Patrick Colomer

Le secteur de l’hôtellerie – restauration, dévasté par la pandémie que nous subissons depuis  près d’un an oblige l’industrie à se réinventer. Parmi les idées pour relancer le secteur, les concepts « Life Style » sont une piste intéressante à explorer.

Me Baptiste Robelin, avocat spécialisé en droit de l’hôtellerie – restauration (HCR) et des entreprises en difficulté, a l’honneur de recevoir M. Etienne Matichard, Directeur commercial de la marque JO&JOE au sein de la division Lifestyle du groupe Accor. Il nous expose son point de vue sur les mutations en cours dans le secteur de l’hôtellerie – restauration. Retrouvez ses analyses et ses réflexions pour relancer le secteur qui paie le plus lourd tribut à la covid-19.

Baptiste Robelin : Etienne Matichard, Accor a récemment annoncé la création d’une nouvelle entité qui réunira les marques dites « Lifestyle », pouvez-vous nous en dire plus sur ce concept ?

Etienne Matichard : Les groupes Accor et  Ennismore ont en effet annoncé qu’ils étaient entrés en négociation exclusive pour créer la plus grande plateforme Lifestyle en regroupant dans une même entité les marques The Hoxton, Gleneagles, Delano, SLS, Mondrian, SO/, Hyde, Mama Shelter, 25h, 21c Museum Hotels, TRIBE, JO&JOE et Working From. Ces marques bien que très différentes les unes des autres ont pour point commun de se définir comme Lifestyle. Ce terme  Lifestyle que l’on pourrait traduire par Art de vivre, se caractérise par une attention toute particulière portée au design de ses établissements, à la restauration ainsi  qu’au fait qu’ils s’intègrent totalement dans leur environnement proche et dans leur époque, en un mot ce sont des lieux tendance.

Batiste Robelin : Ces marques semblent relativement jeunes ou peu connue en France, mais le concept lui ne parait ne pas l’être.  Pouvez – vous nous donnez une explication quant à l’émergence de ces établissements dits Lifestyle ?

Etienne Matichard : Le concept des établissements Lifestyle n’est en effet pas nouveau.  Les hôtels que nous définissons aujourd’hui comme lifestyle existent depuis un certain temps sous l’appellation « boutique hôtels ». Ils ont les mêmes caractéristiques que les marques Lifestyle, à la différence près qu’ils proposent un nombre d’hébergements plus restreint et qu’ils ne sont pas portés par des grands groupes du secteur de l’hôtellerie-restauration. Le succès des boutiques hôtels a été rendu possible grâce aux commentaires en ligne de booking.com, Google ou trip advisor. En effet, ayant accès aux avis des anciens clients, tout le monde a pu connaitre à l’avance la qualité (ou les défauts) des hôtels ou restaurants indépendants avant même d’y séjourner ou de s’y restaurer. Ainsi, quand avant l’apparition des sites d’avis en ligne, une personne cherchait un hôtel, elle préférait la fiabilité d’une marque standardisée qui proposait les mêmes niveaux de service dans tous ses établissements, elle a par la suite pu « s’aventurer » chez des indépendants en s’appuyant sur les commentaires des clients précédents. Par la suite, les grands groupes hôteliers assistant au succès des boutiques hôtels ont copié leur concept à plus grande échelle : plus de chambres, plus d’établissements sous la même marque.  Les Hôtels de la marque W du groupe Marriott en sont un bel exemple. Cherchant à attirer une clientèle jusque là oubliée dans l’hôtellerie, le groupe Starwood (à présent détenu par Marriott) a créé  un établissement reprenant les codes des boutiques hôtels, mais avec la puissance d’un groupe hôtelier international. 

Batiste Robelin : L’idée du «  Lifestyle » est intéressante, mais le concept est-il porteur ? Est-ce pour vous l’avènement d’une nouvelle manière de voyager et de se restaurer, est-ce la mort des établissements plus traditionnels ?

Etienne Matichard : Nous observons une croissance très forte dans l’hôtellerie Lifestyle, portée par une demande en constante augmentation. Les hôtels Lifestyles du groupe Accor représentent 5% du total des chambres  à la vente aujourd’hui, nous nous attendons à passer à 25% dans les années à venir. Ceci étant dit, cette nouvelle forme de tourisme ne signe pas l’arrêt de mort des hôtels et restaurants plus standardisés. Il y a toujours une demande forte pour la standardisation et tout le confort qu’elle apporte. Les deux modèles vont coexister. Les hôtels et restaurants Lifestyle cherchent à attirer une clientèle très ciblée en fonction de leur style de vie, les établissements plus traditionnels cherchent eux  à attirer le plus grand nombre. Ces derniers sont pour le moment ultra majoritaire sur le marché, se tourner vers le lifestlyle après une pandémie qui rebat totalement les cartes est une réelle opportunité pour certains acteurs du secteur HCR qui souhaitent se différencier de la concurrence.

Batiste Robelin : Pourquoi un opérateur ou un propriétaire choisirait-il d’orienter son activité vers le Lifestyle ? Ce changement de paradigme engendre-t-il des coûts supplémentaires?

Etienne Matichard : Tout le but de ce concept est de créer un univers autour de son établissement, de le transformer en marque, en élément désirable dans le but de générer plus de revenus. C’est pour cette raison que les cafés Starbucks réussissent à vous faire payer un café autour d’une dizaine d’euros contre moins de 2 euros sur le zinc de votre bar-tabac de quartier. Il y a une vraie expérience client, un vrai plus offert au consommateur à la recherche d’un cadre tendance pour se détendre. L’investissement pour tourner son établissement vers le Lifestyle n’est pas nécessairement financier, mais va nécessiter du temps en amont de la transformation ou de la création pour analyser la cible que l’on souhaiter attirer. Une fois le marché segmenté et la cible identifiés, il sera nécessaire d’analyser trois éléments : les valeurs, le contexte socio-économique et l’environnement physique de la clientèle choisie. Le temps passer à faire cette analyse ainsi que le fait de se couper volontairement d’une partie de sa clientèle peut, au premier abord rebuter les entrepreneurs, mais cette audace est largement récompensée par la suite.

Comment réinventer le secteur HCR après la crise