
Sélection de l’occupant du domaine public
La Cour Administrative d’Appel de Nantes clarifie le contenu et la portée de la procédure de sélection des offres pour l’attribution d’une autorisation d’occupation du domaine public.
Procédure de sélection de l’occupant du port
Par un arrêt du 31 mars 2021, la Cour Administrative d’Appel de Nantes a rejeté les conclusions de la Société Sur Mer qui souhaitait obtenir l’annulation d’une procédure d’attribution d’autorisation d’occupation du domaine public (CAA Nantes, 31 mars 2021, n°19NT04346).
La Chambre du Commerce et de l’Industrie (CCI) des Côtes-d’Armor exploite une concession sur le Port de l’Arcouest dédiée à l’embarquement de passagers à destination de l’île de Bréhat.
La CCI des Côtes-d’Armor souhaitait attribuer une autorisation d’occupation du domaine public concernant ce site afin de permettre son exploitation économique.
En conséquence, elle a organisé une procédure d’attribution sous la forme d’un appel à projets, plusieurs sociétés ont répondu à cet appel.
La société Sur Mer avait présenté sa candidature au titre qu’elle exerce une activité de découverte du littoral et de transport à la demande entre le port de l’Arcouest et l’île de Bréhat.
Toutefois, la CCI lui a préféré la société Les Vedettes de Bréhat qui est notamment titulaire d’une délégation de service public lui confiant le transport des personnes entre le port de l’Arcouest et l’Île de Bréhat.
La société Sur Mer a décidé de contester la validité de cette procédure de sélection des offres et a donc saisi le juge administratif à cet effet.
Les principaux motifs invoqués par la société étaient les suivants :
- La CCI aurait utilisé des critères de sélection imprécis et partiaux, à ce sujet :
- La CCI aurait utilisé des critères de sélection qui n’étaient pas prévus par les documents de consultation.
- La CCI aurait privilégié l’offre de la société Les Vedettes de Bréhat en raison de son statut de délégante du service public.
- La CCI aurait validé une position anticoncurrentielle en délivrant l’autorisation à la société Les Vedettes de Bréhat, cette dernière étant placée en situation d’abus de position dominante.
Par son arrêt, la CAA de Nantes a permis de clarifier les obligations attenantes à la procédure d’attribution des autorisations d’occupation du domaine public.
La mise en concurrence des conventions d’occupation du domaine public
L’ordonnance du 19 avril 2017 a créé l’article L.2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) qui dispose que :
« Le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester ».
L’obtention d’une autorisation d’occupation du domaine public, lorsque cette dernière prévoit l’exploitation économique de ce domaine, doit donc respecter les conditions suivantes :
- L’organisation d’une procédure de sélection préalable,
- L’impartialité et la transparence de cette procédure,
- Une publicité préalable à cette procédure.
Ce nouveau régime rapproche le régime d’attribution des autorisations d’occupation du domaine public de celui des contrats de la commande publique qui sont eux-mêmes soumis à une procédure de sélection des offres très encadrée.
Si vous souhaitez en savoir plus à ce sujet, nous vous invitons à consulter notre article sur le sujet.
Toutefois, le CGPPP restait muet quant au fait de savoir ce qui constitue une procédure de sélection impartiale et transparente, il revenait donc au juge de définir le niveau d’exigence qu’il convient d’attendre d’une telle condition.
Il est certain que les termes « organise librement » signifient la volonté du législateur de laisser une plus grande marge de manœuvre à l’autorité gestionnaire du domaine public par rapport à ce que prévoit le code de la commande publique, par exemple s’agissant des marchés publics.
En l’espèce, la CCI des Côtes-d’Armor avait prévu les critères de sélection suivants :
- La qualité du plan de développement proposé et notamment :
- Son intérêt pour le développement touristique et le service public
- Sa prise en compte de l’environnement
- La mise en place d’élément pédagogique à destination du public.
- La qualité du modèle économique proposé, c’est-à-dire :
- Le montage juridique.
- La sincérité du modèle économique et la capacité financière.
- Le compte d’exploitation prévisionnel.
- Le montant et la structure de la redevance proposée.
La société Sur Mer considérait que ces critères étaient imprécis et partiaux et ne remplissaient pas les attentes de l’article L.2122-1-1 du CGPPP.
À ce sujet la CAA de Nantes a rappelé que le pouvoir adjudicateur fixe librement les critères et sous-critères de sélection, en conséquence elle considère que l’ensemble de ces derniers n’étaient pas arbitraires, imprécis ou dépourvus de lien avec l’objet du contrat.
La société Sur Mer affirmait également que la CCI avait pris en compte, au stade de la sélection des offres, les critères supplémentaires suivants :
- Le modèle économique éprouvé,
- La mise en conformité de l’accueil des handicapés,
- La plus-value immobilière apportée à l’emplacement du fait des aménagements réalisés.
Aucun de ces critères n’était expressément prévu par la CCI des Côtes-d’Armor lors du dépôt des offres, leur ajout au stade de la sélection pouvait donc paraitre fautif.
Toutefois, la CAA de Nantes a rejeté cette interprétation, si elle reconnait que ces éléments ont été utilisés lors de la sélection des offres elle considère qu’il ne s’agit pas de critères de sélection mais d’une méthode d’appréciation des offres.
La CAA de Nantes considère donc que ces éléments se rattachent aux critères généraux prévus par l’appel d’offres et notamment le critère de « l’intérêt pour le service public ».
La société Sur Mer affirmait également que la CCI avait pris en compte le fait que son concurrent soit titulaire d’une délégation de service public.
À ce titre, la CCI aurait ajouté un nouveau critère de sélection et ce dernier serait discriminatoire puisqu’il aurait avantagé, sans cause, la société Les Vedettes de Bréhat.
La CAA de Nantes rejette à nouveau cette interprétation, bien qu’elle reconnaisse que cet élément a été pris en compte par la CCI lors de sa sélection des offres.
Elle considère qu’un tel élément est admissible lorsque deux conditions sont réunies :
- L’élément est en lien avec l’objet de la procédure d’attribution et se rattache à un critère de sélection, en l’occurrence le critère « plan de développement proposé».
- L’élément « n’a pas été de nature à priver de portée les critères de sélection en conduisant alors à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre pour un critère donné ou, à ce que, pour l’ensemble des critères, l’offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas retenue ».
Il paraît intéressant d’étudier plus en avant ce considérant.
Ce dernier parait s’inspirer de l’article R.2152-7 du Code de la commande publique qui dispose « Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, l’acheteur se fonde : (…)
2° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux ».
Notons bien que cet article s’applique uniquement aux marchés publics et non aux autorisations d’occupation du domaine public.
Le considérant de la CAA de Nantes ne reprend pas exactement les dispositions précitées du Code de la commande publique.
En effet, ce dernier prévoit que le pouvoir adjudicateur, afin d’attribuer le marché à l’offre économiquement la plus avantageuse pourra prendre en compte des critères, autres que le prix, tant que ces derniers sont liés à son objet et qu’ils sont non-discriminatoire.
En conséquence, s’il est possible pour le pouvoir adjudicateur d’utiliser des critères autres que le prix, ces derniers ne devront tout de même pas être discriminatoires.
Tandis que la CAA de Nantes affirme que le pouvoir adjudicateur peut user de critères discriminatoires tant que ces derniers sont liés à l’objet de l’autorisation et qu’il n’empêche pas de choisir l’offre la plus économiquement avantageuse.
Cette interprétation offre donc une marge de manœuvre plus importante au pouvoir adjudicateur qu’en matière de marchés publics notamment.
Sélection de l’occupant du domaine public et droit de la concurrence
Il est encore possible d’invoquer les manquements au droit de la concurrence afin de contester une autorisation d’occupation du domaine public, en revanche la liberté du commerce et de l’industrie ne peut être utilement invoquée
Pour mémoire, l’article 420-2 du Code de commerce dispose que l’abus de position dominante par une entreprise ou un groupe d’entreprise est prohibé, cet abus est constitué lorsque les trois critères suivants sont réunis :
- L’existence d’une position dominante sur un marché déterminé,
- L’exploitation abusive de cette position,
- Un effet ou objet, même potentiel, de restriction de la concurrence sur ce marché.
La position dominante est définie par la jurisprudence européenne comme étant une « position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs » (CJUE, 14 février 1078, United Brands et United Brands Continental BV/Commission) .
Concernant les personnes publiques il est à noter, tout d’abord, que de manière générale, lorsque le domaine public dont elles sont gestionnaires est le siège d’activités économiques, les personnes publiques doivent prendre en considération, dans la gestion de ce domaine, le principe de la liberté de l’industrie et du commerce et les règles de concurrence (CE sect., 26 mars 1999, Société EDA, n° 202260
Plus spécifiquement, concernant l’attribution des autorisations d’occupation du domaine public, le droit de la concurrence a déjà été invoqué avec succès devant le juge administratif afin de s’opposer à une décision d’attribution : « la personne publique ne peut toutefois délivrer légalement une telle autorisation lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l’occupant en situation d’abuser d’une position dominante, contrairement aux dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce » (CE 23 mai 2012, RATP, n°348909).
De cette décision deux conclusions pouvaient être tirées :
- L’administration, lorsqu’elle attribue une autorisation d’occupation, doit respecter le droit de la concurrence,
- L’administration, lorsqu’elle attribue une autorisation d’occupation, ne doit pas placer l’occupant automatiquement en situation d’abuser d’une position dominante.
Concernant la première conclusion, elle avait pour objet de contraindre la personne publique à organiser une procédure de sélection des offres alors que l’article L.2122-1-1 du CGPPP n’existait pas encore.
Aussi, l’intervention de l’ordonnance du 19 avril 2017 et la création de l’article L.2122-1-1 du CGPPP paraissaient remettre en cause cet état du droit, puisqu’avec la création d’une procédure de sélection des occupants impartiale et transparente, cette jurisprudence du Conseil d’État pourrait être considérée comme n’ayant plus d’objet.
Concernant le second motif, il avait pour objectif d’empêcher la personne publique d’accorder des autorisations d’occupation du domaine public d’une valeur stratégique trop importante, ce qui pouvait encourager des situations de monopoles.
Avec l’intervention de l’ordonnance de 2017, on aurait pu considérer que la création d’une procédure de sélection préalable suffirait à régler le problème.
En effet, on aurait pu considérer que la concurrence était assurée « en aval » et que la situation de position dominante créée serait donc acceptable pour ce qui concerne le droit de la concurrence.
Dans le cas d’espèce, la société Sur Mer considérait que la CCI avait validé une position anticoncurrentielle en délivrant l’autorisation d’occupation à la société Les Vedettes de Bréhat.
La CAA de Nantes a répondu par le considérant suivant :
« En septième lieu, l’autorité chargée de la gestion du domaine public peut autoriser une personne privée à occuper une dépendance de ce domaine en vue d’y exercer une activité économique, à la condition que cette occupation soit compatible avec l’affectation et la conservation de ce domaine.
La décision de délivrer ou non une telle autorisation, que l’administration n’est jamais tenue d’accorder, n’est pas susceptible, par elle-même, de porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, dont le respect implique, d’une part, que les personnes publiques n’apportent pas aux activités de production, de distribution ou de services exercées par des tiers des restrictions qui ne seraient pas justifiées par l’intérêt général et proportionné à l’objectif poursuivi et, d’autre part, qu’elles ne puissent prendre elles-mêmes en charge une activité économique sans justifier d’un intérêt public.
Toutefois, une personne publique ne peut légalement délivrer au profit d’une personne privée une autorisation d’occuper le domaine public aux fins d’y exercer une activité économique lorsque sa décision aurait pour effet de méconnaître le droit de la concurrence, notamment en plaçant automatiquement l’occupant en situation d’abuser d’une position dominante ».
Deux éléments peuvent être tirés de ce considérant :
- La liberté du commerce et de l’industrie ne peut être invoquée pour s’opposer à l’attribution d’une autorisation d’occupation du domaine public en ce qu’elle ne restreint pas l’activité économique et n’amène pas la personne publique à exercer une activité économique.
- La CAA de Nantes reprend presque exactement le considérant de l’arrêt RATP de 2012 ce qui implique que l’on puisse encore opposer le droit de la concurrence à l’administration malgré l’existence d’une procédure de mise en concurrence préalable.
Concernant cette dernière conclusion, il convient tout de même de noter que la CAA de Nantes a pris en considération le fait que l’attribution de l’autorisation d’occupation avait fait l’objet d’une procédure de mise en concurrence tout comme le fait que ces autorisations sont d’une durée limitée, précaires et révocables.
L’attribution des autorisations d’occupation du domaine public pourra donc toujours être contestée devant le juge administratif au titre de l’atteinte au droit de la concurrence, malgré le fait qu’une procédure de mise en concurrence ait été effectuée.
Néanmoins, cette procédure de sélection reste un élément guidant le juge administratif dans son appréciation.
En l’espèce, la CAA de Nantes a considéré que l’autorisation d’occupation accordée par la CCI à la société Sur Mer ne saurait suffire, au vu des circonstances matérielles, à placer cette dernière en situation d’abuser d’une position dominante.
En conséquence, la CAA de Nantes a rejeté la requête en appel de la société Sur Mer.
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