Par un arrêt du 3 février 2021, le Conseil d’État est venu rappeler l’obligation pour le titulaire d’un marché public de transmettre une copie de son mémoire en réclamation au maître d’œuvre (CE, 3 février 2021, Société Can, n°442844).

Dans les faits, le Grand port maritime de Marseille avait conclu avec la société Can un marché public portant sur des travaux de dragage et d’entretien des bassins du port.

Toutefois, avant que les travaux aient débuté, la société Can a demandé la résiliation du marché public en raison d’un ordre de service émis tardivement.

Cette demande de résiliation a été refusée par le Grand port maritime de Marseille.

Par conséquent, la société Can lui a adressé un mémoire contestant le refus de résiliation du contrat et demandant l’indemnisation de son préjudice.

Mais, le Grand port maritime de Marseille a finalement résilié le contrat aux torts de la société.

Cette dernière a donc saisi le tribunal administratif pour obtenir la requalification de la décision de résiliation pour ordre de service tardif (et non à ses torts), et l’indemnisation de son préjudice.

Marché public, résiliation pour ordre de service tardif et indemnisation

Marché public, résiliation pour ordre de service tardif et indemnisation

En cas d’ordre de service tardif, le titulaire peut demander la résiliation du marché

Pour mémoire, on rappellera à toutes fins utiles que le titulaire d’un marché public ne peut pas, en principe, prendre l’initiative de résilier un marché, même en cas de faute commise par l’administration. Néanmoins, il est possible d’inclure au contrat une clause autorisant la résiliation par le titulaire, dès lors notamment que le contrat n’a pas pour objet l’exécution du service public (CE, 8 oct. 2014, Société Grenke Location, n°370644 ; CE, 19 juillet 2016, Société Schaerer Mayfield France, n°399178).

En l’espèce, le marché conclu entre le Grand port maritime de Marseille et la société Can étant un marché public de travaux, faisait référence aux dispositions du Cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG) de 2009.

Le CCAG prévoit la possibilité, à son article 46.2.1, pour le titulaire du marché public de demander la résiliation de celui-ci, lorsque l’ordre de service permettant le commencement des travaux n’a pas été notifié dans le délai fixé au marché.

Cet article prévoit également que, dans ce cas de figure, l’administration ne peut refuser la résiliation demandée par le titulaire.

Dans cette affaire, c’est sur ces dispositions et cette possibilité que s’était fondée la société Can était pour demander la résiliation du contrat pour ordre de service tardif.

Résiliation pour ordre de service tardif et indemnisation du titulaire

Le titulaire d’un marché public ne pourra pas être indemnisé en cas de résiliation s’il n’a pas adressé copie de son mémoire en réclamation au maître d’œuvre

Dans l’hypothèse où la résiliation est à son initiative, le CCAG-Travaux prévoit en son article 46.2.1 que le titulaire peut se faire indemniser des frais et investissements éventuellement engagés pour le marché et nécessaires à son exécution.

A cette fin, il doit présenter une demande écrite dans les 2 mois suivant la notification de la décision de résiliation.

L’intérêt de la décision commentée réside alors dans le fait qu’en cas de litige concernant cette demande indemnitaire, ce sont alors les dispositions du CCAG-Travaux relatives au règlement des différends, en particulier l’article 50.1.1, qui ont vocation à s’appliquer, contrairement à ce qu’avait pu juger la Cour administrative d’appel.

Pour mémoire, l’article 50.1.1 du CCAG-Travaux prévoit que :

  • En cas de différend entre le titulaire et le maître d’œuvre/représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire doit rédiger un mémoire en réclamation dans lequel il exposera les motifs du différend et le montant de ses réclamations ;
  • Le titulaire doit adresser ce mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur ainsi qu’une copie au maître d’œuvre.

Cependant, l’article 46.2.1 ne prévoit pas qu’il soit nécessaire d’établir et d’adresser un tel mémoire au maître d’œuvre, dans une telle hypothèse ; ni ne renvoie aux dispositions du CCAG-Travaux en ce sens.

C’est pour cette raison que la Cour administrative d’appel avait estimé l’absence d’établissement d’un mémoire en réclamation ne constituait pas, « dans les circonstances très particulières de l’espèce », être regardée comme une formalité substantielle et de nature, en conséquence, à affecter la recevabilité de sa réclamation, « dès lors que si la résiliation litigieuse du contrat avait été prononcée par le Grand port maritime de Marseille aux torts de la société requérante, cette décision faisait suite à une demande de résiliation de sa part, qui aurait dû être traitée dans le cadre de la procédure de l’article 46.2.1 du cahier des clauses administratives générales, laquelle n’impose pas l’envoi d’une copie de la demande d’indemnisation au maître d’œuvre » (CAA Marseille, 15 juin 2020, Grand Port Maritime de Marseille, n°17MA04818).

Le Conseil d’État a écarté l’interprétation de la Cour administrative d’appel de Marseille, pour erreur de droit, et considère au contraire que l’obligation de copie prévue par l’article 50.1.1 du CCAG s’applique pour la demande d’indemnisation faite au titre de l’article 46.2.1 :

« les stipulations de l’article 46.2.1 ne sauraient avoir pour effet de dispenser le titulaire de respecter la formalité prévue par les stipulations de l’article 50.1.1 du CCAG lorsqu’il transmet au maître d’ouvrage une réclamation en application de ces dernières stipulations, quand bien même il aurait préalablement demandé la résiliation du marché pour ordre de service tardif »

En conséquence, le Conseil d’État précise ici le caractère obligatoire de la transmission d’une copie du mémoire en réclamation au maître d’œuvre, pour obtenir réparation de son préjudice en cas de résiliation.

L’arrêt d’appel est par conséquent annulé et l’affaire est renvoyée devant le Cour administrative d’appel.