Baptiste Robelin

Par Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial, cession de fonds de commerce et droit de l’hôtellerie et de la restauration (CHR)

Retrouvez le commentaire de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 17 février 2020.

Dans un bail commercial, rappelons que le locataire est tenu de respecter la « destination » du bail, c’est-à-dire l’activité autorisée par le bailleur au sein des locaux.

Généralement, en matière de restauration, on retrouve deux types de clauses s’agissant de la destination : soit l’activité de restauration (notamment si le local commercial comporte une extraction) soit l’activité de petite restauration (si le local ne comporte pas d’extraction).
Il arrive que le bail commercial autorise également la vente à emporter, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans les baux les plus anciens (rédigés et signés avant l’avènement des plateformes de livraison en ligne) cette précision ne figure pratiquement jamais.
Or la Covid-19 a changé la donne : aujourd’hui, l’activité de vente à emporter est devenue pratiquement la norme, pour des milliers de restaurateurs obligés de s’adapter avec la crise sanitaire et l’interdiction de recevoir du public. L’activité de vente de repas en ligne à emporter est en pleine croissance, en particulier avec ces nouveaux concepts de restaurants virtuels (Dark Kitchen, Ghost Kitchen…) qui se focalisent sur une activité de vente à distance, sans salle d’accueil du public.

Bref, de plus en plus de restaurants ont recours à la vente à emporter, qui semble clairement être devenue la norme.

Dans ce contexte, la question qui revient régulièrement consiste à savoir si l’activité de restauration, ou petite restauration, prévue dans le bail commercial, autorise en elle-même la vente à emporter.

Jusqu’à ce jour, la réponse était négative.

En effet, les tribunaux considéraient que la vente à emporter n’était pas une activité « incluse » dans celle de restauration, mais représentait une activité distincte, annexe[1].

Ce raisonnement avait des conséquences importantes pour les locataires restaurateurs : cela impliquait notamment qu’il devait solliciter l’autorisation du bailleur pour pratiquer de la vente à emporter, en passant par le biais d’une procédure dite de « déspécialisation partielle ». Or comme le prévoit le Code de commerce, dans ce contexte le bailleur est autorisé à solliciter une « indemnité de déspécialisation », voire, dans certains cas, une hausse du loyer commercial.
Certains restaurateurs se trouvaient donc interdits de pouvoir pratiquer de la vente à emporter, soit parce que le bailleur s’y refusait purement et simplement, soit parce qu’il n’avait pas les moyens financiers de régler cette indemnité de déspécialisation.

Comme on l’a vu, avec la crise sanitaire de la Covid-19, les choses étaient en train de changer. Notamment, dans le cadre de l’état d’urgence, le Gouvernement a autorisé la vente à emporter pour les établissements fermés au public. Cette norme administrative autorisait déjà selon nous tous les restaurateurs fermés administrativement à pratiquer de la vente à emporter, quelles que soient les restrictions du bail commercial.

Mais qu’allait-il se passer à l’avenir, après l’état d’urgence ?

En l’occurrence, une décision importante de la cour d’appel de Paris vient selon nous de changer la donne, en opérant un revirement de jurisprudence très intéressant.

Dans cette affaire, il s’agissait d’un restaurant asiatique avec clause de destination d’alimentation générale et de restauration. Le bailleur sollicitait une hausse du loyer à raison de l’activité de vente à emporter pratiquée par son locataire, non prévue au bail.
Or la cour a pour la première fois considéré que la vente à emporter n’était pas une activité nouvelle, connexe ou complémentaire à celle de restauration, mais bien une activité « incluse » dans celle de restauration.

La Cour d’appel juge ainsi :

« Il convient de tenir compte de l’évolution des usages en matière de restauration traditionnelle. Si les plats confectionnés sont essentiellement destinés à être consommés sur place, la tendance croissante est de permettre à la clientèle, particulièrement en milieu urbain, comme en l’espèce, de pouvoir emporter les plats cuisinés par les restaurants ou se les faire livrer à domicile, notamment par l’intermédiaire de plateformes. »[2].

C’est la première fois que la cour d’appel reconnaît ainsi un changement des usages commerciaux, prenant acte du fait que la restauration inclut la vente à emporter, ce qui paraît aujourd’hui incontestable.

Si cette jurisprudence se confirme (et tout laisse à penser que ce devrait être le cas) cela implique que les restaurants sont autorisés à pratiquer de la vente à emporter, et ce, quelles que soient la position du bailleur et les mentions figurant sur le bail commercial. Plus besoin de précision expresse, et donc de risquer une indemnité de déspécialisation en sollicitant l’autorisation du bailleur.

C’est une nouvelle importante pour l’ensemble de l’hôtellerie et de la restauration (CHR) et une décision que les professionnels du secteur ne peuvent que saluer.

[1] CA Paris, 16e ch. A, 23 mai 2001, n° 1999/16524 : JurisData n° 2001-146810
[2] CA Paris, 5, 3, 17-02-2021, n° 18/07905

Bail commercial : Activité de restauration et Vente à emporter

Bail commercial : Activité de restauration et Vente à emporter