Sommaire
- Pour invoquer les dispositions d’ordre public du bail commercial, encore faut-il que le contrat soit qualifié de bail commercial
- Mais pour que ces dispositions impératives trouvent à s’appliquer, encore faut-il que le contrat en cause soit bien qualifié juridiquement de bail commercial !
- Le locataire ne pouvait en l’espèce invoquer les dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux (la durée de 9 ans) sans avoir au préalable fait requalifier son contrat en bail commercial.
- Alors pourquoi dans l’affaire qui nous occupe le locataire n’avait pas sollicité préalablement la requalification de son contrat en bail commercial ?
- Pour tenter de contourner la prescription, il nous semble que le locataire aurait pu exploiter deux pistes intéressantes.
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Prescription de la demande en requalification en bail commercial
Pour invoquer les dispositions d’ordre public du bail commercial, encore faut-il que le contrat soit qualifié de bail commercial
Commentaire d’arrêt de la 3e chambre civile de la Cour de cassation du 7 décembre 2022 n°21-23.103, par Me Baptiste Robelin
On sait que le statut des baux commerciaux prévoit un certain nombre de dispositions d’ordre public, auxquelles il est impossible de déroger dans le contrat.
Ces dispositions d’ordre public sont prévues par l’article L. 145-15 du Code de commerce, énonçant que :
« Sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l’article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54 ».
Il s’agit notamment des règles suivantes :
- La durée du bail qui ne peut être inférieure à 9 ans (Code de commerce, art. L. 145-4) ;
- Le plafonnement de la hausse des loyers révisés, sauf baux d’une durée supérieure à 9 ans (Code de commerce, art. L. 145-38 et L. 145-39) ;
- L’obligation de faire un état des lieux d’entrée et un état des lieux de sortie de manière contradictoire entre les parties ou par exploit d’huissier (Code de commerce, art. L. 145-40-1) ;
À cela s’ajoutent d’autres règles qui, pour la Cour de cassation, sont également considérées comme impératives et notamment :
- La cession de plein droit du bail, sans que le bailleur ne puisse s’y opposer, en cas de scissions et de transmissions universelles de patrimoines (Code de commerce, art. L. 145-16) ;
- La création d’un droit de préférence au profit du locataire (Code de commerce, art. L. 145-46-1) en cas de vente des murs, sauf exception légale ;
- La limitation de la garantie solidaire du preneur vis-à-vis du bailleur à 3 ans à compter de la cession du bail (Code de commerce, art. L. 145-16-1 et L. 145-16-2) ;
- La faculté de délivrer congé par lettre recommandée (Code de commerce, art. L. 145-9).
Mais pour que ces dispositions impératives trouvent à s’appliquer, encore faut-il que le contrat en cause soit bien qualifié juridiquement de bail commercial !
C’est ce que rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 7 décembre 2022 objet du présent commentaire (3e chambre civile ; n°21-23.103).
En l’espèce, par acte du 16 juillet 2009, une société avait donné à bail à une autre société un terrain nu supportant une station de lavage démontable.
Le 24 novembre 2015, le bailleur donnait congé au locataire pour le 30 juin 2016. Le locataire refusait pour autant de quitter les lieux.
Le bailleur n’avait donc d’autre choix que d’assigner son locataire en expulsion.
En défense, le locataire avait eu pour idée de demander l’annulation du congé au motif que la clause relative à la durée du bail devait être réputée non écrite.
Il se fondait sur l’article L. 145-15 du Code de commerce, rappelé plus haut, énonçant que la durée du bail ne saurait être inférieure à 9 ans.
Par un arrêt infirmatif du 29 juillet 2021, la cour d’appel de Pau déclarait la demande du locataire prescrite depuis le 16 juillet 2011 puisqu’il s’agissait d’une demande de requalification du contrat en bail commercial.
Le locataire s’est alors pourvu en cassation en faisant valoir que la cour d’appel aurait violé l’article L. 145-15 du Code de commerce qui déclare non écrites les clauses relatives à la durée du bail commercial.
La Cour de cassation rejette le pourvoi, approuvant la cour d’appel en ce que : « l’article L. 145-15 du code de commerce réputant non écrites certaines clauses d’un bail, n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial ».
La solution paraît logique !
Le locataire ne pouvait en l’espèce invoquer les dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux (la durée de 9 ans) sans avoir au préalable fait requalifier son contrat en bail commercial.
La Cour de cassation avait d’ailleurs déjà rendu un arrêt dans le même sens par le passé, rappelant qu’un locataire ne pouvait demander le renouvellement de son bail, sans avoir au préalable fait requalifier son contrat en bail commercial : « l’action en renouvellement de ce bail supposait au préalable la requalification de celui-ci en bail commercial » (Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-12.136).

Alors pourquoi dans l’affaire qui nous occupe le locataire n’avait pas sollicité préalablement la requalification de son contrat en bail commercial ?
Tout simplement parce que cette demande était prescrite en l’espèce.
Il est en effet de jurisprudence constante que l’action en requalification en bail commercial se prescrit par deux ans à compter de la conclusion du contrat (Civ. 3e, 29 oct. 2008, n° 07-16.185) et qu’un nouveau délai ne court pas en cas de tacite reconduction du contrat (Com. 11 juin 2013, n° 12-16.103).
La Cour de cassation ne pouvait donc, sauf à se contredire, que juger que le délai pour agir en requalification en bail commercial avait en l’espèce couru du 16 juillet 2009, date de la conclusion du bail, au 16 juillet 2011, date d’échéance du délai de prescription biennale prévu par l’article L. 145-60 du Code de commerce.
Pour tenter de contourner la prescription, il nous semble que le locataire aurait pu exploiter deux pistes intéressantes.
En premier lieu, on pourrait imaginer que le locataire invoque la fraude lors de la conclusion du contrat. On sait que la fraude suspend la prescription biennale comme il a déjà été jugé dans un arrêt de la Haute Cour du 23 septembre 2021 : « [i]l résulte de la combinaison de [l’article L. 145-60 du code de commerce] et [du principe selon lequel la fraude corrompt tout] que la fraude suspend le délai de prescription biennale applicable aux actions au titre d’un bail commercial » (Cass. Civ. 3e, 23 sept. 2021, n° 20-10.812).
C’est une piste intéressante, même si l’on sait que les juges du fond sont assez réticents à caractériser la fraude (voir par exemple, Aix-en-Provence, 7 nov. 2019, n° 18/11516 et Cass. Civ. 3e, 19 nov. 2015, n° 14-13.882).
Autre piste, peut-être plus incertaine. La Cour de cassation a jugé que la demande en requalification du bail pourrait être qualifiée de défense au fond et non pas nécessairement de demande reconventionnelle (Civ. 3e, 22 oct. 2020, n° 18-25.111). Dans cette affaire, la demande a été jugée prescrite, car le locataire « ne se bornait pas à solliciter le rejet de la demande d’expulsion formée par [le bailleur] en invoquant la soumission du contrat au statut des baux commerciaux, ce qui lui ferait bénéficier du droit au maintien dans les lieux, mais entendait voir tirer toutes les conséquences de la requalification du contrat en demandant le paiement d’une indemnité d’éviction à fixer, dont la reconnaissance conditionnait le droit au maintien dans les lieux ».
Cet arrêt pourrait s’interpréter en ce que la Cour de cassation considère que la demande au bénéficie du statut des baux commerciaux est imprescriptible si le locataire se borne à solliciter le rejet de la demande du bailleur. Il s’agirait alors d’une défense au fond et non pas d’une demande reconventionnelle.
Or la Cour de cassation a déjà jugé que la défense au fond échappe à la prescription :
« mais attendu qu’une défense au fond, au sens de l’article 71 du code de procédure civile, échappe à la prescription » (1ère Chambre Civile de la Cour de cassation, 31 janvier 2018, n° 16 – 24. 092)
Cette jurisprudence a été élaborée pour éviter qu’une partie demanderesse n’attende qu’un élément de défense à titre reconventionnel ne soit prescrit pour intenter une action en paiement contre la partie défenderesse.
On pourrait alors interpréter l’arrêt précité du 22 octobre 2020 (Civ. 3e, 22 oct. 2020, n° 18-25.111) comme un signe selon lequel le locataire pourrait toujours solliciter la requalification de son contrat en bail commercial, en échappant à la prescription biennale, s’il s’agit d’une défense au fond et non d’une demande reconventionnelle. Piste intéressante à explorer.
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Cet article vous a plu ? Vous pouvez aussi consulter notre page « Avocat bail commercial » et « Avocat cession de fonds de commerce ».
Prescription de la demande en requalification en bail commercial
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