Bail commercial : le bailleur doit répondre des troubles causés au locataire par ses associés

Bail commercial : le bailleur doit répondre des troubles causés au locataire par ses associés

Un arrêt très intéressant rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation est l’occasion de revenir sur le statut des associés d’une SCI bailleresse, à l’égard du locataire (Cass, Civ, 3, 9 mars 2023, n° 21-21.698)

La situation juridique est classique : la plupart des baux commerciaux (voire des baux d’habitation) sont conclus entre le locataire et une société civile immobilière, laquelle détient un immeuble. Or il arrive que les associés de la SCI ne soient pas d’accord les uns avec les autres quant à la gestion de l’immeuble, ce qui peut se solder par un règlement de compte entre associés dont le locataire ferait les frais.

C’est exactement ce qui s’était passé dans le cas présentement commenté.

En l’espèce, une SCI avait conclu un bail commercial avec un locataire portant sur un local commercial et une place de parking. Quelques mois plus tard, l’un des associés de la société bailleresse avait entravé par des cadenas l’accès à la place de parking. À l’origine, il existait un litige entre les associés (héritiers) de cette SCI sur le sort de cette place de parking, litige que l’associé réfractaire avait décidé de solder lui-même, en privant le locataire de l’accès à ladite place.

Le locataire, privé de la jouissance de sa place de parking, décidait d’assigner en référé la SCI afin d’obtenir la cessation du trouble sous astreinte, ce qui est classique dans ce type de cas.

Saisi en référé, le Président du tribunal judiciaire avait ordonné la cessation du trouble sous astreinte et désigné un expert judiciaire à l’effet de calculer le préjudice subi par le locataire privé de jouissance. Là encore, classique dans ce type de cas.

L’expert judiciaire ayant rendu son rapport, le locataire décidait d’assigner au fond la SCI afin de solliciter réparation de son préjudice. Le preneur se fondait sur le fondement de la garantie due par le bailleur contre les troubles de jouissance.

L’affaire remontait jusqu’en appel, où la cour d’appel saisie du litige déboutait finalement le locataire de sa demande en réparation, au motif que les associés de la SCI ne pouvaient être confondus avec la SCI elle-même. La cour d’appel considérait en effet que les associés étant des « tiers » de la SCI bailleresse, cette dernière n’était pas responsable du trouble qu’ils avaient généré.

La cour d’appel se fondait sur ce point sur l’article 1725 du Code civil, qui énonce que le bailleur n’est pas tenu dans un bail de garantir son locataire contre les troubles émanant de tiers :

« Le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d’ailleurs aucun droit sur la chose louée ; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel ».

Saisie d’un pourvoi du locataire, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, énonçant que les associés d’une SCI ne sont pas des tiers de cette SCI. La haute cour considère en effet qu’une société civile est présumée continuer avec les héritiers d’un associé décédé. Ainsi, le bailleur était bien tenu de garantir son locataire des troubles causés à sa jouissance par l’un des héritiers de la SCI, comme en l’espèce. Explications et décryptages.

Trouble de fait ou trouble de droit ?

Pour obtenir réparation de son préjudice, le locataire soutenait devant la Cour de cassation qu’il n’avait pas été victime d’un trouble de fait, mais d’un trouble de droit.

La distinction est importante puisque si le bailleur n’est pas tenu de garantir le locataire contre les troubles de fait émanant de tiers (1725 du Code civil vu supra) il est en revanche tenue d’indemniser son locataire au titre des troubles de droit, comme le prévoit l’article 1726 du Code civil :

« Si, au contraire, le locataire ou le fermier ont été troublés dans leur jouissance par suite d’une action concernant la propriété du fonds, ils ont droit à une diminution proportionnée sur le prix du bail à loyer ou à ferme, pourvu que le trouble et l’empêchement aient été dénoncés au propriétaire ».

Cet article prévoit en synthèse que si un tiers conteste le droit de propriété du bailleur (action concernant la propriété du fonds) le locataire peut avoir droit à une indemnisation, ce qui est en revanche exclu s’agissant des troubles de fait (article 1725 du Code civil vu supra).

Mais en l’espèce, la Cour de cassation considère que le trouble dont le preneur était victime (portes de son parking cadenassées par l’héritier de l’un des associés de la SCI) était bien un trouble de fait, et non un trouble de droit (puisque ledit héritier ne faisait valoir aucun droit spécifique dans son action).

Sur ce point, l’action du locataire sur le fondement de l’article 1726 n’était donc pas recevable pour la Cour de cassation.

L’héritier de l’un des associés de la SCI n’est pas un tiers de la SCI

En revanche, sur le deuxième moyen, la Cour de cassation censurait l’arrêt d’appel.

En effet, pour motiver sa décision et refuser au preneur son indemnisation, la cour d’appel avait considéré que l’associé de la SCI ne pouvait être confondu avec la SCI elle-même et qu’il s’agissait donc d’un tiers à l’égard du Bailleur. Dès lors, en vertu de l’article 1725 du Code civil rappelé ci-dessus, le preneur ne pouvait prétendre à aucune réparation.

Cet argument est réfuté par la Cour de cassation.

Dans un premier temps, la haute cour revient aux principes essentiels de la SCI et de son fonctionnement. Elle rappelle notamment l’article 1870 alinéa 1er du Code civil, énonçant qu’une société civile « est présumée continuer avec les héritiers d’un associé décédé » lorsque ceux-ci sont des personnes physiques. Cette présomption ne peut être renversée que par une clause contraire des statuts excluant la continuation automatique de la société avec les héritiers.

Or en l’espèce, la SCI ne rapportait pas la preuve que les héritiers devaient être préalablement agréés par les autres associés. De fait, ils étaient donc présumés associés de ladite SCI.

Le raisonnement qui suit est tout aussi intéressant : pour la Cour de cassation, si la personne morale se distingue des personnes physiques qui la composent en qualité d’associé, cette distinction n’est toutefois pas suffisante pour considérer les associés comme des « tiers » au sens de l’article 1725 du Code civil.

Sur ce fondement, la jurisprudence retient une définition stricte du concept de tiers, qui doit clairement être étranger au bailleur (sur lequel le Bailleur n’aurait en quelque sorte aucun contrôle).

Par exemple, la Cour de cassation retient que le concierge d’un immeuble n’est pas un « tiers » du bailleur (puisqu’il existe un lien contractuel de contrôle entre l’un et l’autre (Civ. 3e, 6 nov. 1970, Bull. civ. III, n° 586). Il en est de même en ce qui concerne un « colocataire » ou encore un autre locataire du Bailleur : l’un et l’autre ne sont pas considérés comme des tiers du Bailleur, censé exercer un minimum de contrôle sur ces preneurs. (voir par exemple : Civ. 3e, 20 avr. 2005, n° 03-18.390 et Civ. 3e, 22 mai 2012, n° 11-19.233).

C’est à notre connaissance la première fois que la Cour de cassation devait se prononcer sur le sort d’un associé (en l’occurrence un ayant droit) de la SCI : là encore, retenant une conception étroite de la notion de « tiers » au sens de l’article 1725 du Code civil, la haute cour considère que l’associé n’est pas un tiers de la SCI et que la SCI doit donc répondre à l’égard du locataire des troubles générés par l’un des associés.

Par Baptiste Robelin, avocat expert en droit immobilier

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