Ancien salarié, accès à des informations confidentielles, conflits d’intérêts et exclusion de la procédure de passation d’un marché public

Ancien salarié, accès à des informations confidentielles, conflits d’intérêts et exclusion de la procédure de passation d’un marché public

L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché public les personnes ayant eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence, mais cette exclusion doit être justifiée par des preuves concrètes et ne peut être appliquée que lorsque la situation ne peut être remédiée par d’autres moyens.

Mais, le seul accès à de telles informations ne suffit pas, il faut qu’elles soient susceptibles de créer une distorsion de concurrence.

C’est ce qu’illustre précisément la décision rendue pas le Conseil d’État le 23 mai 2025 (CE, 23 mai 2025, Ecomat des armées, n°500255).

Conflit d’intérêts, distorsion de concurrence : des motifs d’exclusion de la procédure de passation d’un marché public

L’article L. 2141-8 du Code de la commande publique donne la possibilité à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes qui :

  • Soit ont entrepris d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur ou d’obtenir des informations confidentielles susceptibles de leur donner un avantage indu lors de la procédure de passation du marché, ou ont fourni des informations trompeuses susceptibles d’avoir une influence déterminante sur les décisions d’exclusion, de sélection ou d’attribution ;
  • Soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu’il ne peut être remédié à cette situation par d’autres moyens.

Il s’agit ici pour l’acheteur de prévenir toute situation où un candidat aurait pu bénéficier d’un avantage indu, compromettant alors l’impartialité et l’équité de la procédure de passation, et donc in fine l’égalité de traitement des candidats.

De la même façon, l’acheteur peut exclure de la procédure de passation les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d’intérêts, lorsqu’il ne peut y être remédié par d’autres moyens (Article L. 2141-10).

Cette exclusion n’est toutefois pas automatique.

En effet, l’acheteur qui envisage d’exclure une personne à ce titre doit la mettre à même de fournir des preuves qu’elle a pris des mesures de nature à démontrer sa fiabilité et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats.

Il faut enfin qu’au regard de ces éléments la distorsion de concurrence soit véritablement caractérisée.

Par exemple, la seule présence d’un salarié employé précédemment par l’acheteur dans les effectifs d’une société candidate est, par elle-même, pas suffisante pour caractériser une telle situation.

Encore faut-il qu’il ait eu accès à des informations susceptibles de créer cette distorsion.

C’est ce qu’illustre la décision rendue par le Conseil d’État le 23 mai 2025.

L’office du juge du référé précontractuel dans l’appréciation de l’infraction

Dans cette affaire, saisi par un concurrent évincé d’un référé précontractuel, le juge avait annulé la procédure de passation d’un accord-cadre portant sur la mise en œuvre et la délivrance de services de télécommunication.

Aux termes de son ordonnance, le juge des référés s’est fondé sur la circonstance « qu’un salarié de la société Passman était précédemment employé, pendant plus de huit ans, à des fonctions opérationnelles comme administrateur de l’Economat» et que « ces fonctions ont perduré alors même que ce salarié exerçait des fonctions dans la société Passman» pour en déduire l’existence d’une atteinte aux principes d’égalité de traitement des candidats et d’impartialité.

L’attributaire comme le pouvoir adjudicateur, l’Economat des armées, ont alors formé un pourvoi contre l’.

Toutefois, pour le Conseil d’État, la seule circonstance qu’un salarié d’une société candidate ait été employé par l’acheteur est, par elle-même, insusceptible d’affecter l’impartialité de ce dernier.

De plus, en se fondant sur la seule « présence dans les effectifs de la société Passman, d’un salarié de la société issu de l’Economat », sans rechercher si ce salarié avait, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique, eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats par sa participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché public, le juge des référés a commis une erreur de droit.

En outre, le Conseil d’État considère que le juge des référés a également commis une erreur de droit en estimant que l’Economat des armées avait porté atteinte au principe d’égalité entre les candidats en diffusant, lors de la mise en ligne du dossier de consultation des entreprises en vue du renouvellement du contrat « des informations portant sur le marché encore en cours et contenant, notamment, des éléments concernant le service et les prix pratiqués par la société Wifirst», mais sans rechercher si les mesures prises par l’Economat des armées consistant à déclarer sans suite la première procédure de passation au cours de laquelle elle s’était produite et à laisser s’écouler un délai d’un an avant de lancer une nouvelle procédure de passation d’un marché structuré différemment avaient été de nature à remédier à cette diffusion accidentelle d’informations confidentielles.

Pas d’exclusion si les informations ne sont pas susceptibles de procurer une distorsion de concurrence

Et sur le fond ?

Réglant l’affaire en application des dispositions de l’article L. 821-1 du Code de justice administrative, le Conseil d’État considère qu’il est pas établi que les informations auxquelles la société Passman aurait pu avoir accès par l’intermédiaire de son salarié comme par la diffusion accidentelle des données liées à l’exécution du précédent marché étaient susceptibles de créer à l’avantage de celle-ci une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats et qu’en n’excluant pas cette société de la procédure l’Economat des armées aurait méconnu les dispositions précitées du 2° de l’article L. 2141-8 du code de la commande publique et méconnu ses obligations de transparence et de mise en concurrence.

Et ce pour plusieurs motifs.

En premier lieu, la circonstance que l’un des salariés de la société Passman aurait pu obtenir, à l’occasion de l’exécution de son contrat de travail ou dans le cadre de ses fonctions d’administrateur de l’Economat des armées, qui avaient pris fin avant le lancement de la procédure de passation en litige, des informations qui pouvaient être susceptibles de conférer à son nouvel employeur un avantage concurrentiel, est par elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public.

En deuxième lieu, cette personne n’a participé à aucune réunion ni pris part d’une quelconque manière dans leur organisation en lien avec le marché litigieux. En outre, ces fonctions de membre du conseil d’administration ne sauraient par elles-mêmes être regardées comme lui ayant donné accès à des informations sur l’élaboration du projet de marché susceptibles de créer une distorsion de concurrence.

En troisième lieu, si cette personne a pu avoir accès à des informations ignorées des autres soumissionnaires ou candidats susceptibles de créer une distorsion de concurrence, en l’occurrence des informations concernant un précédent marché similaire sur les prix, elle n’était plus en poste deux ans avant le lancement de la procédure du nouveau marché.

En quatrième lieu, la composition du nouveau marché emporte une modification de l’assise des prix, de sorte que les informations obtenues précédemment par cette personne ne sont pas (plus) pertinentes.

Le rôle de l’acheteur

Cette décision illustre l’attention que doit porter l’acheteur lorsqu’il est confronté à une telle situation.

Ainsi, l’exclusion d’un candidat ne sera justifiée que si

  • La personne a eu accès à des informations qui, par leur nature, sont susceptibles de lui donner un avantage significatif, de créer une distorsion de concurrence ;
  • L’accès à ces informations a créé une situation où la concurrence est faussée ;
  • Il est impossible de remédier à la situation autrement qu’en excluant le candidat (par exemple en tentant de rétablir un niveau d’information uniforme entre les candidats) ;
  • L’acheteur a mis en œuvre une procédure contradictoire avant l’exclusion du candidat.
Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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