Allotissement dans les marchés publics

Allotissement dans les marchés publics

Quelles sont les règles applicables à l’allotissement dans les marchés publics ? Tous les marchés publics doivent-ils être allotis ? Comment sont attribués les lots ? Dans quels cas l’allotissement n’est-il pas obligatoire ? Tour d’horizon des questions liées à l’allotissement dans les marchés publics.

1. L’allotissement est-il obligatoire pour tous les marchés publics ?

Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 23 juillet 2015, tous les marchés doivent faire l’objet d’un allotissement.

Conformément à l’article L. 2113-10, si les marchés publics doivent être passés en lots séparés, c’est à la condition que leur objet permette l’identification de prestations distinctes.

Cette obligation concerne aussi bien les marchés passés selon une procédure formalisée que les marchés conclus selon une procédure adaptée, et s’applique à l’ensemble des acheteurs, tant aux pouvoirs adjudicateurs qu’aux entités adjudicatrices.

A contrario, ne sont pas concernés ni les contrats de concession (article L. 3100-1 et s. du code de la commande publique), ni les marchés de partenariat, ni les marchés de défense ou de sécurité (article L. 2313-5 du code de la commande publique), ni encore les contrats passés par des personnes privées qui ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices et qui sont néanmoins soumis au code de la commande publique (article L. 2100-2 du code de la commande publique).

Publication : Objet du marché public de défense ou sécurité et allotissement géographique

La raison d’être de l’allotissement est de favoriser la concurrence entre les opérateurs, et est particulièrement approprié lorsque les travaux, prestations, ou services objet du marché sont d’une ampleur telle qu’ils risqueraient de dépasser les capacités techniques ou financières d’un seul opérateur.

2. Quel contrôle sur le choix du nombre et de la consistance des lots le juge opère-t-il ?

Le juge administratif opère un contrôle normal sur l’obligation de recourir à l’allotissement des marchés publics (CE, 27 octobre 2011, Département des Bouches-du-Rhône, n° 350935).

En revanche, le juge n’exerce sur le choix effectué par l’acheteur du nombre et de la consistance des lots qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. Ce contrôle s’effectue au regard « des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause et, le cas échéant, des règles applicables à certaines professions » (CE, 21 mai 2010, Commune d’Ajaccio, n° 333737).

Autrement dit, l’acheteur ne méconnaît les obligations de publicité et de mise en concurrence que s’il a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la détermination du nombre et de la consistance des lots, au regard de la nature des prestations et de l’objet du marché.

3. Quelle est la différence entre l’allotissement et la décomposition en postes techniques ?

Dans le cadre de l’allotissement, chaque lot est attribué séparément à l’opérateur dont l’offre est retenue, et ce, quand bien même la consultation ne comporte qu’un seul avis de marché. De ce point de vue, chaque lot constitue un marché.

Au contraire, la décomposition en postes techniques permet, dans le cadre d’un marché unique, l’affectation de chaque ensemble technique à un membre d’un groupement d’entreprises (CE, 30 juin 2004, OPHLM Nantes Habitat, n° 261472).

Toutefois, dans ce dernier cas, l’acheteur doit prendre garde à ce que la décomposition de tels ensembles techniques ne puisse être analysée comme de véritables prestations distinctes, susceptibles d’être alloties (CAA Marseille, 16 juillet 2018, Préfet du Var c/ office public de l’habitat Terres du Sud Habitat, n° 18MA02245).

4. Chaque lot doit-il être attribué distinctement des autres ?

Chaque lot constituant un marché, il est possible de prévoir de dates de début d’exécution pour chacun d’eux.

De même, il est loisible à l’acheteur de faire application pour chaque lot d’une procédure distincte, mais à la condition que soient respectées les règles relatives au calcul de la valeur estimée, et que le besoin global ne soit pas irrégulièrement fractionné (article R. 2121-1 à R. 2121-9 du code de la commande publique).

Chaque procédure peut également donner lieu à la publication d’un avis de marché (Rép. min. n° 37244, JOAN, 29 mars 2011, p.3075).

5. Plusieurs lots peuvent-ils être attribués à un seul opérateur ?

Les articles L. 2113-10 et L. 2113-11 du code de la commande publique n’interdisent pas à l’acheteur d’attribuer tout ou partie des lots à un même opérateur.

Néanmoins, le principe et l’obligation d’allotissement perdraient toute consistance si l’acheteur imposait aux candidats de présenter des offres pour chacun des lots d’une même procédure de passation (CE, 1er juin 2011, Société Koné, n° 346405).

Lorsque plusieurs lots sont attribués au même candidat, il est loisible à l’acheteur de signer un acte d’engagement unique (malgré le silence des articles L. 2113-10, L. 2113-11 et R. 2113-1 à R. 2113-3 du code de la commande publique) dans un souci de simplification de la procédure, en prenant garde à faire figurer clairement chaque lot ainsi que son montant.

En tout état de cause, les lots sont exécutés de manière autonome, de sorte que la validité d’un éventuel avenant doit être appréciée eu égard au lot concerné, et non à l’ensemble des lots mentionné dans l’acte d’engagement unique.

Par ailleurs, pour des raisons tenant à la concurrence ou l’approvisionnement (Cons. 79 de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics), l’acheteur peut aussi faire le choix de limiter le nombre de lots pour lesquels un opérateur économique peut présenter une offre, ou bien le nombre maximal de lots pouvant être attribué à un seul opérateur (article. L. 2113-10 du code de la commande publique ; CE, 20 février 2013, Société Laboratoire Biomnis, n° 363656).

6. Quelles précautions l’acheteur doit-il prendre dans le cadre d’un allotissement ?

Dans tous les cas, l’acheteur est tenu de préciser préalablement les modalités de soumission et d’attribution des lots dans les documents de la consultation ou l’avis de marché (article R. 2113-1 du code de la commande publique).

Il est tenu de préciser dans les documents de la consultation si les candidats peuvent soumissionner pour un, plusieurs, ou tous les lots, et éventuellement le nombre de lots maximal qui peut être attribué à un seul opérateur.

Cette obligation d’information préalable s’impose d’autant plus lorsque la mise en œuvre des critères d’attribution est susceptible de conduire à l’attribution à un même opérateur d’un nombre de lots supérieur au nombre maximal (article R. 2113-1 du code de la commande publique).

Dans une telle hypothèse, l’acheteur doit fonder les modalités d’attribution des lots sur des règles objectives et non discriminatoires, qui ne doivent en aucun cas révéler un comportement discrétionnaire de l’acheteur, méconnaissant les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence de la procédure de passation du marché public (CE, 20 février 2013, Société Laboratoire Biomnis, n° 363656).

Dans le même esprit, l’interdiction de soumissionner à certains lots ou d’attribuer certains lots à un même opérateur doit être justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

7. Est-il possible de recourir à un marché non alloti ?

Les dispositions des articles L. 2113-10 et L. 2113-11 prévoient que l’acheteur peut être contraint de recourir à un marché non alloti, dans plusieurs hypothèses.

  • Premièrement, l’acheteur peut déroger au principe de l’allotissement si l’objet du marché ne permet d’identifier de prestations distinctes (art. 2113-10 du code de la commande publique).
  • Deuxièmement, même en l’absence de prestations distinctes, l’acheteur peut recourir à un marché non alloti dès lors que, d’une part, il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination, et d’autre part, lorsque l’allotissement serait de nature à restreindre la concurrence, ou rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution des prestations (article L. 2113-11).

8. À quoi correspondent des prestations distinctes ?

Des prestations sont considérées comme distinctes, d’une part, lorsque leur nature est différente, et qu’elles répondent à des besoins dissociables, et d’autre part, au regard de la répartition géographique des sites objet de ces prestations.

En effet, la répartition géographique est « le signe de l’existence de prestations sinon distinctes du moins a priori différenciables » (Concl. de N. BOULOUIS sur CE, 23 juillet 2010, Région Réunion, n° 338367).

À titre d’illustration, il a pu être jugé qu’un marché ayant pour objet la surveillance de sites se trouvant dans quatre communes différentes ne justifie pas le recours au marché non alloti, puisque la répartition géographique des sites permet d’identifier des prestations distinctes (CE, 23 juillet 2010, Région Réunion, n° 338367).

9. Dans quelles conditions l’acheteur n’est-il pas en mesure d’assurer les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ?

À titre d’exemple, il a pu être considéré que l’existence de difficultés antérieures rencontrées lors de précédents marchés n’était pas susceptible de démontrer que l’acheteur ne se trouvait pas en capacité, eu égard à ses moyens techniques et humains, et à l’ensemble des opérations déjà engagées, d’assurer les missions d’organisation, de pilotage et de coordination des marchés en cause (CAA Marseille, 19 décembre 2011, Préfet Alpes-Maritimes, n° 09MA03774).

De même, la faiblesse des effectifs des services de l’acheteur n’est pas de nature à démontrer que ce dernier n’était pas en mesure d’assurer les missions d’organisation, de pilotage et de coordination, et partant susceptible de justifier le recours à un marché non alloti, dès lors que l’acheteur a recruté des maîtres d’œuvre dont la mission porte notamment sur l’élaboration et le suivi du planning du chantier (CAA Lyon, 6 octobre 2011, Syndicat national des entreprises du second œuvre (SNSO), n° 10LY01121).

10. Dans quelles conditions l’acheteur peut-il déroger à l’allotissement pour des raisons tenant à la complexité technique du marché ?

Il a été jugé que le recours au marché non alloti pour la passation d’un marché de prestations de sécurisation des espaces publics comprenant la rénovation des espaces publics, la mise aux normes de la signalisation lumineuse tricolore et l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance, eu égard aux difficultés techniques d’une dévolution séparée de ces prestations et aux conséquences probables de l’allotissement sur leur coût financier était régulier (CE, 20 mai 2009, Commune de Fort-de-France, n° 311379).

Dans le même esprit, et compte tenu des conflits récurrents opposant les gestionnaires des kiosques et les kiosquiers dont les intérêts sont souvent divergents, il a pu être considéré que l’exécution de deux contrats était rendue techniquement difficile et couteuse, en raison de la multiplication des conflits résultant de la mise en œuvre par deux opérateurs distincts de logiques propres à la gestion des ouvrages, à l’exploitation des espaces publicitaires et à la vente de journaux (CE, 26 juin 2015, Ville de Paris, n° 389682).

Toutefois, la constitution d’un groupement de commandes, nonobstant la décision de passer trois marchés distincts, ne suffit pas à faire état de difficultés techniques propres à exonérer l’acheteur de son obligation d’allotissement (CE, 18 septembre 2015, Syndicat intercommunal des eaux du bas Roubion (SIEBR), n° 389740).

Enfin, s’agissant d’un marché de prestations de conseil juridique relevant de branches du droit distinctes, la commune ne pouvait faire valoir, au regard de son importance et de ses capacités de coordination de telles prestations, qu’un allotissement du marché rendrait techniquement difficile son exécution (CE, 11 avril 2014, Commune de Montreuil, n° 375051).

11. Dans quelles conditions l’acheteur peut-il justifier l’absence d’allotissement d’un marché par le surenchérissement du coût de la prestation ?

Le recours au marché non alloti ne peut être fondé que sur la réalisation d’économies substantielles, ou à l’inverse, si le recours à l’allotissement entraîne des surcoûts importants pour l’acheteur.

Ainsi, la réduction significative des coûts pour l’acheteur constitue un motif légal que ce dernier peut invoquer pour recourir au marché non alloti (CE, 9 décembre 2009, Département de l’Eure, n° 328803).

Par ailleurs, une augmentation du coût de la réalisation des prestations à hauteur de 66% est de nature à justifier le recours au marché non alloti, sans que ne soient méconnues les obligations de publicité et de mise en concurrence (CE, 27 octobre 2011, Département des Bouches-du- Rhône, n° 350935).

Tel n’est pas le cas lorsque l’économie escomptée s’élève à 2% du budget affecté au lot concerné (CE, 11 août 2009, Communauté urbaine Nantes métropole, n° 319949).

12. Quel contrôle le juge exerce-t-il sur le refus d’allotir ?

L’acheteur est tenu de prouver que les conditions d’un marché non alloti sont satisfaites. Aussi, le juge administratif exerce un contrôle normal sur ce choix.

Notamment, il lui appartient d’apprécier l’analyse de l’acheteur et les justifications que ce dernier fournit compte tenu de la marge d’appréciation qui lui est reconnue, au regard des conditions permettant de déroger à l’allotissement, et de déterminer si elles sont entachées d’une erreur d’appréciation (CE, 26 juin 2015, Ville de Paris, n° 389682).

Autrement dit, le juge vérifie le caractère objectif de telles justifications (CE, 29 oct. 2010, Syndicat mixte d’assainissement de la région Ouest de Versailles (SMAROV), n° 340212), et sanctionne l’absence d’éléments apportés au soutien de sa décision.

Par mesure de précaution, il est conseillé aux acheteurs de conserver l’ensemble des éléments de nature à fonder leur décision (notamment dans le cadre du rapport d’analyse des offres), dans l’hypothèse d’un contentieux.

13. L’acheteur doit-il motiver son refus d’allotir ?

L’acheteur est tenu de faire état des motifs justifiant sa décision de ne pas procéder à l’allotissement du marché (article 2113-3 du code de la commande publique), et ce, préalablement au lancement de la consultation.

  • Premièrement, s’agissant des marchés dont le montant est supérieur ou égal aux seuils de procédure formalisée, l’acheteur doit indiquer de tels motifs dans les documents de la consultation ou le rapport de présentation s’il s’agit d’un pouvoir adjudicateur.

S’il agit en qualité d’entité adjudicatrice, ces motifs doivent figurer parmi les informations qu’il conserve en application des articles R. 2184-7 à R. 2184-11 du code de la commande publique (articles R. 2131-1 à R. 2131-3 du code de la commande publique).

  • Deuxièmement, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée (laquelle concerne également les marchés de services sociaux et les marchés de services juridiques de représentation visés aux articles R. 2123-1 à R. 2123-3 du code de la commande publique), la motivation du refus d’allotir doit figurer dans les documents relatifs à la procédure, qu’il conserve en application des articles R. 2184-12 et R. 2184-13 du code de la commande publique.

Allotissement dans les marchés publics

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault , Avocat Associé chez Novlaw Avocats , spécialisé en droit public , notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’ innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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