Dans un arrêt du 18 décembre 2020, le Conseil d’État rappelle les règles d’indemnisation d’un candidat évincé à l’attribution d’un marché public (CE, 18 décembre 2020, Société Architecture Studio, n°433986).

En principe, en fonction des chances dont disposait le candidat évincé de remporter le marché public, celui-ci a droit à une indemnisation qui peut aller du remboursement des frais engagés pour présenter son offre à l’indemnisation de son manque à gagner.

Mais tel n’est pas le cas lorsque l’offre de ce candidat est irrégulière.

Marché public : Indemnisation du candidat évincé et offre irrégulière

Marché public : Indemnisation du candidat évincé et offre irrégulière

Droit à indemnisation du candidat évincé en marché public

Dans sa décision du 18 décembre 2020, le Conseil d’État rappelle les règles relatives à l’indemnisation du candidat évincé irrégulièrement d’une procédure d’attribution d’un marché public.

Ainsi,

« Lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d’intérêt général » (CE, 18 décembre 2020, Société Architecture Studio, n° 433986).

Le Conseil d’État reprend ici ce qu’il avait déjà pu considérer dans ses décisions Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe (CE 18 juin 2003 Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe et autres, n° 249630) et Société Régal des Iles (CE, 28 février 2020, Société Régal des Iles, n° 426162) notamment.

Ainsi, avant tout, le candidat évincé qui estime avoir subi un préjudice consécutif à son éviction irrégulière devra démontrer qu’il existe un lien de causalité entre l’irrégularité de son éviction et son préjudice.

Ensuite, schématiquement, pour faire éventuellement droit à la demande indemnitaire présentée par un candidat qui estime avoir été irrégulièrement évincé de l’attribution d’un marché public, le juge administratif va raisonner en deux étapes.

  • Première étape : Le juge administratif va vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat en cause :
    • Si le candidat est dépourvu de toute chance de remporter le contrat, alors il n’a droit à aucune indemnité ;
    • Si le candidat disposait d’une chance de remporter le marché, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre en vue de l’attribution du marché.
  • Seconde étape : si et seulement si le candidat n’était pas dépourvu de toute chance de remporter le contrat, le juge devra alors rechercher si le candidat évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat :
    • Si le candidat ne disposait pas d’une chance sérieuse d’emporter le marché, alors son indemnisation se limite aux frais qu’il a engagés pour présenter son offre ;
    • Si en revanche le candidat disposait d’une chance sérieuse d’emporter le marché, alors il a le droit d’être indemnisé de son manque à gagner (intégrant les frais engagés pour remettre son offre).

En l’occurence, le juge administratif considère que dispose d’une chance sérieuse d’emporter un marché public, le candidat classé en deuxième position (V. par exemple: CE, 7 novembre 2001, SA Quillery, n°218221 ; CAA Lyon, 4 novembre 2010, Holding Soprema SA, n° 08LY01008).

Enfin rappelons que le manque à gagner s’entend comme le bénéfice net avant impôt sur les sociétés que le candidat irrégulièrement évincé escomptait tirer de l’exécution du contrat (CE, 19 janvier 2015, Société SPIE Est, n°384653).

Le candidat dont l’offre est irrégulière a-t-il le droit à une indemnisation ?

Pour mémoire, une offre irrégulière est une offre incomplète, une offre qui ne respecte pas certaines exigences prévues dans les documents de la consultation du marché public ou encore une offre qui méconnait la législation applicable (Voir notre article).

Rappelons également qu’en vertu de l’article R. 2152-2 du code de la commande publique, l’acheteur public peut autoriser tous les candidats à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses, étant rappelé que la régularisation des offres irrégulières ne doit pas avoir pour effet de modifier les caractéristiques substantielles des offres.

Qu’en est-il alors du candidat dont l’offre a été écartée parce qu’elle a été considérée comme étant irrégulière par l’acheteur ?

Le Conseil d’État estime que ce candidat doit être regardé comme étant dépourvu de toute chance d’obtenir le contrat, et cela peu importe la faculté dont disposait l’acheteur public de l’inviter à régulariser son offre.

Aux termes de sa décision le Conseil d’État considère que :

« Lorsque l’offre d’un candidat évincé était irrégulière et alors même que l’offre de l’attributaire l’était aussi, la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues par l’article R. 2152-2 du code de la commande publique, de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat » (CE, 18 décembre 2020, Société Architecture Studio, n° 433986).

En outre, comme l’avait déjà considéré le Conseil d’État (CE 8 octobre 2014, SIVOM de Saint François Longchamp Montgellafrey, n° 370990), peu importe également que l’offre de la société irrégulière soit, elle-aussi, irrégulière.

Partant, dans la décision Société Architecture Studio commentée, le Conseil d’État – confirmant la Cour administrative d’appel de Lyon – observe que l’offre du candidat évincé requérant était irrégulière et non-régularisable, de sorte que cette offre était dépourvue de toute chance d’obtenir le contrat.

Par voie de conséquence, la société requérante n’avait alors droit à aucune indemnisation.