Dans un arrêt récent du 27 juin 2024 (Cass, Civ, 3e, 22-22.823) la Cour de cassation rappelle qu’un contrat de prestations de services diffère d’un bail et n’est pas régi par les dispositions des articles L.145-1 et suivants du Code de commerce régissant le statut des baux commerciaux.
Dans l’arrêt d’espèce, le bailleur avait conclu un bail commercial avec un preneur, qui de son côté avait conclu des contrats de prestations de services pour diverses entreprises utilisant des locaux à usage de bureaux avec d’autres services associés (on peut imaginer : internet, ménage, salles de réunion, etc.).
Le bailleur avait initié une action contre son locataire aux fins de solliciter une hausse du loyer sur le fondement de l’article L. 145-31 alinéa 3 du Code de commerce, lequel dispose, pour rappel, que :
« Lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation correspondante du loyer de la location principale, augmentation qui, à défaut d’accord entre les parties, est déterminée selon une procédure fixée par décret en Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article L. 145-56 ».
La règle prévue par ces dispositions a notamment pour objet de faire obstacle à la possibilité pour un preneur de sous-louer son local pour un montant de loyer supérieur à celui du loyer principal.
Toutefois, pour que ces dispositions s’appliquent, encore faut-il que le sous-contrat soit qualifié de bail commercial et entre dans le champ d’application du statut des baux commerciaux
Ce n’était pas le cas en l’espèce, le preneur mettant à disposition de ses occupants non seulement un espace de bureaux, mais également une somme de services destinés à leur activité.
La rédaction de l’arrêt est d’une grande clarté et mérite d’être citée en intégralité :
« Vu les articles 1709 du Code civil et L. 145-31, alinéa 3, du code de commerce :
- Aux termes du premier de ces textes, le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer.
- Aux termes du second, lorsque le loyer de la sous-location est supérieur au prix de la location principale, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation du loyer de la location principale, dont le montant, à défaut d’accord entre les parties, est déterminé selon une procédure fixée par décret en Conseil d’Etat, en application des dispositions de l’article L. 145-56 du code du commerce.
- La qualification de sous-location, au sens de l’article L. 145-31 du code de commerce, est exclue lorsque le locataire met à disposition de tiers les locaux loués moyennant un prix fixé globalement, qui rémunère indissociablement tant la mise à disposition des locaux que des prestations de service spécifiques recherchées par les clients.
- Pour retenir la qualification de sous-location et faire droit à la demande de réajustement de loyers, l’arrêt relève que les contrats de mise à disposition d’un bureau aux entreprises mentionnent précisément le numéro de bureau ainsi que sa surface, qu’ils prévoient une contrepartie financière fixée notamment en fonction de la superficie du bureau et pas seulement par la prestation de services, que les entreprises ont un accès permanent à leur bureau, qu’elles s’engagent à le maintenir dans un bon état d’entretien et en assurent la fermeture et que la durée des contrats est fixée à un mois mais renouvelable par tacite reconduction.
- Il en déduit que la prestation essentielle du contrat est la mise à disposition de bureaux à des tiers, de manière exclusive et sans limitation dans le temps, dès lors que les prestations fournies comme l’entretien, l’accueil, la sécurité, l’assurance et la wifi ne sont qu’accessoires à la fourniture de bureaux équipés.
- En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la redevance fixée globalement rémunérait indissociablement tant la mise à disposition de bureaux équipés que les prestations de service spécifiques recherchées par les clients, la cour d’appel, par des motifs impropres à caractériser des contrats de sous-location au sens de l’article L. 145-31 du code de commerce, a violé les textes susvisés. » (Cass, Civ, 3e, 22-22.823).
On comprend à la lecture de l’arrêt que le bailleur avait tenté, pour faire appliquer le statut des baux commerciaux, de faire valoir que son preneur sous-louait les bureaux à titre principal et que les services annexes proposés n’étaient qu’accessoires. Le bailleur invoquait notamment que le fait que le prix de la location différait selon la surface occupée.
Mais la Haute Cour considère que la mise à disposition d’espaces de travail et les services associés formaient une sorte de tout indivisible et que « la redevance fixée globalement rémunérait indissociablement tant la mise à disposition de bureaux équipés que les prestations de services spécifiques recherchées par les clients ».
Cette jurisprudence est conforme aux précédentes décisions rendues par la Cour de cassation en la matière.
Ce n’est pas la première fois que des décisions sont rendues en matière d’activités de bureaux et d’espaces de coworking (activité particulièrement dans l’air du temps).
Mais le même raisonnement a déjà été rendu pour d’autres activités, par exemple dans le cas d’un contrat de mise à disposition d’une salle avec un disc-jockey, incluant la prise en charge de formalités administratives (Civ. 3e, 16 mai 2000, n° 98-19.427) ou d’un contrat de mise à disposition de surfaces et de matériels avec prestations de services pour un studio d’enregistrement (Civ. 3e, 7 nov. 2001, n° 00-14.595, AJDI 2002. 132)
De même, il a été jugé qu’un garage automobile qui met à la disposition de ses clients des emplacements avec des prestations de services ne consent pas une sous-location (Civ. 3e, 30 avr. 1969, AJPI 1970. 332).
Il n’y a pas non plus de sous-location lorsque le locataire développe une activité hôtelière ou de résidence de tourisme (Civ. 3e, 13 sept. 2011, n° 10-21.087, Cass, Civ, 3e, 15 avr. 2015, n° 14-15.976) :
Pour statuer en ce sens, la Cour de cassation retient que la mise à disposition d’espaces doit être indissociable dans la convention d’autres services associés, en sorte que la redevance rémunère bien un tout indivisible.
On peut ainsi imaginer que la décision ne serait pas la même si les services proposés étaient tous optionnels pour le client, qui pourrait « se borner » à louer un espace, sans services associés.
Dès lors en revanche que les redevances réglées comprennent bien services et mise à disposition d’espaces, il semble que la jurisprudence soit parfaitement claire et établie : les contrats de prestations de services n’entrent pas dans le champ d’application des baux commerciaux.