eu le mérite d’établir une différence entre le contrat de bail et le sous-contrat de bail consenti par un emphytéote en se basant sur la différence des droits que ces deux contrats confèrent au locataire, le premier étant plus protecteur que le dernier. Elle a également démontré l’importance de la propriété commerciale pour un locataire en estimant qu’un droit au bail dépourvu de droit au renouvellement ou d’indemnité d’éviction constitue un véritable préjudice pour le locataire, car une telle pratique va à l’encontre de la logique de la propriété commerciale résultant du statut des baux commerciaux, dont le but est de préserver la continuité et la stabilité de l’activité exploitée au sein des locaux commerciaux.

Actu bail commercial : Sous-locataire d’un bailleur emphytéote