Dans un arrêt très intéressant du 25 janvier 2023 (3e chambre civile, pourvoi n° 21-21.943) la Cour de cassation revient sur les pouvoirs du juge des loyers en matière d’étalement de la hausse du loyer déplafonné.
Pour comprendre cette affaire, il convient de reprendre les dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce, dernier alinéa, énonçant: « En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente ».
C’est l’un des mécanismes dits « protecteur » du preneur prévu par le statut des baux commerciaux, afin d’éviter des hausses de loyer trop importantes au stade du renouvellement (voir pour être complet sur cette question notre page sur la révision du loyer dans le cadre du bail commercial).
En principe donc, si le loyer du bail augmente dans le cadre d’un déplafonnement, cette augmentation ne saurait excéder 10 % par an (règle dite du « lissage » instaurée par la loi Pinel du 18 juin 2014, n° 2014-626).
Dans l’arrêt qui nous occupe (Cass, civ, 3e 25 janvier 2023 n° 21-21.943), la Cour de cassation devait déterminer si le Juge des loyers est ou non compétent pour faire application de la règle du lissage lorsqu’il statue sur le quantum du loyer du bail.
Cela ne va pas de soi, dès lors que l’article R. 145-23 du Code de commerce limite de manière très précise les pouvoirs dévolus au juge des loyers :
« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent ».
Il semble à priori clair que le Juge des loyers n’est compétent que pour fixer le montant du loyer et ne saurait faire application de l’article L. 145-34 du Code de commerce pour statuer parallèlement sur la question du lissage de l’augmentation.
C’est exactement la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt présentement commenté (Cass, civ, 3e 25 janvier 2023 n° 21-21.943).
En l’espèce, un bailleur reprochait à la Cour d’appel d’avoir statué à la fois sur la question du montant du loyer et sur son étalement (qu’elle avait en l’espèce appliqué sur quatre ans).
La Cour de cassation censure cette décision considérant donc qu’il n’appartenait pas à la cour d’appel (saisie dans la limite des pouvoirs du juge des loyers) de statuer sur un autre point que la question du quantum du loyer (tel que prévu par l’article R. 145-23 du Code de commerce).
En réalité, cette décision n’est pas surprenante puisqu’elle reprend les termes d’un avis qui avait été rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2018 (Civ. 3e, avis, 9 mars 2018, n° 17-70.040) énonçant qu’il n’entre pas dans l’office du juge des loyers commerciaux, mais dans celui des parties, d’arrêter l’échéancier des loyers qui seront exigibles durant la période au cours de laquelle s’applique l’étalement de la hausse du loyer instauré par l’article L 145-34 du Code de commerce.
Dans ce même avis, la Cour de cassation rappelait par ailleurs que la règle du lissage prévue par l’article L 145-34 du Code de commerce n’est pas d’ordre public, et que les parties peuvent ainsi y déroger dans le contrat de bail.