L’exercice du droit de repentir par le bailleur d’un bail commercial
Comme nous l’avons vu précédemment, le droit de repentir du bailleur d’un bail commercial est codifié à l’article L145-58 du Code de commerce, lequel dispose que :
« Le propriétaire peut, jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle la décision est passée en force de chose jugée, se soustraire au paiement de l’indemnité, à charge par lui de supporter les frais de l’instance et de consentir au renouvellement du bail dont les conditions, en cas de désaccord, sont fixées conformément aux dispositions réglementaires prises à cet effet. Ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. »
A l’aune de ces dispositions, l’on constate que le droit de repentir ne peut s’exercer que sous certaines conditions.
• La première condition, temporelle
Tout d’abord, si le bailleur souhaite bénéficier de son droit de repentir, il doit le faire signifier dans un délai de 15 jours à compter du moment où la décision fixant l’indemnité d’éviction est passée en force de chose jugée. Le bailleur n’est cependant pas obligé d’attendre qu’une décision soit rendue et peut en réalité exercer son droit de repentir à tout moment et donc, jusqu’à 15 jours après qu’une décision soit passée en force de chose jugée.
Pour rappel, une décision est considérée comme « passée en force de chose jugée » dès lors qu’elle n’est plus susceptible d’aucun recours. C’est notamment le cas lorsque le délai d’appel a expiré (voir par exemple les arrêts en date du 29 septembre 1999 rendus par la 3e chambre civile de la Cour de cassation – n° 97-13.423 et n° 96-17.280).
• La deuxième condition alternative : la signature d’un nouveau bail par le locataire ou la construction d’un immeuble destiné à sa réinstallation
La dernière partie de l’article L145-58 du Code de commerce précise que « ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire […] n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation ».
Sur cette condition, plusieurs jurisprudences soulignent qu’en cas de départ du locataire et de réinstallation dans un nouveau local, qu’il soit acheté́ ou loué, le droit de repentir ne peut plus être exercé par l’ancien bailleur. Ainsi, selon un arrêt du 29 mars 1979, le propriétaire ne peut « plus se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction lorsque le locataire a déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation » (Arrêt en date du 29 mars 1979 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation – n° 77-14.744)
Une autre décision en ce sens a également été rendue par la 3e chambre civile de la Cour de cassation pour le cas plus précis de la construction d’un immeuble prise à l’initiative du locataire pour y transférer son activité tout en y conservant sa clientèle (arrêt en date du 26 janvier 1994 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation – n° 91-20.011)
Il est cependant important de préciser que le simple fait pour un locataire d’avoir indiqué à son bailleur son souhait de libérer les locaux ne peut priver le bailleur de son droit de repentir (voir par exemple l’arrêt en date du1er octobre 2014 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation – n° 13-17.114). C’est donc bien la réinstallation effective du locataire qui prive le bailleur de la possibilité d’exercer son droit de repentir.
• La troisième condition alternative : la présence du locataire dans les lieux
Il reste primordial de préciser que dans le cas où le locataire est encore dans les lieux objet du premier bail, le simple fait que le locataire ait signé un nouveau contrat de bail avec une personne tierce (ou construit un immeuble) destiné à sa réinstallation, ne permet pas au bailleur de lui empêcher de jouir de son droit de repentir.
Ce principe est tiré de l’arrêt du 1er juin 1999 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 97-22.008).
Est en effet souligné par cet arrêt le caractère alternatif et non cumulatif de la dernière partie de l’article L145-58 du code de commerce quand il dispose que « Ce droit ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation. ». Ainsi si le locataire est encore dans les lieux, la preuve de la conclusion d’un nouveau bail ne saurait priver le bailleur de son droit de repentir.
Une autre difficulté apparait alors concernant la notion de présence du locataire dans les lieux. En effet, comment caractériser le fait que le « locataire est encore dans les lieux » ? La Cour de cassation a tranché la question assez sévèrement dans un arrêt du 7 octobre 1998 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n° 96-22.345), considérant que le locataire était encore dans les lieux dès lors qu’il avait laissé dans le local du matériel nécessaire à l’exploitation (alors que le locataire arguait en l’espèce qu’il avait déjà déménagé).
Aussi, le locataire qui souhaite quitter le local et priver le bailleur de la possibilité d’exercer son droit de repentir, doit se ménager les preuves de son départ effectif, par un réel déménagement et la remise des clés à son bailleur.
Notons cependant que la question n’est pas toujours claire en matière de jurisprudence : ainsi, si la haute cour a pu considérer que le preneur avait bien déménagé en remettant les clés à son bailleur (voir par exemple un arrêt de la 3e chambre civile du 2 février 2000, n° 97-21.840) elle a dans le même temps pu considérer que cette remise des clés n’était pas suffisante dans le cas où le preneur avait en l’espèce laissé du matériel dans son ancien local (arrêt en date du 29 novembre 2000 rendu par la 3e chambre civile de la Cour de cassation (n° 99-14.361).