Par Maître Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial et cession de fonds de commerce.

Dans le cadre d’un bail commercial, le local nécessite souvent des travaux d’entretien, de réparation, voire même d’aménagement. Le prix des travaux est payé soit par le bailleur, soit par le preneur en fonction de la nature des travaux.

En principe, les grosses réparations sont à la charge du bailleur. Toutefois, cette qualification n’est pas claire, et la jurisprudence est venue préciser quels travaux constituaient des grosses réparations et quels travaux n’en constituaient pas. À l’inverse, le preneur n’a à sa charge que les travaux d’entretien courant des locaux et des fournitures/équipements mis à sa disposition.

La répartition des charges des travaux d’un bail commercial entre bailleur et locataire

Les grosses réparations à la charge du bailleur

La nouveauté du décret de 2014

Antérieurement à la loi n°2014-626 du 18 juin 2014, et de son décret d’application n°2014-1317 du 3 novembre 2014, les travaux de l’article R. 145-35 du Code de commerce étaient à la charge du bailleur à moins que le contrat ne vienne expressément stipuler qu’elles seraient à la charge du preneur. Il s’agissait des grosses réparations, et des travaux relatifs à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué, dès lors qu’ils relèvent des grosses réparations de l’article 606 du Code civil.

Les grosses réparations sont définies par l’article 606 du Code civil comme étant celles portant sur les gros murs et les voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, ainsi que celui des digues, des murs de soutènement, et des clôtures.

De manière plus globale, si les réparations concernent la structure de l’immeuble ou sa solidité générale, alors elles rentreront dans le champ de l’article 606 du Code civil [1], de même si la réparation envisagée tend à remédier à un désordre grave qui, soit porte atteinte à l’un des éléments essentiels de l’immeuble, soit, par sa généralité, l’affecte dans son existence ou sa destination [2].

Depuis la loi Pinel, ces dispositions mettant à la charge du bailleur les grosses réparations sont d’ordre public, il n’est donc plus possible de distribuer contractuellement la charge des travaux autrement. Toutefois, la jurisprudence rendue sous l’empire de la loi ancienne n’est pas totalement à écarter en ce qu’elle a permis d’établir quels travaux relèvent des grosses réparations.

L’application dans le temps du décret de 2014

S’agissant de l’application de la loi dans le temps, les nouvelles dispositions législatives complétées par le décret touchant la répartition des travaux entre bailleur et locataire sont applicables aux contrats conclus postérieurement à la date d’entrée en vigueur de celui-ci, ainsi qu’aux contrats postérieurement renouvelés.

Les interprétations jurisprudentielles

Encore une fois, les interprétations de la jurisprudence furent rendues sous l’empire de la loi ancienne, et rien n’assure le maintien de l’approche extensive des travaux de l’article 606 du Code civil.

La toiture

La réfection de la toiture qui n’est pas étanche et qui n’assure pas la couverture des locaux est à la charge du bailleur [3]. La réfection de la toiture et la consolidation des piliers et des murs incombent au bailleur ; il doit même reconstruire le bâtiment démoli lorsque le dommage n’est survenu qu’en raison de son manquement à assurer une jouissance paisible des locaux loués [4]. En l’espèce, l’état déplorable de la toiture avait permis la destruction du local suite à une tempête. En d’autres termes, le bailleur assure les grosses réparations, celles du clos et du couvert, ainsi que les réparations des dommages qui pourrait résulter d’un manquement à cette obligation.

À l’inverse, les désordres de la toiture-terrasse et plancher sont à la charge du preneur, en ce qu’ils relèvent, en réalité, de l’obligation d’entretien des locaux qui lui incombe [5]. Idem pour une trentaine de vitres cassées, dont la réparation ne peut pas être qualifiée de grosse, qui s’inscrit dans l’obligation d’entretien du preneur [6].

Les façades

La jurisprudence de la répartition des charges des travaux concernant les façades est nourrie d’incertitudes.

D’abord, la jurisprudence retenait sous l’empire de la loi ancienne que le preneur pouvait prendre à sa charge la peinture de la façade, ainsi que tous les travaux de ravalement qui ne portaient pas atteinte à la structure de l’immeuble ou à sa solidité [7].

À l’inverse, ne pouvaient être mis à la charge du preneur les travaux de ravalement comprenant de la maçonnerie [8], un traitement au silicone ou la pose de tôle [9].

Puis, la Cour de cassation retint que les dépenses de ravalement incombent, sauf stipulation expresse contraire, au bailleur [10]. Cette solution remet en cause la distinction qu’opérait la Cour de cassation entre les travaux d’entretien et les travaux touchant à la structure de l’immeuble pour déterminer le débiteur des travaux : s’il fallait que figurent au bail commercial les stipulations expresses permettant de déroger aux dispositions légales, c’est que les travaux de ravalement étaient mis à la charge du bailleur et que, sous l’empire de la loi nouvelle, il ne serait plus possible d’y contrevenir.

De ces sinuosités, il apparaît la solution suivante : pour les baux commerciaux conclus ou renouvelés avant le décret de 2014, il est possible que l’ancienne distinction soit toujours opérante. Pour les autres, il est peut-être plus prudent de retenir qu’ils seront à la charge du bailleur.

Subsidiairement, il ne peut être mis à la charge du preneur les travaux visant les graffitis apposés dans les parties communes de l’immeuble, ne relevant ni de l’obligation d’entretien courant, ni des dépenses relatives aux fournitures consommables. Le propriétaire doit seul supporter leur effacement [11].

Les travaux d’équipement

1. Les eaux usées

En vertu de l’article 1756 du Code civil, le curage des puits et celui des fausses d’aisance sont à la charge du bailleur, mais la jurisprudence ajoute que les dépenses d’entretien du réseau d’évacuation des eaux usées pèsent sur le preneur [12].

2. La climatisation

Concernant la mise en place d’un système de climatisation : il faut distinguer. L’installation d’une climatisation individuelle n’est pas à la charge du bailleur. Mais pour le système de climatisation permettant le chauffage et le refroidissement d’un immeuble entier, la Cour de cassation retient que ces travaux relèvent en réalité de l’obligation faite au bailleur de délivrer une chose propre à l’usage et d’en assurer paisible jouissance conformément à l’article 1719 du Code civil. La haute juridiction précise, par ailleurs, qu’il s’agit de grosses réparations pour lesquelles le décret interdit qu’elles soient mises contractuellement à la charge du preneur [13].

3. Le chauffage

Concernant le chauffage lui-même, comme pour les façades, aucune solution certaine ne se dégage.

Dans un premier temps, la Cour de cassation soutint que le remplacement de canalisation n’entrait pas dans le champ de l’article 606 du Code civil [14]. En réalité, cette décision date de l’époque où la Haute juridiction interprétait la liste de l’article 606 comme limitative.
Dans un second temps, comme pour les façades, les travaux concernant le chauffage collectif ne pouvaient être mis à la charge du preneur qu’à l’existence d’une clause expresse dans le contrat de bail commercial [15]. Donc, en suivant un raisonnement analogue, il convient certainement de retenir qu’en principe ces travaux pèsent sur le bailleur, et qu’il ne sera plus possible pour les parties d’en répartir autrement la charge.

4. L’électricité

Toujours incertaine, la jurisprudence a tantôt retenu que la réfection de l’installation électrique relevait de l’article 606 du Code civil et était donc à la charge du bailleur [16], et tantôt retenu que sa mise en conformité pouvait peser sur le preneur [17]. Il convient certainement d’apprécier l’ampleur des travaux à effectuer puisqu’elle retient encore que la réfection de l’installation électrique non conforme et vétuste pouvait relever de l’obligation faite au bailleur de délivrer au preneur une chose en état de servir de l’article 1719 du Code civil [18].

Mais deux décisions furent rendues après la publication du décret. Pour la première, les travaux d’installation électrique pèsent sur le preneur lorsque le bail porte sur un local vide et que le preneur accepte de prendre les lieux en l’état au jour de l’entrée en jouissance [19]. Pour la seconde, s’il existe une clause mettant à la charge du preneur le branchement et l’abonnement, celle-ci ne peut être interprétée que strictement : il ne peut s’agir que du raccordement à l’alimentation, à l’exclusion, donc, des branchements en limite de propriété dont le coût serait disproportionné eu égard au montant du loyer [20].

Les travaux restant à la charge du preneur

Au demeurant, les travaux d’entretien courant sont mis à la charge du preneur, et les travaux d’embellissement, qu’il s’agisse des grosses réparations ou de travaux relatifs à la vétusté ou à la mise en conformité du bien loué, incombent au preneur dès lors que leur montant excède le coût du remplacement à l’identique.

Les travaux d’entretien courant sont définis par le décret 87-712 du 26 août 1987. Dans les cas mentionnés ci-dessous, le preneur n’a à sa charge que l’entretient. Si une réparation est nécessaire parce qu’un dommage résulte de la vétusté de l’équipement, alors il incombe au bailleur de supporter la réparation, quand bien même la réparation serait normalement à la charge du locataire.

L’entretien des parties extérieures

Lorsque le locataire en a l’usage exclusif, il est tenu de l’entretien des jardins, des allées, de la piscine ou encore des haies, etc…

L’entretien des ouvertures intérieures et extérieures

Le locataire est tenu de changer les vitres cassées, de graisser les charnières, ou encore de changer les poignées de portes. Il doit s’occuper de maintenir l’équipement en état de fonctionner. Mais il n’est pas tenu de remplacer un store ou un volet qui serait abîmé, ni même de faire refaire le portail d’entrée.

L’entretien des parties intérieures

A l’intérieur du local, le preneur doit maintenir en état de propreté les murs, la peinture, les tapisseries, et également les matériaux de revêtement comme la faïence ou les mosaïques. Il s’occupe aussi de l’entretien de la vitrification du parquet, ou même de la pose de quelques lames et il peut lui être demandé de s’occuper des raccords de moquettes notamment en cas de taches et de trous.

L’entretien de la plomberie et de l’installation électrique

Tous les éléments relatifs aux canalisations (la robinetterie, les tuyaux, les joints, les colliers, etc…), relatifs à l’installation électrique (les ampoules, les interrupteurs, les prises, les tubes lumineux, etc…) et la chaudière sont à la charge du preneur.

Dans l’exemple fréquent de la fuite d’eau : si la fuite est spontanée, elle est à la charge du preneur. Mais si elle résulte en réalité de la vétusté du tuyau, alors le bailleur payera la réparation.

L’entretien des équipements ménagers

Le preneur a à sa charge l’entretien courant et les menues réparations des appareils tels que réfrigérateurs, machines à laver le linge et la vaisselle, sèche-linge, hottes aspirantes, adoucisseurs, capteurs solaires, pompes à chaleur, appareils de conditionnement d’air, antennes individuelles de radiodiffusion et de télévision, meubles scellés, cheminées, glaces et miroirs.

L’entretien des parties communes

Enfin, dans un ensemble immobilier, les dispositions de l’article R. 145-40-2 du Code de commerce prévoient que la répartition des charges ou du coût des travaux entre les différents locataires occupant cet ensemble se fait au prorata de la surface exploitée. Cette disposition n’est pas d’ordre public car la répartition peut être pondérée contractuellement selon l’article R. 145-5, 5°.

De plus, ne sont plus imputables au locataire qui n’est pas directement concerné, les travaux imputables à d’autres locataires ou relatifs à des locaux vacants, dans un ensemble immobilier.

Notes

[1] Civ. 3ème, 13 juillet 2005 : JurisData n°2005-029471.

[2] Bordaux, 1ère chambre, 28 novembre 1988 : JurisData n° 1988-046283.

[3] Civ. 3ème, 23 mars 2005, n°03-18.671.

[4] Civ. 3ème, 25 janvier 2006, n°04-18.672, bull. civ. III, n°20.

[5] Civ. 3ème, 24 février 2004, n°02-18.948.

[6] Civ. 3ème, 2 mai 2012, n°11-16.266, AJDI 2012, p. 420.

[7] CA Paris, 19 octobre 2011, n°10/04543, SARL Art Organisation Groupe d’études et d’entreprises agissant c/ Mademoiselle Hélène Frotier de La Messelière, AJDI 2012, p. 662.

[8] Civ. 3ème, 31 mars 1998, n°96-15.862.

[9] Civ. 3ème, 12 avril 1995, n°93-12.849, bull. civ. III, n°103.

[10] Civ. 3ème, 19 décembre 2012, n°11-25.414, bull. civ. III, n°188.

[11] Civ. 3ème, 17 juillet 1997, n°95-16.100, bull. civ. III, n°165.

[12] Civ. 3ème, 21 février 1996, n°94-14.000.

[13] CA Versailles, 2 octobre 2001, SARL DKV Euro Service France c/ Sté Hornby Road ; Civ. 3ème, 10 février 1999, n°97-13.096.

[14] Civ. 3ème, 27 novembre 2002, n°01-12.816, bull. civ. III, n°23.

[15] Civ. 3ème, 6 mars 2013, n°11-27.331, bull. civ. III, n°34.

[16] Civ. 3ème, 13 juillet 2005, n°04-13.764, bull. civ. III, n°155.

[17] CA Paris, 14 mars 2017, n°06/04582, Chambelland c/ SARL Aux délices Fertois.

[18] Civ. 3ème, 9 novembre 2010, n°09-69.762, AJDI 2011, p. 205.

[19] CA Nîmes, 6 novembre 2014, n°13/03346.

[20] CA Paris, 15 mars 2017, n°15/00941, AJDI 2017, p. 677.