Découvrez le commentaire de l’arrêt rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation en date du 22 oct. 2020 n°19‐20.433 portant sur le bail dérogatoire, par Me Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial et cession de fonds de commerce.

Pour la Cour de cassation, un bail commercial conclu après l’entrée en vigueur de l’article L 145-5 du Code de commerce issue de la loi Pinel, ne peut prétendre déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, si sa durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour l’exploitation du même fonds de commerce dans les mêmes locaux excède 3 ans à compter de la date d’effet du premier bail dérogatoire.

Dans son arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de cassation a rappelé que la durée totale des baux dérogatoires successifs portant sur l’exercice d’une même activité commerciale dans les mêmes locaux ne peut excéder 3 ans à compter de la prise d’effet du premier bail dérogatoire.

Il ressort des faits qu’une société propriétaire d’un local a conclu avec un commerçant un bail dérogatoire d’une durée de 24 mois prenant effet du 31 mai 2013 au 31 mai 2015, puis un autre bail dérogatoire courant du 1er juin 2015 au 31 mai 2016.

Le 31 mars 2016, la société bailleresse a signifié au locataire un congé mentionnant le non-renouvellement du bail en cours. En réponse, le preneur a revendiqué son droit au renouvellement du bail résultant du statut des baux commerciaux en arguant que le caractère dérogatoire du bail lui était inopposable. Ce dernier refuse alors de quitter les lieux après avoir reçu le 10 juin 2016 un commandement de le faire. Suite à cela, la société bailleresse l’assigne en sollicitant la validité du commandement de quitter les lieux et son expulsion.

Les juges du fond acceptent la demande de la société bailleresse et déclarent que le locataire occupait sans droit ni titre le local depuis le 1er juin 2016, aux motifs que ce dernier ne pouvait pas bénéficier de son droit au renouvellement, car il a renoncé sans équivoque au statut des baux commerciaux dès lors qu’il a eu recours à un bail dérogatoire.

Face à cette décision, le locataire se pourvoit en cassation.

Saisie du litige, la Cour de cassation annule la décision des juges du fond aux motifs que : ” Pour pouvoir déroger aux dispositions du statut des baux commerciaux, le bail conclu le 1er juin 2015, postérieurement à l’entrée en vigueur du nouvel article L. 145‐5 du Code de commerce issu de la loi du 18 juin 2014, devait répondre aux exigences de ce texte et, par suite, ne pas avoir une durée cumulée avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux de plus de trois ans courant à compter de la date d’effet du premier bail dérogatoire

  • À retenir : La limitation de la durée des baux dérogatoires successifs à 3 ans.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n°2014‐626 du 18 juin 2014 dite loi Pinel, la durée totale des baux dérogatoires successifs doit être de 3 ans. À ce délai, le législateur ajoute un mois supplémentaire pour permettre au locataire de quitter le local loué.

En l’espèce le locataire en signant un bail dérogatoire le 1er juin 2013 renonçait volontairement à se prévaloir du statut des baux commerciaux. Sur cette considération, les juges du fond ont refusé de lui accorder le bénéfice du statut des baux commerciaux en application de la jurisprudence fondée sur la théorie de la renonciation qui accorde aux parties la faculté de conclure des baux dérogatoires successifs en dehors du cadre légal.

Toutefois, la Cour de cassation rappelle que : « Les parties ne peuvent pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs même si le preneur a renoncé, à l’issue de chaque bail dérogatoire, à l’application du statut des baux commerciaux ». Il en résulte alors que même si au départ, le locataire a renoncé à se prévaloir du statut des baux commerciaux, ce dernier lui est automatiquement applicable dès lors que la durée de l’ensemble de ses baux commerciaux dérogatoires signés avec la société bailleresse pour le même local dépassait 3 ans, se transformant ainsi en bail commercial normal.

À travers cette décision, la Cour de cassation met fin à la pratique des baux dérogatoires successifs sans limitation de durée, existant avant l’entrée en vigueur de la loi Pinel et qui donnaient la possibilité au bailleur de rompre une relation contractuelle sans congé ni aucune indemnisation du preneur, comme ce fut le cas en l’espèce.

Cette décision de la Cour de cassation s’inscrit dans la même logique que celle du législateur dans la rédaction de la loi Pinel de 2014.  En effet, le premier alinéa de l’article L 145-33 interdit aux parties de conclure un nouveau bail commercial dérogeant aux dispositions des baux commerciaux pour l’exploitation du même fonds de commerce dans les mêmes locaux. En complément de cela, l’alinéa 3 de ce texte prévoit l’application automatique du statut des baux commerciaux en cas de renouvellement ou de conclusion entre les mêmes parties d’un nouveau bail pour un même local.

À travers son arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de cassation a également apporté une précision sur la situation du point de départ de détermination de la durée des baux dérogatoires successifs autorisés dans la limite du cadre légal. En effet, si d’après la jurisprudence de la renonciation, le compteur du délai légal maximal autorisé était remis à zéro au début de chaque nouveau bail dérogatoire, permettant ainsi une succession de baux dérogatoires sur une longue durée, la Cour de cassation fixes quant à elle le départ de la durée légale maximale des baux dérogatoires successifs à la date du premier bail dérogatoire.

En définitive l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 Octobre 2020 marque la fin de la pratique qui permet de conclure sans limitation des baux dérogatoires successifs et qui donnait la possibilité au bailleur de rompre le bail sans congé ni aucune indemnisation du preneur, car elle va à l’encontre de la logique du statut des baux commerciaux et des dispositions de la Loi Pinel dont la finalité est la protection du locataire.

Actualité bail commercial : Retour sur le bail dérogatoire