Dans le contexte particulier de la crise sanitaire liée au Covid-19, un abondant contentieux est né concernant les impayés locatifs relatifs aux baux commerciaux.

Dans cet article, le Cabinet Novlaw Avocats, retrace et commente quelques décisions récemment rendues par les tribunaux judiciaires ayant trait à la force majeure.

Trois ordonnances de référé ont retenu notre attention :

  • L’arrêt du 17 juillet 2020 (RG 20/50920) rendu par le tribunal judiciaire de Paris
  • L’arrêt du 7 septembre 2020 (RG 20/00275) rendu par le tribunal judiciaire d’Annecy
  • L’arrêt du 10 septembre 2020 (RG 20/30974) rendu par le tribunal judiciaire de Montpellier

Dans ces trois décisions, les faits sont peu ou prou similaires : il s’agissait de cas dans lesquels le locataire avait suspendu le paiement de ses loyers commerciaux à raison de la crise sanitaire et du confinement en vigueur en France.

Plus précisément, dans l’arrêt en date du 10 septembre 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Montpellier, le locataire avait suspendu le paiement de ses loyers commerciaux en se retranchant derrière la force majeure. En réponse, le bailleur, faisait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, estimant que son locataire ne se trouvait pas dans une situation imprévisible, irrésistible et extérieure, caractéristique de la force majeure. N’étant toujours pas payé après ce commandement, le bailleur décidait de saisir le Juge des référés.

Le Président du tribunal judiciaire a alors décidé que :

« Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. Le débiteur qui pourrait offrir une solution satisfactoire pour le créancier ne peut se prévaloir de la force majeure, ce qui est le cas en l’espèce. »

Le tribunal de Montpellier reprend la jurisprudence constante sur les obligations de paiement applicable en matière de force majeure. Depuis l’arrêt de principe, rendu par la Cour de Cassation le 16 septembre 2004, le caractère irrésistible de la force majeure ne peut être constitué par les difficultés de paiement du débiteur, même sérieuses. En effet, l’exécution de l’obligation doit être strictement impossible, ce qui ne peut pas être le cas pour une somme d’argent, ainsi, dans ces conditions, la force majeure financière ne trouve jamais vocation à s’appliquer.

Retenons toutefois qu’en raison de la perte importante de chiffre d’affaire subi par le locataire et du fait que le bailleur ne justifiait pas avoir un besoin immédiat de percevoir ses loyers, le tribunal accorde au locataire des délais de paiement.

L’arrêt du 7 septembre 2020 (RG 20/00275) rendu par le tribunal judiciaire d’Annecy a rendu une décision plus nuancée sur la force majeure.

Dans cette affaire, le locataire était dans l’obligation de fermer son fonds de commerce suite à la fermeture administrative de mars 2020. Il décidait donc de suspendre le paiement de ses loyers commerciaux en invoquant trois arguments : l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020 (Ordonnance 2020-316), la force majeure, et enfin l’exception d’inexécution.

S’agissant de l’article 4 de l’ordonnance du 25 mars 2020, le tribunal rappelle qu’il est uniquement question d’interdire le recours aux voies d’exécution à l’encontre des locataires pour un recouvrement des loyers impayés. En aucun cas l’ordonnance n’a engendré la « gratuité des loyers commerciaux ». Il faut donc bien distinguer l’interdiction des sanctions pour non-paiement des loyers commerciaux,  des loyers commerciaux à proprement parlé, qui eux restent dus. En résumé, seules les pénalités pour non-paiement étaient paralysées par le jeu de cette ordonnance.

S’agissant de la force majeure, à l’instar du tribunal de Montpellier, celui d’Annecy refuse également de reconnaître la force majeure. En effet, le tribunal retient que :

« Les pièces produites aux débats par la société LUDENDO COMMERCE France (société locataire) ne sont pas de nature à démontrer que l’événement concerné, soit la période de fermeture administrative, inévitable et insurmontable l’a empêché d’exécuter son engagement, à savoir son obligation de payer et ce d’autant qu’aucun élément chiffré n’est produit permettant d’établir la réalité ni l’ampleur de la perte financière évoquée et la difficulté à s’acquitter de ses obligations contractuelles. »

Bien qu’en l’espèce la force majeure soit là aussi écartée, il semble exister une possibilité pour le locataire d’échapper à son obligation de payer grâce au versement d’éléments chiffrées, comme les bilans, les comptes de résultats.

S’agissant de l’exception d’inexécution, le tribunal judiciaire décide également d’écarter cet argument au motif que la fermeture administrative imposée par les ordonnances ne suffit pas à démontrer que le bailleur n’a pas respecté son obligation de délivrance et de jouissance des lieux loués.

Rappelons que l’exception d’inexécution est une possibilité offerte par le droit commun de suspendre ses engagements si l’on constate que la partie cocontractante ne respecte pas les siens. En l’espèce, le locataire estimait qu’il pouvait arrêter de payer ses loyers compte tenu du fait que le bailleur ne respectait plus son obligation de délivrance.

Le moyen invoqué par le locataire tenant à l’obligation de délivrance est pertinent au regard de l’article 1719 du Code civil. En effet, cet article prévoit que le bailleur est obligé par la nature même du contrat de bail commercial de délivrer au preneur la chose louée. En cas de manquement à l’obligation de délivrance, le bailleur encourt des sanctions pouvant aller jusqu’à la résiliation du bail à ses torts. Néanmoins, dans le cas d’espèce, le tribunal judiciaire estime que la fermeture administrative est insuffisante à caractériser le manquement à l’obligation de délivrance. Cela s’explique par le fait qu’accepter l’exception d’inexécution pour manquement à l’obligation de délivrance reviendrait à faire peser la fermeture administrative et l’inexploitation du fonds de commerce sur le bailleur, alors même que ce dernier pâtit également de cette situation.

Par ailleurs, l’inexécution n’a pas besoin d’être fautive, et en ce sens le non-respect de l’obligation de délivrance ou de jouissance paisibles des locaux devrait suffire à accepter l’exception d’inexécution.

Il faut donc comprendre que cette situation n’a pas encore de solution particulièrement définie. Ces décisions actent que les fermetures administratives ne constituent pas un manquement à l’obligation de délivrance du bailleur. Toutefois, il convient de préciser que ce n’est pas les seules décisions rendues en la matière et que d’autres ont pu aller dans un sens différent.

De cette manière le tribunal écarte toutes les contestations sérieuses qui aurait pu permettre au locataire d’échapper au paiement de ses loyers commerciaux. Toutefois, le tribunal judiciaire permet au locataire, certainement pour ne pas l’accabler, de mettre en place un échéancier afin de rembourser son impayé locatif.

Au travers des décisions rendus par le juge de l’évidence – le juge des référés –  (TJ Paris, 17 juillet 2020, RG n° 20/50920 – TJ Annecy, 7 septembre 2020, RG n° 20/00275 – TJ Montpellier, 10 septembre 2020), on remarque que les tribunaux ont fait le choix d’écarter les moyens tenant à l’exception d’inexécution, ou la force majeure et d’assurer le paiement des loyers commerciaux aux bailleurs peu importe les circonstances. Toutefois, même si ces solutions semblent être en faveur du bailleur, il existe d’autres décisions en la matière qui elles sont, à contrario, en faveur du locataire.

En conclusion, les praticiens sont nombreux à se demander si la fermeture administrative ne pourrait constituer un manquement à l’obligation de délivrance, ou encore assimilable à une perte partielle de la chose louée. Même si parfois le thème y est abordé dans nos décisions, il est bien vite balayé par les tribunaux judiciaires.

Néanmoins, il est important de préciser que pour la Cour d’appel de Paris, la fermeture des commerces dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et du confinement lié au COVID-19 est susceptible de revêtir le caractère de la force majeure de sorte à entraîner une contestation sérieuse de l’exigibilité de leurs loyers pendant la période de la dite fermeture. Cette décision serait ainsi favorable aux locataire d’un bail commercial.

En effet, le 09 décembre 2020, la cour d’appel de Paris a rendu un arrêt (n°20/05041) précisant le sort des loyers commerciaux en cas de fermeture des commerces, particulièrement pendant la crise sanitaire liée au Covid-19.

Il ressort des faits qu’en septembre 2019, le locataire d’un local commercial situé à Paris est assigné par son bailleur devant le juge des référés, sollicitant le paiement des loyers des trois premiers trimestres de 2019 ainsi que son expulsion du local.

En réponse, le locataire justifie le non-paiement de ses loyers par la fermeture du magasin durant plusieurs semaines en raison de la crise des gilets jaunes, la grève des transports en commun ainsi que la crise sanitaire du Covid-19.

Le Tribunal judiciaire de Paris condamne alors le locataire à payer ses arriérés locatifs et suspend son expulsion, lui accordant un délai de 12 mois pour régler ses impayés de loyers.

Le locataire décide de saisir la Cour d’appel en invoquant l’argument de la force majeure, et sollicitant ainsi :

  • La suspension de l’exigibilité des loyers pour la période du 17 mars 2020 au 11 mai 2020 eu égard à la première période de confinement ;
  • La réduction à hauteur de 30 % de l’exigibilité du loyer, depuis la crise des gilets jaunes et les grèves des transports, soit depuis le mois d’octobre 2018, jusqu’au mois de février 2020, ainsi qu’à compter du mois de mai 2020 jusqu’à la fin de la pandémie.

Dans un premier temps, la Cour d’appel de Paris affirme que conformément à l’article 1218 du Code civil, la force majeure peut suspendre l’obligation de paiement, mais ne peut la réduire. Se basant sur cette disposition, la Cour d’appel estime que la force majeure ne peut être retenue pour les manifestations des gilets jaunes et la grève des transports, en ce que les manifestations des gilets jaunes n’ont lieu qu’une fois par semaine, et la grève des transports n’entrave pas la liberté d’aller et venir.

En revanche, la Cour d’appel considère que la fermeture totale du commerce du locataire dans le cadre de la crise sanitaire peut, quant à elle, revêtir le caractère de la force majeure.

Par ces motifs, la Cour d’appel condamne le locataire au paiement des loyers antérieurs au premier confinement, et prononce son expulsion en ce qu’il n’a pas régularisé sa situation dans le délai d’un mois suivant le commandement de payer.

A retenir :

En cette période où la crise sanitaire affecte la majorité des commerces, la décision rendue par la Cour d’appel le 09 décembre 2020 nous éclaire sur le caractère de la force majeure, son champ d’application et ses conséquences sur les obligations des parties à un contrat.

D’après l’article 1218 du Code civil visé par la Cour d’appel, il y a force majeure en matière contractuelle dès lors qu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

La cour d’appel complète cette définition, en précisant qu’un événement, bien qu’il respecte les conditions posées par l’article 1218 du Code Civil, ne peut pas constituer un cas de force majeure s’il a lieu de manière ponctuelle (une fois par semaine en l’espèce) ou s’il n’entrave pas la liberté d’aller et venir.

En revanche, la cour d’appel estime qu’un événement imprévu tel que le confinement mis en place en raison de la crise sanitaire, entraînant la fermeture totale du commerce du locataire, peut être considéré comme un cas de force majeure.

Dans sa décision, la Cour d’appel rappelle également les conséquences de la force majeure sur les obligations des parties à un contrat. En effet, elle affirme que le cas de force majeure peut entraîner la suspension des obligations des parties, mais pas leur diminution. Le locataire d’un local commercial ne peut donc pas demander la diminution du montant de son loyer en invoquant la force majeure, ce qui explique pourquoi la Cour d’appel n’a pas accordé au locataire les réductions de loyers qu’il sollicitait.

Toutefois, si la suspension des loyers est admise, le bailleur ne peut pas réclamer d’intérêts de retard ou engager contre son locataire une procédure d’expulsion pour les loyers non payés pendant cette période. En effet, la suspension de l’obligation de paiement du locataire implique la neutralisation des effets du non-respect de cette obligation.

Jurisprudence Covid-19 : Loyers commerciaux et force majeure

Jurisprudence Covid-19 : Loyers commerciaux et force majeure