
Retours et perspectives sur les contrôles de l’AFA
Depuis sa création en 2017, l’Agence française anticorruption (AFA) a mené 129 contrôles auprès des entreprises du secteur privé. En 2024, elle a réalisé 10 contrôles initiaux visant des acteurs économiques, 25 contrôles de suite et a rendu 19 rapports. Derrière ces chiffres, ces contrôles enferment l’évolution de la pratique de l’AFA dans ses contrôles et ses interactions avec les acteurs économiques. Habituellement communiqués à travers ses rapports annuels, ces informations ont fait l’objet cadre d’un format innovant lancé par l’AFA. Le 10 février 2024, elle a inauguré Les Rendez-vous de l’AFA, une première édition dédiée au contrôle des dispositifs anticorruption des entreprises. Cet événement marque une nouvelle étape dans le dialogue avec les acteurs économiques et réaffirme l’engagement de l’AFA à accompagner et structurer les dispositifs de prévention de la corruption.
L’Agence française anticorruption (AFA), créée par la loi Sapin 2, est notamment chargée de contrôler l’existence et l’efficacité du programme anticorruption mis en place par les organismes assujettis à l’article 17 de la loi Sapin 2 – à savoir employant plus de 500 salariés avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros, ainsi qu’à leurs filiales.
Ce programme de conformité est composé de trois piliers :
- L’engagement de l’instance dirigeante à porter et impulser le programme de conformité anticorruption,
- L’élaboration d’une cartographie de ses risques de corruption et de trafic d’influence, destinée à piloter le programme de conformité,
- La gestion de ces risques, à travers la mise en œuvre de mesures de prévention, de détection et de remédiation.
En 8 ans d’existence, l’AFA a fait évoluer sa pratique du contrôle à mesure qu’elle a pris la mesure du terrain. Il était donc temps pour cette jeune autorité de revenir sur les éléments clés de l’évolution de son approche. A l’occasion d’une rencontre avec les professionnels de la conformité le 10 février 2025, l’AFA a partagé des enseignements clés pour se préparer à un éventuel contrôle, mais avant tout renforcer la prévention et la détection au sein de son entreprise.
L’évolution de l’AFA : nouvelle structure et actions d’accompagnement
L’AFA a récemment connu une réorganisation importante visant à affiner son action de contrôle et d’accompagnement. Depuis l’arrêté du 20 novembre 2024, entré en vigueur le 1er décembre 2024, deux changements majeurs doivent être soulignés.
D’abord, le nouvel organigramme de l’AFA prévoit désormais deux sous-directions : l’une consacrée aux acteurs économiques, l’autre aux acteurs publics, chacune étant compétente pour les activités de conseil et de contrôles. Sur son site internet, l’AFA précise que cette restructuration a pour objectif de « permettre de mieux partager les enseignements et les bonnes pratiques à l’issue des contrôles au bénéfice des activités de conseil. »
Ensuite, la nouvelle organisation de l’AFA s’accompagne d’un renforcement des activités transversales à travers la mise en place d’un observatoire des atteintes à la probité. Il a vocation à produire des analyses sur le phénomène corruptif et à valoriser les bonnes pratiques. Le 9 décembre 2024, l’observatoire de l’AFA a publié la première note, consacrée à l’analyse de 504 décisions de justice rendues entre 2021 et 2022.
La réorganisation de l’AFA s’inscrit dans un contexte plus large d’accompagnement des entités assujetties dans la mise en place de dispositifs anticorruption. Depuis sa création, l’AFA a ainsi mis en place plusieurs actions d’accompagnement, dont :
- La publication des recommandations du 4 décembre 2020,
- La publication de neuf guides pratiques,
- L’élaboration de supports dédiés, notamment celui destiné aux entreprises soumises à la CSRD,
- La création du podcast “Cap Intégrité”, qui cumule désormais 5 400 écoutes,
- Près de 70 interventions par an via les fédérations et associations professionnelles.
Pour l’AFA, il est temps de prendre un nouveau virage dans ses publications, qui auront vocation à être plus courtes et plus pédagogiques. Une nouvelle approche que nous pourrons expérimenter avec la prochaine publication d’un nouveau guide pratique au printemps prochain. L’AFA souhaite également développer des fiches pédagogiques courtes, dont la première sera consacrée à l’engagement de l’instance dirigeante. En parallèle, une attention particulière sera portée à l’accompagnement des PME dans leur démarche de conformité anticorruption, avec des mesures adaptées à leur taille et un soutien pour permettre aux grands groupes de mieux sensibiliser leurs partenaires PME à ces enjeux essentiels.
Au-delà de ces initiatives, l’efficacité de la lutte contre la corruption repose également sur des contrôles rigoureux. C’est dans ce cadre que l’AFA mène des actions de contrôle pour s’assurer de la mise en œuvre effective des dispositifs anticorruption. Un retour sur ces contrôles permet d’identifier les axes d’amélioration du dispositif.
Rappel sur le déroulé du contrôle de l’AFA
Le contrôle d’initiative de l’AFA se déroule en deux phases, d’après la Charte des contrôles de l’AFA de 2022. La première consiste en une analyse des réponses à un questionnaire d’évaluation, complétée par des entretiens avec des collaborateurs de l’entreprise contrôlée – étant entendu que ces entretiens ne font pas l’objet d’un procès-verbal.
La seconde phase, sur demande de la directrice de l’AFA, repose sur des demandes d’échantillonnage et l’organisation d’entretiens complémentaires afin approfondir la compréhension de l’efficacité des dispositifs en place.
À l’issue de la seconde phase, une réunion de clôture est organisée et le rapport provisoire est adressé à l’entité contrôlée. Dès sa réception, une phrase contradictoire de deux mois s’ouvre afin de permettre à l’entité contrôlée de transmettre un projet de plan d’action. Une étape qu’il ne faut pas sous-estimer en adressant des plans d’actions soient trop synthétiques et insuffisamment détaillés qui risquerait de ne pas être pris en compte dans le rapport. Les observations provisoires étant systématiquement prises en compte avant l’élaboration du rapport définitif, autant être le plus complet possible à cette étape.
Le rapport définitif peut identifier des manquements à la loi. Dans ce cas, ces manquements doivent être corrigés sans délai. En revanche, s’agissant des recommandations d’amélioration du dispositif, un délai raisonnable est déterminé, prenant en compte les contraintes internes de l’entreprise.
Bilan des contrôles menés entre 2022 et 2024
Entre 2022 et 2024, l’AFA a mené deux vagues sectorielles de contrôle. La première, entre 2022 et 2024, portait sur le secteur de l’automobile et des équipementiers. Elle a révélé que les entreprises ont considérablement accéléré leurs efforts de mise en conformité pendant le contrôle. À ce titre, de nombreuses filiales françaises de grands groupes étrangers ont été examinées. L’AFA note que ces filiales ont joué un rôle clé dans la sensibilisation et l’accompagnement de leurs sociétés mères à l’étranger.
La deuxième vague, lancée à partir de 2023, a ciblé les entreprises du bâtiment. Ce secteur, en raison de ses interactions fréquentes avec le secteur public, fait l’objet d’une vigilance constante. Si l’AFA relève la mise en place des dispositifs robustes et des cartographies des risques complètes, l’insuffisance des mesures de remédiation à certains risques identifiés est un constant récurrent. Notamment s’agissant des risques liés aux cadeaux, invitations et actions de sponsoring qui étaient relevés mais qui pour autant n’appelaient pas systématiquement à la mise en œuvre de registres ou à des contrôles a posteriori sur les opérations de sponsoring et de mécénat
Panorama des constats issus des contrôles menés en 2024
S’agissant de la gouvernance du dispositif, l’AFA souligne la nécessité de clarifier le partage des responsabilités relatives aux procédures et aux composantes du dispositif entre la société mère et ses filiales. Bien qu’elle n’ait observé l’existence d’un note interne de gouvernance qu’à l’occasion d’un seul contrôle, cette bonne pratique est impérative pour assurer une gestion cohérente et claire des risques et des procédures au sein des organisations et des groupes d’entreprises. Un autre point mis en avant par l’AFA concerne la due diligence lors des acquisitions, qui reste insuffisante, ainsi que le manque d’audits une fois l’entité intégrée au groupe.
Quant à l’engagement de l’instance dirigeante, l’AFA indique que la première marque de cet engagement est le degré de participation au contrôle. De même, la signature d’un engagement annuel par les directeurs généraux ou d’une note d’engagement du Comité de Direction, diffusée aux collaborateurs sont des bonnes pratiques constatées lors de ses contrôles. L’AFA souligne que le déploiement d’un réseau de conformité est certes bonne pratique, mais attire l’attention des entreprises sur le risque de fonctions mal désignées ou de responsabilités non intégrées aux objectifs de fin d’année, ce qui risque de rendre la fonction de conformité trop théorique et peu opérationnelle. Enfin, si la cartographie des risques est effectivement largement présentée à l’instance dirigeante, les versions présentées sont parfois trop synthétiques, ce qui peut nuire à la réalité de la connaissance des risques par la Direction.
Concernant la cartographie des risques, l’AFA regrette des scénarios trop génériques et transposables d’un groupe à l’autre, ce qui empêche une gestion précise des risques. De même, certains risques sont ignorés par beaucoup de cartographie des risques, à l’image des dépenses marketing comme un vecteur de corruption et une focalisation excessive sur la corruption passive au détriment de la corruption active. Sur la stratégie, l’AFA recommande une approche ascendante pour identifier les risques, en encourageant les filiales et les opérationnels à faire remonter les risques, plutôt que de se limiter à une approche descendante.
Sur la mise en cohérence de l’entreprise avec les risques, l’AFA remarque que le dispositif et les illustrations ne sont pas toujours suffisamment adaptés aux risques spécifiques. Les fonctions exposées doivent pouvoir s’appuyer sur des éléments concrets et clairs. Une bonne pratique citée est celle d’une entreprise ayant créé un guichet unique pour la conformité, où toutes les procédures et systèmes déclaratifs étaient centralisés.
Sur le dispositif d’alerte interne, l’AFA attend des entreprises qu’elles s’assurent d’une meilleure diffusion de la culture d’alerte et d’une accessibilité renforcée des procédures d’alertes, en veillant à ne pas invisibiliser les canaux d’alertes en dehors des plateformes digitales.
Sur l’évaluation des tiers, l’AFA rappelle d’appliquer la procédure d’évaluation des tiers vis-à-vis des clients – qui sont parfois oubliés.
En ce qui concerne le contrôle comptable et le contrôle interne, l’AFA constate un manque de maturité générale. Pour le contrôle comptable, elle note que la définition des contrôles sur les risques de corruption est encore trop rare ou en cours de réalisation. Il est essentiel de traduire les risques en contrôles comptables, en renforçant les mesures selon les pays et les fonctions exposées à des risques. Pour le contrôle interne, l’application des procédures est trop rarement vérifiée. L’AFA cite à ce titre l’exemple d’une entreprise dont les procédures étaient parfaitement définies, mais dont l’application n’était pas effective en pratique. L’AFA réaffirme ainsi vérifier les éléments de preuves matériels de l’application des procédures cadeaux et invitations, d’évaluation des tiers, etc.
Quelles perspectives pour 2025 ?
D’abord, d’un point de vue méthodologique, l’AFA a fait part de sa volonté de simplifier le questionnaire de contrôle, jugé trop complexe à remplir pour les entreprises et difficile à analyser pour ses agents. Cette simplification vise à rendre les échanges initiaux plus efficaces. En parallèle, le suivi des contrôles sera renforcé. Dorénavant, tous les courriers de fin de contrôle comporteront une clause de rendez-vous, permettant de vérifier que les entreprises avancent dans la bonne direction. Cette mesure servira d’outil d’évaluation pour déterminer si des contrôles supplémentaires doivent être rapidement déclenchés. De plus, la charte des contrôles sera modifiée en 2025 pour intégrer ces nouvelles pratiques.
Ensuite, l’AFA prévoit d’annoncer en amont les secteurs qui feront l’objet de contrôles sectoriels.
A cet égard, un point particulièrement préoccupant a été soulevé sur la pression exercée par le crime organisé et les ingérences étrangères visant les entreprises qui interagissent avec le secteur public régalien, notamment la manutention portuaire ou les entreprises travaillant en lien étroit avec l’administration pénitentiaire. Une nouvelle forme de corruption privée appelle à la plus grande vigilance. Ces entreprises risquent de voir leurs collaborateurs ciblés pour la commission d’actes en faveur de ces organisations ou l’obtention d’informations sensibles ou stratégiques. Dans ce contexte, l’AFA souligne l’importance de mettre en place des dispositifs efficaces afin de réagir rapidement face à de telles menaces.
L’AFA prévoit également une vague de contrôles dans le secteur de la santé, un domaine particulièrement sensible en raison des fortes attentes de la population et des interactions fréquentes entre le secteur public et privé. Les entreprises commercialisant des dispositifs ou produits de santé devront être particulièrement vigilantes quant à leur conformité. Elle précise toutefois que cela n’empêche pas des contrôles dans d’autres secteurs, car ces derniers peuvent être pilotés en fonction des signalements reçus, dont le nombre a doublé chaque année.
Enfin, concernant la Commission des sanctions, l’AFA a rappelé que, jusqu’à présent, aucune amende n’avait été infligée à la suite des deux premières saisines. Cependant, la Commission a récemment adopté un nouveau règlement intérieur. Les entreprises soumises à l’article 17 doivent donc se préparer à ce que de prochains contrôles ouvrent à des saisines de la Commission en 2025.
En conclusion, l’AFA observe un progrès tangible des entreprises grâce à l’implémentation de la loi Sapin 2. Cependant, la véritable efficacité réside dans la mise en place de dispositifs vivants, adaptés et en constante évolution. Aux entreprises de veiller à la qualité opérationnelle de leurs programmes de conformité anticorruption, à leur mise à jour régulière et à leur bonne déclinaison aux différentes activités et localisations.

Par Samuel Guetta Avocat Associé Expert en Compliance du cabinet Novlaw Avocats,
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