Baptiste Robelin

Par Baptiste Robelin, avocat spécialisé en droit de l’hôtellerie et de la restauration (CHR)

On appelle cela la « social proof » en français, « preuve sociale ».

En marketing, c’est un mécanisme d’influence bien connu, l’idée que les consommateurs fonctionnent par mimétisme (un peu comme les moutons de Panurge…).

Quoi qu’on en pense, le système des notes, avis et critiques sur Internet est aujourd’hui un élément incontournable du marketing en ligne.

Pour les Hôtels et restaurants, c’est un élément indispensable de leur stratégie commerciale. Les plateformes de référencement ne cessent de se multiplier (Booking, Tripadvisor, etc.) et même les marketplace de livraison en ligne (Uber Eats, Deliveroo, etc.) utilisent les notes des consommateurs comme une clé de référencement dans leur algorithme.

Avec le développement des restaurants 100% virtuel (Dark Kitchen, Ghost Kitchen) accéléré par la covid-19, nous avons objectivement changé d’ère : désormais, l’e-réputation sur Internet et l’influence des réseaux sociaux est devenue incontournable.

Dans ces conditions, il est important pour les exploitants de se protéger contre les faux avis et les commentaires malveillants, surtout s’ils apparaissent injustifiés.

En droit, on appelle cela du « dénigrement ». Et lorsque ces faux avis émanent de concurrents, qui orchestrent une campagne pour détruire la réputation d’un compétiteur, on appelle cela de la « concurrence déloyale ».

Ce n’est pas une fatalité : on peut riposter, engager une procédure et demander réparation lorsqu’un concurrent se livre à ce type de pratique malveillante et préjudiciable.

Qu’est-ce que le dénigrement sur Internet ? Les faux avis sont-ils répréhensibles ?

En droit, le dénigrement consiste à porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit désigné afin de détourner la clientèle en usant de propos ou d’arguments répréhensibles, diffusés ou émis de manière à toucher les clients de l’entreprise visée.

Dans une jurisprudence récente, le dénigrement est défini comme « la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur un concurrent » (Jurisprudence : Com. 24 septembre 2013, n°12-19.790).

La critique dénigrante est une critique malveillante. Elle peut prendre plusieurs formes : elle peut porter sur le concurrent lui-même, ses produits, pratiques et méthodes commerciales.

Ont ainsi été jugées comme du dénigrement les critiques mettant en cause l’honnêteté du professionnel et plus spécifiquement « l’utilisation répétée de termes mettant en cause l’honnêteté [de la victime] »[1].

Ont également été jugées comme dénigrantes :

  • La critique publiée sur Internet à l’encontre d’un restaurant n’ayant pas encore ouvert ses portes, dans le seul but de nuire[2].

  • Ou encore, la critique portée sur le prix d’une prestation ou d’un service, qualifié de « prohibitif » ou de « totalement aberrant»[3]

Le caractère fautif d’une critique est soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond, qui se fondent sur un faisceau d’indices. Parmi les critères régulièrement retenus pour considérer une critique comme dénigrante, les Juges retiennent la répétition et les termes de la critique.

Naturellement, les faux avis postés sur Google et les plateformes de référencement sur Internet, de nature à dévaloriser la prestation du professionnel et de ses services, sont constitutifs de dénigrement.

Aussi, les Hôtels et restaurants ne doivent pas rester sans réagir face aux faux avis : il existe des voies de droit pour demander réparation et exiger la suppression des faux avis, sous astreinte.

[1] Jurisprudence : CA Paris, 14 avril 1995, SA Le Train Bleu ; Civ. 1ère, 5 décembre 2006, n°05-17.710
[2] TGI Dijon, 6 octobre 2015, n°14/03897
[3] CA Paris, 22 mars 2016

Quels sont les critères pour retenir le délit de dénigrement ?

Pour être constitutif de dénigrement, il importe que la critique soit ciblée, et qu’elle permette l’identification du professionnel visé.

Il suffit que le professionnel soit facilement identifiable[1].

Ce sera donc facile si la critique porte sur un restaurant ou un hôtel parfaitement identifié (par exemple avec la publication de faux avis sur une plateforme de réservation en ligne…).

Il faut en outre que le dénigrement soit public, c’est-à-dire qu’il ait été effectivement diffusé. Ce sera évidemment le cas s’agissant de faux avis en ligne sur des plateformes de réservation d’hôtels ou restaurants.

À noter : Si un document conservé au sein d’une structure n’est pas considéré comme public, parce qu’il n’a pas pour vocation de détourner la clientèle[2], il devient public dès sa première communication à un client même éventuel[3].

[1] Civ. 2ème, 19 octobre 2006, n°05-13.489
[2] CA Toulouse 24 janvier 2012, n° 2012/22
[3] Com. 20 juin 1972

Quelles sont les critiques tolérées sur Internet ?

Si le dénigrement n’est pas admis, rappelons le principe de la liberté d’expression. Ainsi, toute critique n’est pas interdite, et heureusement !

Sont notamment tolérées :

  • Les critiques au ton humoristique et polémique, la caricature, même répétitive et outrancière, n’étant pas fautives dès lors qu’elle n’entraine pas de confusion dans l’esprit du public [1] ;

  • Les critiques faites dans la défense d’un intérêt légitime, plus précisément dans le cadre de la mise en garde d’un contrefacteur. À ce titre, pour être licite, la mise en garde doit cumuler trois critères : elle doit être formulée en des termes mesurés, elle doit provenir du propriétaire du titre de propriété intellectuelle, et doit avoir pour but de prévenir le contrefacteur de l’intention d’entamer des poursuites judiciaires ;

  • Les critiques dont le but est de prévenir la clientèle des mauvaises pratiques d’un concurrent, lorsque la critique reprend tout ou partie d’un jugement définitif.

Rappelons en outre que l’exagération n’est pas en soi constitutive d’une critique (on parle alors de bonus dolus).

Comme il  a déjà été jugé : « la loi n’interdit pas la publicité hyperbolique qui se traduit par la parodie ou l’emphase, dès lors qu’il est établi, par référence […] au degré de discernement et au sens critique du consommateur moyen, que l’outrance ou l’exagération de l’image publicitaire ne peut finalement tromper personne »[4].

[1] Com. 20 juin 1972
[2] Ch. Plénière, 12 juillet 2000, n°99-19.004
[3] Com. 29 mai 1980
[4] Crim. 21 mai 1984, sur le fondement de l’article L .121-1 du code de la consommation

Que faire si l’on est victime de dénigrement et de faux avis sur Internet ?

Les victimes de dénigrement en ligne sur Internet ne sont pas dépourvues d’action. Il existe des voies de droit pour demander réparation : sur le plan civil, et sur le plan pénal.

Les Hôtels et restaurants victimes de faux avis sur Internet doivent réagir pour protéger leur réputation et demander réparation en cas de dénigrement. Voici la procédure à suivre.

Identifier le responsable du dénigrement et des faux avis sur Internet

C’est souvent le plus compliqué, mais il est technologiquement possible de retrouver le responsable du dénigrement, grâce à l’adresse IP (identification du périphérique connecté au réseau).

Il est alors nécessaire de procéder à un constat par huissier de justice. Au besoin, le constat d’huissier pourra être autorisé judiciairement, par voie de requête.

Poursuites civiles, demandes de dommages-intérêts en cas de dénigrement sur Internet et de faux avis

Sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, la victime de dénigrement peut demander le dédommagement du préjudice subi.

Pour apprécier le préjudice, les Juges tiendront compte de la perte de clientèle, de l’affaiblissement de la marque, et du préjudice commercial[1]

Le préjudice moral peut également être retenu, ainsi que l’atteinte à la réputation de l’hôtel ou du restaurant victime de faux avis et de dénigrement[2]

L’action en concurrence déloyale est soumise aux règles de droit commun en matière de prescription, cinq ans selon l’article 2224 du Code civil, à compter du jour de la découverte, par la victime, du préjudice subi.

Cependant, l’article 2232 du Code civil pose un délai butoir : « le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ».

Il n’existe pas de procédure spécifique pour combattre le dénigrement. On appliquera donc le droit commun.

Le plus souvent, ce sera une action au fond en réparation devant le tribunal de commerce ou le tribunal judiciaire, selon l’identité du responsable.

Le juge des référés est souvent saisi également. Il peut, sur le fondement des articles 809, 849 et 873 du Code de procédure civile, prendre les « mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ».

Le Juge des référés pourra notamment :

  • Ordonner la cessation de la diffusion du propos litigieux.

  • Ordonner l’interdiction de l’utilisation d’un mot comme mot directeur de la recherche permettant d’accéder au site internet litigieux[3]

Il pourra ordonner sous astreinte la cessation du trouble.

En vue d’un procès, la victime de dénigrement peut également requérir que soient effectuées les mesures d’instruction in futurum de l’article 145 du Code de procédure civile (constats d’huissier notamment avec identification du responsable via son adresse IP).

Pour cela, elle devra prouver l’existence d’un intérêt légitime à l’exécution de telles mesures, c’est-à-dire l’existence d’un risque lié au dénigrement. Cependant, les mesures d’instruction in futurum sont limitées par le respect du secret des affaires de l’auteur.

Enfin, le juge peut ordonner la publication de la condamnation.

[1] Jurisprudence : Com. 9 mars 2010, n° 08-16.752
[2] CA Paris, 22 mars 2016
[3] CA Paris 13 mars 2002

Sanction pénale en cas de dénigrement sur Internet et de faux avis

L’action pénale n’est concevable que lorsque le dénigrement est assorti d’une critique de la personne même du concurrent se mêlant ainsi au délit de diffamation. Dans ce cas, les articles 29 et suivants de la loi du 29 juillet 1881 sont applicables. Ils écartent, par ailleurs, l’application de l’article 1240 du Code civil[1]

En résumé, les entreprises victimes de faux avis et de dénigrement ne doivent pas rester sans réagir. La protection de la réputation sur Internet est un enjeu majeur, en particulier dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Il existe des voies de droit permettant de faire cesser le trouble, et de demander la réparation du préjudice subi.

Vous êtes victime de faux avis et de dénigrement sur Internet ? Demandez conseil à nos avocats spécialisés.

[1] Jurisprudence : Civ. 1ère, 28 septembre 2011, n°10-11.547

Hôtel et Restaurant : Le dénigrement sur Internet

Hôtel et Restaurant : Le dénigrement sur Internet