Si les candidats à l’attribution d’un marché public sont naturellement tentés de présenter l’offre la plus basse possible afin que celle-ci soit considérée comme « économiquement la plus avantageuse », cependant le risque existe que l’offre soit perçue comme « anormalement basse ».

Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué, ce qui révèle « l’incapacité technique de l’entreprise » à exécuter le marché (CE 15 avril 1996, Commune de Poindimie, n°133171) et qui est susceptible « de compromettre la bonne exécution du marché » (CE 29 janvier 2003, Département d’Ille et Vilaine, n°208096).

En ce sens, l’article L. 2152-5 du Code de la commande publique dispose qu' »Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché« .

Les articles R2152-3 à R2152-5 du Code de la commande publique précisent les conditions dans lesquelles l’acheteur doit analyser et traiter les offres anormalement basses.

Marché public et offre anormalement basse

Marché public et offre anormalement basse

L’identification de l’offre anormalement basse, mission du pouvoir adjudicateur

L’article L. 2152-6 du Code de la commande publique impose à l’acheteur de  mettre en œuvre « tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses ».

Les conclusions de l’avocat général Colomer sur l’affaire Impresa Lombardini (CJCE 27 novembre 2001, n°s C-285/99 et C-286/99) précisent que « Le pouvoir adjudicateur doit vérifier les offres qu’il considère anormalement basses, afin de les rejeter et la décision d’exclusion ne peut être adoptée qu’après avoir donné au soumissionnaire la possibilité d’expliquer son offre, c’est-à-dire après une procédure contradictoire de vérification ».

Ainsi, lorsqu’une offre lui semble anormalement basse, l’acheteur doit exiger de l’opérateur économique qu’il lui fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre.

Si, après vérification de ces justifications, l’acheteur établit que l’offre présentée est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat.

Pourquoi rejeter une offre anormalement basse ?

L’article R. 2152-4 du Code de la commande publique prévoit que l’acheteur rejette l’offre comme anormalement basse dans les cas suivants :

  • Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ;
  • Lorsqu’il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu’elle contrevient en matière de droit de l’environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables, par le droit de l’Union européenne ou par les stipulations des accords ou traités internationaux notamment.

Résultant d’une sous-estimation manifeste du prix d’un contrat, l’offre anormalement basse pourrait conduire le cocontractant à réaliser des économies sur la qualité des matériaux employés, à dépasser les délais ou encore à solliciter le versement d’une rémunération complémentaire lors de la phase d’exécution du contrat, autant d’aléas que l’acheteur préfère éviter.

De surcroît, certaines entreprises à l’agonie, proches du dépôt de bilan, pourraient être tentées de présenter une offre très compétitive afin de remporter un marché quoi qu’il en coûte…

Le risque pour l’acheteur serait alors que l’entreprise s’avère dans l’incapacité de respecter ses obligations contractuelles, et compromette ainsi la bonne exécution du marché.

Mais si le pouvoir adjudicateur est tenu d’écarter les offres anormalement basses, c’est également pour éviter de « remettre en cause le jeu de la concurrence ou la bonne gestion des deniers publics » (Rép. Min. à QE n°80419, JOAN 21 septembre 2010, p. 10334).

Quels sont les critères susceptibles d’être pris en compte pour apprécier le caractère anormalement bas d’une offre ?

Il ressort de l’article R. 2152-3 du Code de la commande publique que l’acheteur peut notamment prendre en compte, afin de déterminer le caractère anormalement bas d’une offre :

  • le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ;
  • les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ;
  • l’originalité de l’offre ;
  • la réglementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d’exécution des prestations ;
  • l’obtention éventuelle d’une aide d’État par le soumissionnaire.

L’emploi de l’adverbe « notamment » par le texte a conduit la jurisprudence à considérer cette liste comme non exhaustive (CJCE 27 novembre 2001 Impresa Lombardini préc.).

Partant, le soumissionnaire peut présenter, à l’appui de son offre, toute justification qu’il estime appropriée (TA Rennes, ord. 24 mars 2010, Société R2AE, n°1000912).

La jurisprudence administrative a dégagé un faisceau d’indices permettant d’identifier les offres pouvant apparaitre comme anormalement basses (TA Lyon 8 mars 2012, Société Arnaud Démolition, n°0907450).

Ainsi, dans le cadre de son analyse de l’offre, le pouvoir adjudicateur peut ainsi se fonder sur :

  • Les offres des autres candidats (CAA Marseille, 12 juin 2006, SARL Stand Azur, préc.) ;
  • Les tarifs pratiqués par le candidat ayant proposé l’offre, notamment s’ils sont accessibles en ligne (TA Cergy-Pontoise ord. 18 février 2011 SCP Claisse et associés, n°1100716) ;
  • Les moyennes nationales (CAA Marseille, 27 juin 2002, Syndicat d’agglomération nouvelle du Nord-Ouest de l’Etang de Berre, n°00MA01402) ;
  • L’estimation de l’administration (TA Toulouse, ord. 23 novembre 2010, Société FM Projet, n°1004555).

On précisera que l’appréciation du caractère anormalement bas ou non de l’offre se fait de manière globale (CE 13 mars 2019, Société Sépur, n°425191).

Ainsi, en cas d’allotissement, le caractère anormalement bas de l’offre s’apprécie lot par lot (TA Cergy-Pontoise, ord. 14 mai 2012, Société Scoop communication, n°1203321).

Si en revanche le marché est constitué d’un lot unique, le caractère anormalement bas de l’offre est apprécié poste par poste (TA Versailles, ord. 18 novembre 2008, Société EGS et SPELCO, n°0810317).

Quels sont les critères qui ne permettent pas de caractériser une offre anormalement basse ?

En premier lieu, le seul critère mathématique de comparaison des prix entre eux ou à un seuil préalablement fixé, apparaît inopérant (TA Orléans 25 juin 2013, Bureau européen d’assurance hospitalière, n°1300187).

En effet, un écart de prix  entre les différentes offres ne saurait à lui seul faire regarder une offre comme suspecte : encore faut-il que la sous-estimation soit manifeste.

Ainsi, une offre inférieure à l’estimation du pouvoir adjudicateur ne sera pas considérée comme anormalement basse dès lors que les caractéristiques du marché permettaient la proposition d’un prix inférieur à l’évaluation de l’acheteur (TA Marseille ord. 1er septembre 2010, Société Effia Synergies, n°105303).

En revanche, une offre « nettement inférieure » au prix estimé des prestations sera considérée comme suspecte (TA Toulouse, ord. 23 novembre 2010, Société FM Projet, préc.).

Par suite, au-delà de la comparaison avec les autres offres, l’examen mené par le pouvoir adjudicateur doit porter sur les caractéristiques intrinsèques de l’offre ainsi que sur le candidat lui-même, en tenant compte notamment de la spécificité de son activité ou encore des prestations qu’il a pu exécuter dans le cadre de marchés antérieurs (TA Lille, ord. 25 janvier 2011, Société nouvelle SAEE, n°0800408).

Le juge administratif a récemment considéré que « des références récurrentes mais purement théoriques au salaire minimum interprofessionnel de croissance, aux prix pratiqués dans le secteur et aux offres des entreprises attributaires, ne sauraient suffire à établir que le prix proposé aurait été manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché »  (CAA Marseille, Société C Propre, 20 mai 2019, no 18MA01161).

Enfin, on relèvera que l’absence de facturation de certaines prestations du marché n’est pas à elle seule une circonstance suffisante pour caractériser une offre anormalement basse (CE 13 mars 2019, Société Sépur, n°425191).

Le nécessaire respect d’une procédure contradictoire ?

Aux termes de l’article R. 2152-4 du Code de la commande publique, l’acheteur rejette l’offre anormalement basse particulièrement lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés.

Ainsi, il appartient à l’acheteur qui identifierait une offre lui semblant anormalement basse de  « solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques » (CE, 29 oct. 2013, Département du Gard, n°371233), et cela afin de ne pas porter atteinte à l’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public.

En effet, si le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter une offre identifiée comme anormalement basse (CE 5 mars 1999, Président de l’Assemblée Nationale, n°163328) il ne peut cependant le faire qu’à la suite d’une procédure contradictoire, aux termes de laquelle il est tenu de formuler « clairement la demande adressée aux candidats concernés », afin que ces derniers soient mis en mesure de justifier le caractère sérieux de leurs offres (CJUE 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko, n°C-599/10).

Un délai raisonnable doit être laissé à l’entreprise candidate (CJCE, 10 févr. 1982, Transporoute, n°C-76/81) afin de présenter ses observations.

Il convient de préciser que cette obligation s’impose quelle que soit la procédure de passation retenue, le juge administratif pouvant sanctionner le non-respect de la procédure contradictoire dans le rejet d’une offre (CAA Douai 9 avril 2002, OPAC de l’Aisne, n°98DA02686).

Ainsi, l’acheteur ne saurait rejeter une offre comme anormalement basse au motif que le soumissionnaire n’aurait pas justifié son offre, alors même que l’acheteur ne l’aurait pas mis à même de présenter de telles justifications (CAA Bordeaux 7 avril 2005, Commune de Bordeaux, n°01BX00081).

Naturellement, l’absence de réponse d’un candidat à la demande d’explication adressée par l’acheteur autorise ce dernier à écarter son offre (CAA Bordeaux, 17 novembre 2009, SICTOM Nord, n°08BX01571).

Quel est le contrôle juridictionnel exercé sur l’appréciation d’une offre anormalement basse ?

L’appréciation du pouvoir adjudicateur est soumise à un contrôle restreint de l’erreur manifeste d’appréciation, autant quand l’offre est rejetée comme anormalement basse (v. par exemple CE 15 avril 1996, Commune de Poindimie, préc. ; CE 29 janvier 2003, Département d’Ille-et-Villaine, préc.) que lorsqu’elle est finalement considérée comme économiquement la plus intéressante (CE 1er mars 2012, Département de la Corse-du-Sud, n°354159 ; CE 17 juillet 2013, Département de la Guadeloupe, n°366864).

Commet ainsi une erreur manifeste d’appréciation le pouvoir adjudicateur qui rejette une offre comme anormalement basse alors même qu’ « à supposer (…) que son offre ait pu être perçue d’emblée comme anormalement basse au sens des dispositions précitées, la société (…), qui a fourni à l’office la décomposition de son prix entre les salaires, les charges sociales, le coût des produits utilisés et sa propre marge, a apporté (…) des justifications suffisantes quant à la viabilité économique de son offre » (CAA Marseille, Société C Propre, 20 mai 2019, préc.).

En revanche, le Conseil d’État a pu considérer qu' »il résulte de l’instruction que les précisions et justifications apportées par la société Chassaing TP ne sont pas suffisantes pour que le prix qu’elle a proposé pour chacun des trois lots ne soit pas regardé, d’une part, eu égard à l’ensemble des coûts nécessaires à la réalisation des prestations en cause, comme manifestement sous-évalué et, d’autre part, dans les circonstances de l’espèce, comme susceptible de compromettre la bonne exécution du marché » (CE, 14 mars 2023, Communauté d’agglomération du Grand Cahors, n°465456).

Par ailleurs, il va de soi que l’acheteur ne peut rectifier lui-même un prix jugé anormalement bas (CE 9 décembre 1994, M. Coenon, n°129677).

De quels recours dispose le candidat dont l’offre a été rejetée comme anormalement basse ?

L’outil juridictionnel privilégié pour la contestation du rejet d’une offre considérée comme anormalement basse est le référé précontractuel (tant que le contrat n’a pas encore été signé).

En effet, s’il ne peut se prononcer sur le bien-fondé du choix opéré par l’acheteur, le juge du référé précontractuel peut apprécier le caractère anormalement bas ou non d’une offre (CE 1er mars 2012, Département de la Corse-du-Sud ,préc.).

Quelles conséquences en cas de manquement lors de la phase de sélection des offres ?

[Actualisation]

Le Conseil d’État précise que si l’acheteur rejette irrégulièrement une offre au motif que l’offre est anormalement basse, le juge des référés ne peut annuler la procédure qu’à compter de l’examen des offres (CE, 2 mars 2022, Pôle Emploi, n°458019):

Ainsi, « Compte tenu du manquement ainsi relevé, qui se rapportait à la seule phase de sélection des offres par l’acheteur public, il appartenait au juge des référés de n’annuler la procédure qu’à compter de l’examen de ces offres« .

Autrement dit, en cas de rejet irrégulier d’une offre, le juge des référés n’annule pas la procédure dans son ensemble, mais uniquement la phase d’analyse des offres.

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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