Comment indemniser le locataire en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

Comment indemniser le locataire en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

Un arrêt intéressant de la Cour de cassation du 6 avril 2023 (publié  sous le numéro 19-14.118) est l’occasion de revenir sur les sanctions applicables en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance, dans le cadre particulier de la liquidation judiciaire du preneur.

Rappelons d’abord les grands principes applicables en matière de bail commercial.

L’article 1719 du Code civil énonce que le bailleur est obligé « par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et (…) d’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ».

C’est une obligation essentielle et inhérente à la nature du bail. Aucune clause ne peut y faire obstacle. L’idée est simple : si le preneur paye un loyer, ce ne peut être qu’en contrepartie de la mise à disposition d’un local propre à l’activité à laquelle il est destiné (conforme à sa destination). Le bailleur reste ainsi tenu à cette obligation de délivrance pendant toute la durée du contrat (Cass, civ, 3e, 10.09.2020, n°18.21.890).

Que peut faire le locataire en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

Là encore, ce sont les grands principes du droit commun qui s’appliquent.

Depuis la réforme du droit des contrats du 10 février 2016, le créancier d’une obligation est en droit d’en solliciter l’exécution forcée en nature. C’est l’article 1221 du Code civil qui gouverne la matière : « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

On sait que sous l’empire du droit antérieur, le créancier ne pouvait se satisfaire que de dommages-intérêts.

Poursuite de l’exécution forcée en nature signifie donc que le preneur peut solliciter l’exécution forcée du bailleur. En pratique, le preneur peut ainsi demander, sous astreinte judiciaire, la condamnation de son bailleur à remettre les lieux loués en l’état (s’ils sont encombrés ou qu’il ne peut accéder à son local commercial par exemple).

Le preneur peut aussi, si des travaux de remise en état du local sont nécessaires, mettre en demeure le bailleur de les exécuter ou les exécuter lui-même en sollicitant une condamnation du bailleur à lui rembourser les frais. Ces possibilités sont rappelées par l’article 1222 du Code civil :

« Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnable, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin.

Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction ».

Enfin, au titre de l’exception d’inexécution, le locataire peut toujours refuser de payer le loyer tant que les lieux ne sont pas exploitables, à condition de se faire autoriser judiciairement et que les manquements du bailleur soient d’une gravité suffisante.

Réparation des manquements du bailleur en cas de liquidation judiciaire du preneur

Dans l’affaire nous occupe (Civ. 3e, 6 avr. 2023, FS-B, n° 19-14.118) le preneur reprochait à son bailleur de n’avoir pas réalisé les travaux nécessaires pour rendre le local conforme à son activité.

En substance, les faits étaient le suivant : une société avait acquis un fonds de commerce en mars 2008 dans des locaux dont l’état était à priori catastrophique. Elle avait donc assigné son bailleur l’année suivante (2009) pour réalisation des travaux requis et indemnisation du préjudice résultant de leur non-accomplissement.

Le tribunal de grande instance saisi avait ordonné une expertise avant dire droit, afin de déterminer la nature des désordres allégués, le coût des travaux nécessaires pour les régler, et le préjudice subi par le locataire.

Toute la difficulté vient de ce que le locataire était tombé entre temps en liquidation judiciaire.

En cours de procédure collective, le mandataire liquidateur avait donc modifié les demandes de la société locataire : plutôt que de solliciter la condamnation du bailleur à effectuer les travaux (exécution en nature) il sollicitait sa condamnation au paiement du coût desdits travaux.

Le tribunal refusait de donner droit au preneur : il lui allouait, par jugement du 28 septembre 2015, une indemnité minimaliste de 10.000 euros, mais refusait de condamner le bailleur pour le coût des travaux (non réalisés…) et la perte d’exploitation du locataire (TGI Perpignan, 28 sept. 2015, n° 09/05352).

Si la cour d’appel réformait le jugement (CA Montpellier, ch. C, 22 janv. 2019, n° 15/07616),  allouant davantage au preneur, sa joie n’aura été que de courte durée, la Cour de cassation faisant droit aux pourvois formés par le bailleur. Explication et décryptage.

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S’agissant du coût des travaux de remise en état du local

La Cour de cassation (Civ. 3e, 6 avr. 2023, FS-B, n° 19-14.118) rappelle que, confronté à l’inexécution du bailleur au titre de son obligation de délivrance, le preneur ne peut former que deux types de demandes :

  • une demande indemnitaire pour se faire allouer des dommages-intérêts ;
  • une demande d’avance des sommes nécessaires à l’exécution des travaux de remise en état.

En l’espèce, la troisième chambre civile de la Cour de cassation reprochait aux juges du fond d’avoir confondu ces deux possibilités  « alors que le coût des travaux de remise en état des locaux ne constitue pas un préjudice indemnisable, mais une avance sur l’exécution des travaux » (arrêt commenté).

Or, pour se faire allouer une provision nécessaire à l’exécution des travaux, il convient de pouvoir les réaliser (Civ. 3e, 7 juill. 2016, n° 15-18.306). Ce ne pouvait naturellement être le cas s’agissant d’une société liquidée.

Le coût de ces hypothétiques travaux jamais réalisés ne pouvait donc pas être considéré comme une créance acquise au locataire et un préjudice réparable.

Et en ce qui concerne les pertes d’exploitation

Le preneur avait également sollicité la condamnation de son bailleur pour la perte de chance de réaliser un résultat d’exploitation prévisible si son affaire avait été exploitable. Il s’agit bien cette fois d’un préjudice indemnisable, soumis à l’appréciation des juges du fond (Civ. 1re, 16 juill.1991, n° 90-10.843).

Or en l’espèce, le préjudice du locataire n’avait pas été déterminé en fonction du chiffre d’affaires prévu, mais en fonction du prix du droit au bail.

Il n’en fallait pas moins pour que la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.

Il est vrai que, s’agissant d’une perte de chance d’exploiter favorablement l’activité, la valeur du droit au bail aurait dû rester étrangère à l’appréciation du préjudice. Seuls auraient dû être pris en compte les résultats espérés par le locataire dans le cadre de son exploitation.

Si l’on comprend l’arrêt de la Cour de cassation, on peut regretter pour le preneur la maladresse de ses avocats :plutôt que de chiffrer le préjudice subi en fonction de la valeur du droit au bail, ils auraient dû retenir le chiffre d’affaires espéré si l’activité avait été possible.

On peut raisonnablement estimer que si le preneur avait su démontrer un chiffre d’affaires potentiel (par exemple avec un business plan crédible, argumenté et chiffré), il aurait cette fois pu solliciter l’indemnisation au titre de la perte de chance d’atteindre ses objectifs.

Indemniser le locataire en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

Par Baptiste Robelin, avocat expert en droit immobilier

Indemniser le locataire en cas de manquement du bailleur à son obligation de délivrance ?

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