
Rapport d’activité de l’AFA en 2024 : un retour d’expérience précieux sur les attentes de l’agence en matière de conformité
L’Agence Française Anticorruption (AFA) a publié début juillet son rapport d’activité pour l’année 2024. Ce document offre un retour d’expérience très instructif sur les contrôles menés en 2023, éclaire les orientations stratégiques pour 2024, et précise les attentes opérationnelles en matière de conformité anticorruption.
En 2024, la lutte contre la corruption reste une priorité institutionnelle en France, dans un contexte où la défiance de l’opinion publique reste forte : selon les données rappelées par l’Agence française anticorruption (AFA), 70 % des Français estiment que la corruption est répandue dans le pays, un chiffre en hausse constante depuis plusieurs années. C’est dans ce climat que l’AFA a poursuivi, cette année encore, ses missions de contrôle, de conseil et d’évaluation. Elle a mené 27 contrôles, répartis entre 10 acteurs économiques et 17 acteurs publics, en intensifiant ses actions sur des domaines jugés particulièrement sensibles. Le rôle de traitement des saisines assumé par l’agence a lui aussi connu une nette augmentation : en 2024, l’AFA a reçu 802 signalements, contre 435 en 2023, soit 84 % d’augmentation.
Une activité de contrôle orientée vers des secteurs à risques
L’année 2024 a été marquée par les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, pour lesquels la loi olympique du 26 mars 2018 a confié à l’AFA des compétences en matière de contrôle et d’assistance des acteurs des Jeux. L’agence a ainsi mené des contrôles ciblés sur les maîtres d’ouvrage publics, ainsi que sur les principales entreprises du BTP associées aux chantiers olympiques. Neuf fédérations sportives ont également fait l’objet de contrôles. L’AFA souligne à cette occasion les difficultés persistantes que rencontrent certaines de ces structures, notamment les plus petites, à se doter de dispositifs de prévention adaptés, malgré des expositions réelles aux risques d’atteintes à la probité.
Au-delà des JO, l’AFA a également étendu son champ d’action à d’autres secteurs sensibles. En février 2024, une mission lui a été confiée par les ministères de l’Économie et la Justice concernant les risques de corruption dans les infrastructures portuaires, en lien avec le trafic de stupéfiants. Ce nouveau volet conduit l’AFA à l’ouverture de plusieurs contrôles dans les grands ports maritimes français, comme annoncé en février 2025 par l’Agence. Dans le même temps, l’agence a renforcé ses interventions au sein des collectivités locales, notamment au sein des conseils départementaux, dont les compétences en matière d’action sociale les exposent à des risques importants, tant dans le versement d’aides que dans l’attribution de logements sociaux. Cette intensification de l’accompagnement s’est traduite par la publication d’un guide à destination des élus locaux, afin d’accroitre l’accompagnement de ces derniers en matière d’anticorruption.
Le rapport 2024 de l’AFA rappelle également sa publication du guide pratique dédié aux opérations de mécénat et de parrainage des entreprises, visant à prévenir les risques de corruption et de trafic d’influence liés à ces pratiques, souvent mal encadrées bien qu’exposées à des détournements potentiels. Dans le même objectif d’assister plus spécifiquement des secteurs à risque, un guide pratique à l’attention des établissements public de santé, spécifiquement conçu pour aider ces structures à concevoir ou moderniser leur dispositif de lutte contre la corruption, a également été publié par l’agence en octobre 2024 afin de préparer la vague de contrôles visant le secteur de la santé annoncée en février 2025.
Une prise de conscience croissante de l’importance des dispositifs anticorruption
Sur le plan économique, l’AFA a reconduit en 2024 une enquête pour mesurer le niveau d’appropriation des dispositifs de prévention par les entreprises à l’échelle nationale. Les résultats révèlent une progression nette de la conscience des risques de corruption et de trafic d’influence. Près de 30% des entreprises interrogées déclarent avoir été confrontées à une situation relevant de l’un de ces deux délits au cours des cinq dernières années. Les fonctions les plus exposées demeurent les fonctions commerciales et les achats, mais l’AFA note également une montée en puissance de la vulnérabilité dans les services des ressources humaines et lors d’opérations de croissance externe.
Par ailleurs, l’AFA note que les efforts de déploiement des dispositifs anticorruption progressent, bien que l’agence observe un écart grandissant entre les entreprises assujetties à l’article 17 de la loi Sapin II et celles qui ne le sont pas. En effet, pour les structures plus modestes, la mise en œuvre de dispositifs anticorruption reste freinée par des contraintes de taille et de ressources, malgré un intérêt croissant pour la conformité. Une tendance qui est constatée dans l’ensemble des enjeux de conformité réglementaire.
Enfin, certains leviers restent difficiles à actionner, même pour les entreprises les plus engagées. Près de la moitié des entreprises répondantes à l’enquête considèrent que l’évaluation des tiers constitue la mesure la plus difficile à mettre en œuvre – une problématique sur laquelle nous intervenons régulièrement dans le cadre de la mise en place de dispositifs anticorruption.
Pour faire le lien avec un autre point de difficulté actuellement rencontré par les acteurs économiques, l’AFA a élaboré un support spécifique pour accompagner les entreprises côtés dans leur mise en conformité avec la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Ce document aide les organisations à structurer un dispositif anticorruption cohérent, tout en assurant la maîtrise des indicateurs de durabilité relatifs à la lutte contre la corruption. L’AFA rappelle ainsi les mesures clés d’un programme de conformité, détaille les indicateurs requis dans le cadre du reporting de durabilité requis au titre de la CSRD et explicite les correspondances entre ces indicateurs et les éléments opérationnels du dispositif anticorruption.
Enfin, l’agence souligne que nombre d’acteurs peinent encore à mettre en œuvre des dispositifs robustes, proportionnés à leurs risques et adaptés à leurs contraintes spécifiques.
Les failles persistantes des dispositifs anticorruption en entreprise
Le rapport annuel 2024 de l’AFA dresse un état des lieux précis de la mise en œuvre des obligations imposées par la loi Sapin II. Si certaines entreprises progressent, l’AFA relève encore de nombreuses lacunes dans les dispositifs de conformité anticorruption. Ces constats ne relèvent pas d’une simple technicité réglementaire : ils exposent les entreprises à des risques juridiques majeurs, fragilisent la prévention des atteintes à la probité et nuisent à leur capacité à démontrer leur bonne foi en cas de contrôle.
L’un des premiers constats du rapport concerne la qualité encore insuffisante des cartographies des risques de corruption. Trop souvent, celles-ci reposent sur des scénarios génériques, déconnectés du profil de risque réel de l’entreprise. Elles n’intègrent pas de façon assez détaillée les spécificités sectorielles, géographiques, les types d’opérations ni la nature des tiers. Ce manque de précision empêche la définition de mesures adaptées et affaiblit l’utilité pédagogique de l’exercice : les collaborateurs perçoivent mal les risques concrets liés à leur activité.
Cette faiblesse se prolonge dans la rédaction et la diffusion des codes de conduite anticorruption. L’AFA observe qu’ils se contentent souvent de principes abstraits, sans illustration pratique ni renvoi vers des procédures concrètes. Les salariés manquent alors de repères clairs sur les comportements attendus. Plus problématique encore, certains codes ne sont pas annexés au règlement intérieur, comme l’exige pourtant la loi. Leur portée juridique s’en trouve réduite : en cas de non-respect, il devient difficile de sanctionner un salarié sur ce fondement.
La formation, pourtant essentielle pour assurer l’effectivité du dispositif, présente les mêmes faiblesses. Dans les entreprises contrôlées, elle demeure souvent trop théorique, uniforme et peu engageante. Les collaborateurs, y compris ceux exposés à des risques élevés, reçoivent rarement une formation adaptée aux situations qu’ils peuvent rencontrer. Ce déficit est particulièrement préoccupant dans des contextes sensibles comme les marchés publics internationaux, les grands projets ou les relations commerciales à l’international.
Le dispositif d’alerte interne reste également sous-utilisé. L’Agence alerte sur une mauvaise interprétation encore largement diffusée selon laquelle l’absence d’alerte serait forcément le signe d’un bon fonctionnement. Au contraire, cela peut traduire une méconnaissance du dispositif, un déficit de confiance ou une communication interne insuffisante. L’AFA rappelle la nécessité de mieux faire connaître le dispositif, de garantir la confidentialité des signalements, et de former les managers à promouvoir activement la culture de l’alerte.
L’évaluation des tiers, autre composante fondamentale de la conformité, demeure déséquilibrée. Si des efforts sont constatés pour les fournisseurs et intermédiaires, les clients sont souvent négligés. Cela expose les entreprises à des risques mal maîtrisés. En outre, l’agence note une absence de lien entre cartographie des risques et sélection des tiers à évaluer. Identifier les risques ne suffit pas : encore faut-il qu’ils soient intégrés dans les outils de pilotage et de contractualisation.
Les contrôles comptables anticorruption constituent une autre faiblesse majeure et récurrente. Les entreprises peinent à identifier les transactions susceptibles de masquer des faits de corruption. Les contrôles mis en place manquent souvent de précision, de documentation ou de lien avec la cartographie des risques. L’absence d’un contrôle financier robuste compromet la détection précoce d’anomalies.
Le rapport insiste sur la gouvernance du dispositif anticorruption, en particulier dans les groupes de sociétés. L’AFA constate que la répartition des rôles et responsabilités entre société mère et filiales est souvent floue. L’autonomie laissée aux entités locales pour adapter les dispositifs à leurs réalités sectorielles ou géographiques est mal définie. Cela entraîne un désengagement des instances dirigeantes locales, alors même que les risques se manifestent au plus près de leurs opérations.
Par ailleurs, l’AFA rappelle le rôle déterminant de l’instance dirigeante dans l’animation du dispositif de conformité. Si son engagement est souvent affiché dans les discours ou dans les préfaces des codes de conduite, il reste encore trop rarement visible dans les actions concrètes. Pourtant, l’AFA insiste sur le fait qu’un dispositif efficace ne peut exister sans une implication forte, continue et structurée des organes de gouvernance.
Enfin, l’agence insiste sur l’insuffisance persistante du pilotage et de l’évaluation interne du programme de conformité. Trop d’entreprises ne disposent pas d’indicateurs pour mesurer l’efficacité réelle de leur dispositif. Cette carence de gouvernance remet en question la capacité de l’entreprise à maintenir dans la durée un système de prévention pertinent et efficace. Elle affaiblit également la crédibilité du dispositif vis-à-vis des autorités, notamment en cas de contrôle.
S’agissant de ces contrôles, le rapport 2024 de l’AFA revient également sur l’usage croissant de la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), procédure alternative aux poursuites pénales applicable aux personnes morales mises en cause pour des faits de corruption ou infractions afférentes. Si elle permet d’éteindre l’action publique, la CJIP impose à l’entreprise de se soumettre à un programme de mise en conformité sous contrôle ou « monitoring » de l’AFA pendant une durée allant jusqu’à trois ans. Ce processus exigeant, jalonné d’audits, avec un plan d’action détaillé, mobilise fortement les structures concernées. L’année 2024 a vu l’évaluation de groupes de taille intermédiaire dont la société mère n’était pas assujettie à la loi Sapin II, ce qui a nécessité un effort conséquent de mise à niveau. A noter également qu’à mi-chemin de l’année 2025, l’AFA a engagé 3 contrôles d’initiatives.
En définitive, le rapport 2024 de l’AFA dresse un état des lieux pluriel : les outils existent, la prise de conscience progresse, mais les écarts entre exigences et pratiques demeurent. Ce constat invite les entreprises à ne pas attendre le contrôle pour agir, mais à faire de la conformité un levier structurant de leur stratégie

Par Samuel Guetta Avocat Associé Expert en Compliance du cabinet NOVLAW Avocats,
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