Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial et en cession de fonds de commerce, commente l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 10 décembre 2020 (Cass. QPC, 10 décembre 2020).

D’après la Cour de cassation, le non-plafonnement du montant de l’indemnité d’éviction versée au locataire en cas de non-renouvellement du bail commercial, est susceptible de porter atteinte au droit de propriété du bailleur.

Dans son arrêt du 10 Décembre 2020, la Cour de cassation renvoie au Conseil constitutionnel la question de la conformité de l’article L 145-14 du Code de commerce, en estimant qu’en ne prévoyant pas le plafonnement de l’indemnité d’éviction, l’article précité est susceptible de porter atteinte au droit de propriété du bailleur.

En l’espèce, par acte du 5 septembre 2016, une société bailleresse refuse à son locataire le renouvellement de son bail commercial portant sur un immeuble à usage d’hôtel et lui offre le paiement d’une indemnité d’éviction. Après le dépôt d’un rapport d’expertise judiciaire, la société locataire a assigné la société bailleresse en sollicitant la fixation du montant de l’indemnité d’éviction.

Le 17 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a soulevé la question de la constitutionnalité du litige se demandant si  l’article L. 145-14 du Code de commerce est conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et enfin si il respecte la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958.

Saisie du litige, la Cour de cassation renvoie au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par le tribunal judiciaire de Paris en affirmant qu’elle présente un caractère sérieux, car compte tenu du fait que « l’indemnité d’éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce défini selon les usages de la profession sans prévoir de plafond, de sorte que le montant de l’indemnité d’éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l’immeuble, la disposition contestée est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur »

  • À retenir : Le défaut de plafonnement du montant de l’indemnité d’éviction est susceptible de porter atteinte au droit de propriété du bailleur. 

Le paiement de l’indemnité d’éviction par le bailleur en cas défaut du renouvellement du bail commercial est instauré par l’article L145-14 du Code de commerce. D’après cet article, le bailleur a la possibilité de refuser le renouvellement du bail commercial au locataire, à condition de lui verser une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail. L’article précise également que l’indemnité d’éviction comprend la valeur marchande du fonds de commerce qui peut être augmentée des frais normaux de déménagement et de réinstallation du locataire ainsi que des droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur sauf dans le cas où le propriétaire prouve que le préjudice est moindre.

En l’espèce, les juridictions reprochent à l’article 145-14 du Code de commerce de prévoir l’existence d’une indemnité d’éviction ainsi que les modalités de calcul de son montant sans la plafonner. Cette approche s’explique par le fait que les juges craignent de porter atteinte au droit de propriété du bailleur, en parvenant à un résultat disproportionné du montant de l’indemnité d’éviction puisqu’il est calculé en fonction de la valeur vénale du fonds de commerce. Le problème qui se pose alors est qu’en fonction de l’importance du fonds de commerce, sa valeur vénale risque d’être élevée, augmentant de manière abusive l’indemnité d’éviction dont le montant n’est pas plafonné par le législateur. La peur des juges est qu’une telle pratique porte atteinte au droit de propriété du bailleur, dans la mesure où il pourrait y renoncer en raison de l’importance de l’indemnité d’éviction qu’il risque de payer au locataire s’il désire récupérer son bien. C’est donc à juste titre que la Cour de cassation a jugé qu’il était sérieux de s’interroger sur la conformité de l’article L 145-14 du Code de commerce à la Constitution.

En définitive, la question prioritaire de constitutionnalité transmise au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation à travers l’arrêt du 10 décembre 2020, marque un tournant décisif pour le statut des baux commerciaux, car elle remet en cause l’un de ses piliers : l’indemnité d’éviction accordée au locataire en cas de non-renouvellement de son bail. Toutefois, il convient de rappeler que la contestation des juges ne porte pas sur le principe de l’indemnité d’éviction lui-même, mais sur le non-plafonnement de son montant, car une telle pratique risque de donner lieu à des indemnités d’éviction dont les montants peuvent être disproportionnés. Ainsi, l’interrogation des juges de la Cour de cassation porte tout son sens dans la mesure où le désir de protéger la stabilité de l’activité commerciale du locataire du bail commercial en lui accordant une indemnité d’éviction en cas de renouvellement de son bail, ne doit pas impacter les droits du bailleur, en particulier son droit de propriété sur le bien immobilier qu’il loue au locataire.

À présent, le dernier mot revient au Conseil constitutionnel qui devra décider de la conformité de l’article L145-14 du Code de commerce à la constitution et au bloc de constitutionnalité. Une réponse négative de sa part marquerait une avancée juridique considérable en matière de statut des baux commerciaux dont l’indemnité d’éviction devra désormais être plafonnée afin de garantir le droit de propriété du bailleur.

Bail commercial : vers un plafonnement de l’indemnité d’éviction ?