Alors qu’il a été définitivement mis fin à l’état d’urgence sanitaire, les décisions liées à la période de fermeture des commerces pendant la covid-19 ne cessent d’être publiées et les principes qui en ressortent sont toujours aussi intéressants à analyser.

La Cour de cassation vient précisément de rendre un arrêt (Civ. 3e, 25 janv. 2023, FS-B, n° 22-10.648) énonçant que la mise en œuvre de la garantie à première demande d’un bail commercial pour garantir le paiement des loyers dus pendant la période de fermeture des commerces à raison de la crise du coronavirus, constitue un trouble manifestement illicite.

Que disait la loi pour protéger les locataires d’un bail commercial pendant la période de covid-19 ?

Outre les aides d’État (fonds de solidarité, report de charges, etc.) le gouvernent avait profité de l’État d’urgence sanitaire pour mettre en place plusieurs systèmes de protection des locataires pendant la période de fermeture administrative de leurs locaux commerciaux.

À ce sujet l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 disposait que « jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d’être affectée par une mesure de police […] les sûretés réelles et personnelles garantissant le paiement des loyers et charges locatives concernés ne peuvent être mises en œuvre et le bailleur ne peut pas pratiquer de mesures conservatoires ».

Ces mesures s’ajoutaient à celles privant le bailleur de la possibilité de solliciter des sanctions à raison des retards et non-paiements de loyer, notamment en sollicitant l’acquisition de la clause résolutoire prévue au bail commercial.

Était-il possible pour un bailleur de demander l’application d’une garantie à première demande pour garantir les loyers impayés pendant la covid-19 ?

C’est la question à laquelle l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation présentement commentée devait répondre (Civ. 3e, 25 janv. 2023, FS-B, n° 22-10.648).

En l’espèce, une SCI avait donné à bail commercial des locaux à un commerçant suivant un contrat du 22 décembre 2017, avec souscription d’une garantie bancaire à première demande pour un montant de 91 667 euros maximum.

La période de confinement déclenchée avec fermeture obligatoire des commerces, le locataire avait cessé de payer ses loyers à compter du mois de mars 2020.

Le 7 avril 2021, le bailleur sollicitait la mise en œuvre de la garantie à première demande, exigeant de la banque le règlement de la somme de 91.667 euros.

Le locataire faisait alors assigner le bailleur, par acte du 19 avril 2021, devant le juge des référés du tribunal judiciaire, en demandant au Président de bien vouloir : « constater que la mise en œuvre de la garantie à première demande par la société [bailleresse] constitue un trouble manifestement illicite » et « par conséquent, interdire à la [banque] de procéder au paiement » de la garantie demandée.

Le juge des référés faisait droit à la demande du locataire, interdisant à la banque de procéder au paiement demandé par ordonnance du 23 avril 2021.

La cour d’appel, saisie par le bailleur, confirmait l’arrêt de première instance.

Saisie d’un pourvoi formé par le bailleur, la Cour de cassation le rejetait, estimant que la mise en œuvre de la garantie à première demande « en violation des dispositions de l’article 14 de la loi précitée constituait un trouble manifestement illicite ».

Pour bien comprendre la décision de la haute cour, il faut rappeler l’article 2321 du Code civil définissant la garantie à première demande comme « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues ».

C’est donc une protection particulièrement efficace pour le Bailleur, dès lors que l’obligation garantie est autonome par rapport à l’obligation du garant. Le garant ne peut opposer d’exceptions tirées de l’obligation garantie.

C’est en se fondant sur le caractère autonome de la garantie à première demande que le bailleur espérait sans doute échapper aux interdictions légales issues de la  loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 précitée.

Ce raisonnement n’est pas suivi par la Cour de cassation, comme on pouvait légitimement s’y attendre, et ce, pour plusieurs raisons.

D’abord, l’article 2321 du Code civil relatif à la garantie autonome rappelle que : « Le garant n’est pas tenu en cas d’abus ou de fraude manifestes du bénéficiaire ou de collusion de celui-ci avec le donneur d’ordre ».

Sur le fond, il paraissait clair que le bailleur tentait ici d’évincer le dispositif légal de protection des locataires mis en place par le Gouvernement, ce qui peut évidemment s’apparenter comme une fraude à la loi.

Sur un plan procédural, le trouble manifestement illicite peut se définir comme « toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit »

Il ressort de la jurisprudence que ce trouble peut résulter de la méconnaissance d’un droit ou d’une règle (Cass. 1ère civ., 17 mars 2016, n° 15-14072) peu important que la règle violée soit d’origine légale ou contractuelle.

En l’espèce, suivant le raisonnement de la Cour de cassation, c’est bien l’illicéité de la demande en paiement au cours d’une période protégée qui implique que la créance ne pouvait être payée par la banque.

Suivant cette décision, la Cour de cassation apporte une précision intéressante pour les arguments en défense d’une partie dans le cadre de la mise en œuvre de la garantie autonome : non seulement le débiteur peut invoquer l’abus ou la fraude manifeste dans l’appel en garantie (article 2321 du Code civil précité) mais il peut également invoquer, lorsque les conditions paraissent réunies, que la mise en œuvre de la garantie constitue un trouble manifestement illicite, dès lors qu’elle est mise en œuvre en violation d’une règle de droit manifeste, qu’elle soit donc d’origine contractuelle ou légale, comme en l’espèce.

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