L’article 131 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a introduit le motif d’intérêt général au titre des hypothèses de recours à un marché public passé sans publicité, ni mise en concurrence préalables.

Cette nouvelle hypothèse rejoint celles, prévues aux articles L. 2122-1 et L. 2322-1 du Code de la commande publique, justifiant la conclusion d’un marché public de gré à gré.

Selon ces dispositions, il est possible pour l’acheteur public de déroger aux obligations de publicité et de mise en concurrence, dans la mesure une procédure s’avère être « inutile, impossible ou manifestement contraire aux intérêts de l’acheteur », notamment en raison de l’infructuosité d’une première procédure de passation, de l’objet ou de la valeur estimée du marché ou encore d’une urgence particulière.

En dehors de ces hypothèses, le marché conclu en méconnaissance de ces règles de procédure préalables est entaché d’une nullité que le juge est tenu de soulever d’office (CE, 28 juillet 2000, Jacquier, n°202792).

L’article L. 2122-1 du Code de la commande publique, dans sa rédaction issue de la Loi ASAP, prévoit désormais la possibilité pour l’acheteur de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence préalables lorsque le respect d’une telle procédure est « manifestement contraire (…) à un motif d’intérêt général ».

Loi ASAP, marché public et intérêt général

Loi ASAP, marché public et intérêt général

La commande publique, un outil de relance économique

Notons que cette mesure s’inscrit dans la continuité des conclusions du Conseil de l’Union européenne en date du 30 novembre 2020, lesquelles tendaient à demander à la Commission et aux Etats membres de « définir des mesures supplémentaires afin de réduire la charge bureaucratique » et les « contraintes procédurales qui pèsent sur les acheteurs publics, dans le but de simplifier et de renforcer les investissements publics ».

L’objectif de ces recommandations est clair : il s’agit de faire de la commande publique un levier en faveur des investissements publics nécessaires à la relance de l’économie européenne et à la création d’emplois en vue de pallier les dommages causés par la pandémie de Covid-19.

Cet objectif a d’ailleurs été réaffirmé par le juge constitutionnel dans sa décision du 3 décembre précitée : « le législateur a entendu faciliter la passation des seuls marchés publics de travaux, en allégeant le formalisme des procédures applicables, afin de contribuer à la reprise de l’activité dans le secteur des chantiers publics, touché par la crise économique consécutive à la crise sanitaire causée par l’épidémie de covid-19. » (Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020).

Qu’en est-il de la notion d’intérêt général ?

La notion d’intérêt général reste encore à définir !

En effet, il est renvoyé au pouvoir réglementaire, et plus spécialement à un décret en Conseil d’Etat, le soin de préciser les contours de cette dérogation, applicable aux seuls contrats dont le montant est inférieur aux seuils européens de procédure formalisée.

Ce motif d’intérêt général devra par conséquent répondre à des exigences de précision, de proportionnalité et de conformité aux directives européennes en la matière.

Il reste donc à attendre l’intervention d’un décret en Conseil d’Etat, lequel devrait compléter les dispositions de la loi ASAP en définissant ce motif d’intérêt général.

Attention aux risques pénaux et au respect des grands principes de la commande publique

La question se pose de la mise en concurrence, qui permet notamment aux acheteurs publics de se prémunir contre les risques pénaux (favoritisme d’une part, prise illégale d’intérêts d’autre part) et participe de l’intérêt général en ce qu’elle aide à la bonne utilisation des deniers publics.

En effet, si le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition conforme à la Constitution, il a cependant émis une réserve d’interprétation selon laquelle ces dispositions « n’exonèrent pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics rappelées à l’article L. 3 du code de la commande publique ».

Ces marchés sans publicité ni mise en concurrence pour motif d’intérêt général demeureront donc soumis aux grands principes de la commande publique.

Ce point mérite d’être souligné, tant le risque est grand que les acheteurs publics ne tirent hâtivement la conclusion selon laquelle les nouvelles dispositions de l’article L. 2122-1 du Code ne leur permettent de se dispenser de ces principes, ce qui ne favoriserait pas nécessairement les PME et artisans, au contraire des conflits d’intérêt et de la corruption.

L’observatoire de l’éthique publique reproche ainsi au gouvernement et au parlement de laisser croire que « les marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables pourraient être conclus sans respecter une quelconque procédure

Pour rappel, les marchés passés par les personnes publiques soumises au Code de la commande publique sont tenus de respecter les grands principes de la commande publique -au titre desquels figurent le principe d’égalité et de traitement des candidats, la liberté d’accès et la transparence des procédures, et cela « dès le premier euro » (Rép. min. à QE n° 66546 de M. Bernard Perrut, JOAN, 21 mars 2006).

Rappelons en outre que bien que le juge européen ait déjà admis que soient écartés à titre exceptionnel les principes fondamentaux de la commande publique lorsqu’une « raison impérieuse d’intérêt général » le justifie, il effectuait à cette occasion sur ladite raison un contrôle intégral de proportionnalité.

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N’hésitez pas à contacter Laurent Bidault, Avocat spécialisé en marché public, pour toute précision.