Conseil d’État, 9 juin 2021, Ville de Paris, n°448948

Par une décision du 9 juin 2021, le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contestant les ordonnances rendues par le Tribunal administratif de Paris le 6 février 2021 annulant la procédure de passation de deux conventions d’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière, a été amené à rappeler les conditions dans lesquelles de tels contrats doivent être qualifiés de concessions de service.

Dans les faits, la Ville de Paris avait lancé une consultation sous forme d’appel d’offres ouvert pour l’attribution de deux contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés dans ses parcs de fourrière.

À l’issue de la procédure, la Ville de Paris avait rejeté l’offre de deux entreprises, à la suite de quoi ces dernières avaient demandé au juge des référés d’annuler la procédure litigieuse et d’enjoindre la Ville à en engager une nouvelle.

Par deux ordonnances du 6 février 2021, le juge du référé précontractuel du Tribunal administratif de Paris a annulé les procédures de passation lancées par la ville de Paris pour l’attribution de contrats relatifs au retrait et à la destruction des véhicules abandonnés dans ses parcs de fourrière, au motif notamment qu’elles avaient été conduites en méconnaissance des dispositions prévues aux articles L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16 du code de la commande publique, applicables aux seuls marchés publics.

Là est l’enjeu de la question posée au Conseil d’État : amené à régler le litige au fond, il devait se prononcer sur la méconnaissance par la Ville de Paris de ses obligations de publicité prévues aux articles L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16 du code de la commande publique, qui rappelons le, sont afférentes à la passation des seuls marchés publics, et partant, caractériser les conventions litigieuses.

En d’autres termes, pour annuler l’ordonnance en référés du Tribunal administratif et caractériser la méconnaissance par la Ville de Paris des obligations de publicité afférentes non pas aux marchés publics mais aux concessions, le Conseil d’État a rappelé que la qualification d’un contrat de la commande publique en concession de service est notamment fonction de la nature de la rémunération du titulaire, auquel doit être transféré le risque lié à l’exploitation de l’activité objet du contrat.

Rappel sur la distinction entre marché public et de concession

En premier lieu, il faut rappeler qu’un marché public est défini comme suit à l’article L. 1111-1 du code de la commande publique :

« Un marché est un contrat conclu par un ou plusieurs acheteurs soumis au présent code avec un ou plusieurs opérateurs économiques, pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, en contrepartie d’un prix ou de tout équivalent ».

Dans sa décision du 9 juin 2021, le Conseil d’État rappelle qu’aux termes de l’article L. 1121-1 du même code :

« Un contrat de concession est un contrat par lequel une ou plusieurs autorités concédantes soumises au présent code confient l’exécution de travaux ou la gestion d’un service à un ou plusieurs opérateurs économiques, à qui est transféré un risque lié à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, en contrepartie soit du droit d’exploiter l’ouvrage ou le service qui fait l’objet du contrat, soit de ce droit assorti d’un prix ».

Cet article L. 1121-1 précise que :

« La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte que toute perte potentielle supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement théorique ou négligeable. Le concessionnaire assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts, liés à l’exploitation de l’ouvrage ou du service, qu’il a supportés.« 

La distinction principale entre un marché public et un contrat de concession réside donc dans la rémunération du titulaire du contrat, et plus précisément, dans le transfert du risque lié à l’exploitation de l’activité objet du contrat audit titulaire.

En effet, en principe, la rémunération du concessionnaire, à l’inverse de celle du titulaire du marché public, est constituée par l’exploitation du service concédé (et même l’exploitation d’activités accessoires audit service et dont celui-ci fournit le moyen ou l’occasion : TA Toulouse, Ord. 10 août 2017, n°1703247).

Plus précisément, cette rémunération tirée de l’exploitation du service ne doit pas être garantie par par un prix versé par l’autorité concédante, de telle sorte que cette dernière transfère véritablement un risque lié à l’exploitation au concessionnaire, qui est exposé aux aléas du marché et n’est pas assuré d’amortir les investissements et coûts supportés à raison de l’exploitation (CE 24 mai 2017, Sté Régal des Îles, n°407213).

En définitive, dans le cadre d’un marché public, le titulaire dispose d’une certaine façon d’un prix « garanti » et déterminé ; alors qu’en matière de concession de service, le titulaire est rémunéré selon son exploitation du service, supportant ainsi un risque lié à ladite exploitation.

Qualification de concession de service à raison du transfert du risque d’exploitation

En l’occurence, afin de qualifier les conventions d’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière de contrat de concession de service, et caractériser la méconnaissance des obligations de publicité par la Ville de Paris sur le fondement des règles applicables aux contrats de concession, et non celles relatives aux marchés publics, le Conseil d’État fait ici application de ce critère du transfert du risque d’exploitation.

Ainsi, aux termes de son arrêt du 9 juin, il précise d’abord que le service rendu par les entreprises d’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière « ne fait l’objet d’une rémunération par aucun prix ».

De plus, il note que les stipulations des conventions litigieuses indiquent que les entreprises « ont le droit de disposer des accessoires, pièces détachées et matières ayant une valeur marchande issus des véhicules, en contrepartie de leurs obligations ».

Aussi, aucune stipulation ne prévoyant « la compensation par la Ville de Paris des éventuelles pertes financières du fait du risque inhérent à l’exploitation commerciale des produits issus de ces enlèvements », et le contrat stipulant que « la rémunération du service concédé prend la forme d’un droit d’exploiter les véhicules abandonnés », le risque inhérent à cette exploitation est bien transféré au titulaire, de sorte que la convention d’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière doit être regardée comme un contrat de concession de service.

Il s’ensuit que, la méconnaissance par la Ville de Paris de ses obligations de publicité doit être appréhendée, non pas au regard des dispositions L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16 du code de la commande publique relatives à la passation des marchés publics, mais au regard de celles applicables aux concessions de services énoncées aux articles L. 3124-4, L. 3124-5, et R. 3124-4 du même code.

Partant, la Ville de Paris n’ayant communiqué aucun critère de sélection aux entreprises candidates dans le cadre de la procédure en litige, elle a méconnu ses obligations en matière de publicité dans l’attribution de ses contrats de concession d’enlèvement de véhicules abandonnés en fourrière.

En conséquence, la procédure de passation est annulée par le Conseil d’État.