Permis de construire : Demande illégale de pièces complémentaires, c’est tout ou rien !

Permis de construire : Demande illégale de pièces complémentaires, c’est tout ou rien !

Dans une décision rendue le 4 février 2025, le Conseil d’État est (à nouveau) venu redéfinir les conditions dans lesquelles une demande illégale de pièces complémentaires peut ne pas faire obstacle à la naissance d’une autorisation tacite.

CE, 4 février 2025, n° 494180, Commune de Contes

Avant de détailler la portée de cette décision, il convient de rappeler l’importance des délais d’instruction en matière d’urbanisme et les conditions dans lesquelles ils peuvent être interrompus par une demande de pièces complémentaires.

Les délais d’instruction en matière d’urbanisme

En principe, le délai d’instruction court à compter du dépôt en mairie d’une demande d’autorisation d’urbanisme (article R. 423-19 du code de l’urbanisme).

Ce délai diffère selon la nature des travaux envisagés (article R. 423-23 du code de l’urbanisme) :

  • 1 mois pour les travaux soumis à déclaration préalable de travaux ;
  • 2 mois pour les demandes de permis de démolir ou pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle ;
  • 3 mois pour les demandes de permis d’aménager et les autres demandes de permis de construire.

Néanmoins, les articles R. 432-24 et suivants de ce code prévoient des délais majorés pour certaines demandes, notamment lorsque des avis spécifiques doivent être sollicités ou que le projet est situé dans un périmètre faisant l’objet d’une protection au titre de certaines législations ou encore lorsque des autorisations particulières sont requises.

Le respect de ces délais par les autorités en charge d’instruire les demandes d’autorisations d’urbanisme (principalement les communes) est crucial.

En effet, si aucune décision expresse n’est intervenue au terme de ces délais, le pétitionnaire devient titulaire d’une autorisation tacite (article R. 424-1 du code de l’urbanisme), sauf rares exceptions où naît une décision implicite de rejet (articles R. 424-2 et R. 424-3 du même code).

Une vigilance particulière doit ainsi être accordée au respect de ces délais car, en cas de naissance d’une autorisation tacite (Voir : le permis de construire tacite), l’autorité instructrice n’a plus que la possibilité de retirer cette autorisation, mais à la triple condition que (1) cette autorisation soit illégale, (2) de procéder à ce retrait dans un délai de 3 mois et (3) de respecter une procédure contradictoire (article L. 424-5 du code de l’urbanisme ; Voir en ce sens : CE, 30 décembre 2015, n° 383264).

La possibilité de solliciter du pétitionnaire des pièces complémentaires

Dans ce délai d’instruction, l’autorité instructrice a la faculté de solliciter du pétitionnaire la production de pièces complémentaires lorsque le dossier de demande s’avère être incomplet.

Cette faculté doit être exercée dans un délai maximum d’un mois suivant le dépôt de la demande en mairie (article R. 423-38 du code de l’urbanisme).

Une demande de pièces complémentaires a pour effet d’interrompre le délai d’instruction, lequel ne recommencera à courir qu’à la date de réception de ces pièces, produites par le pétitionnaire.

Aucune autorisation tacite ne pourra ainsi naître lors de cette période d’interruption.

Si le pétitionnaire ne produit pas les pièces demandées dans un délai de 3 mois à compter du jour où il reçoit la demande, sa demande d’autorisation fait l’objet d’un rejet tacite (article R. 423-39 du code de l’urbanisme).

Toutefois, l’autorité instructrice ne dispose pas d’une totale liberté pour demander des pièces complémentaires.

Une telle demande ne peut porter que sur des pièces limitativement énumérées par le code de l’urbanisme (article R. 423-41 du code de l’urbanisme).

Autrement dit, lorsque l’autorité instructrice sollicite du pétitionnaire la production d’une pièce qui ne figure pas parmi celles que le code de l’urbanisme permet d’exiger, cette demande est illégale et n’interrompt pas le délai d’instruction

Les conséquences d’une demande illégale de pièces complémentaires

Au-delà de l’interruption, ou non, du délai d’instruction, le caractère illégal d’une demande de pièces complémentaires a donné lieu à une certaine valse jurisprudentielle ces dernières années quant à la question de savoir si une autorisation tacite pouvait naître ou non.

En effet, le Conseil d’État considérait initialement qu’une demande illégale de pièces complémentaires ne rendait pas le pétitionnaire titulaire d’une autorisation tacite à l’issue du délai d’instruction (CE, 9 décembre 2015, n° 390273).

Dans certains cas, il pouvait s’avérer long et difficile pour le pétitionnaire de surmonter une telle demande puisque, s’il ne produisait pas les pièces sollicitées, il se retrouvait avec un refus tacite qu’il lui fallait contester devant le Tribunal administratif.

Sinon, il pouvait contester le courrier de demande de pièces complémentaires, dont l’annulation ne le rendait toutefois pas titulaire d’une autorisation… (CE, 8 avril 2015, n° 365804).

Las que des projets puissent illégalement se retrouver paralysés, le Conseil d’État a décidé en décembre 2022 (CE, 9 décembre 2022, n° 454521, Commune de Saint-Herblain) de revenir sur la jurisprudence de décembre 2015 en posant que, désormais :

« Le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans qu’une telle demande puisse y faire obstacle. »

Ainsi, non seulement une demande illégale de pièces complémentaires n’interrompt pas le délai d’instruction, mais elle ne fait désormais plus obstacle à ce que le pétitionnaire soit titulaire d’une autorisation tacite au terme de ce délai, et en l’absence de décision expresse de l’autorité instructrice !

Dans la décision ici commentée, le Conseil d’État est venu affiner, et par la même occasion restreindre, la portée de sa décision Commune de Saint-Herblain.

Dans cette affaire, le maire de la Commune de Contes avait sollicité du pétitionnaire qu’il produise, d’une part, la superficie exacte de ses parcelles situées en zone UD et, d’autre part, la copie de la lettre du préfet relative au défrichement de ses parcelles.

Pour la Haute Juridiction, « si la demande relative à la superficie exacte située en zone UD des parcelles ne porte pas sur une des pièces mentionnées au livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme, la lettre du préfet relative au défrichement des parcelles du pétitionnaire est mentionnée à l’article R. 431-19 du code de l’urbanisme et fait ainsi partie des pièces qui peuvent être exigées en application du livre IV de la partie réglementaire de ce code ».

Il en déduit que « la demande relative à cette lettre faisait donc obstacle en l’espèce à la naissance d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction et à ce que la décision de refus de permis de construire en litige soit regardée comme procédant illégalement au retrait d’un tel permis tacite. ».

Autrement dit, lorsque la demande de pièces complémentaires porte sur au moins une pièce prévue par le code de l’urbanisme, le délai d’instruction est valablement interrompu et aucune autorisation tacite ne peut naître en application de la jurisprudence Commune de Saint-Herblain.

La jurisprudence Commune de Saint-Herblain se trouve donc désormais réduite à la seule hypothèse où la demande de pièces complémentaires porte intégralement sur des pièces qui ne figurent pas parmi celles susceptibles d’être exigées en application du code de l’urbanisme.

Tout pétitionnaire confronté à une demande de pièces complémentaires devra donc se livrer à une analyse précise des pièces qui lui sont demandées pour déterminer dans quelle configuration il se situe et quels sont ses droits.

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Coécrit avec Nicolas Machet & Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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