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Marché public : Le dispositif après les émeutes urbaines

La France a été impactée au début de l’été 2023 par des émeutes urbaines qui ont été marquées par la dégradation de nombreux équipements et bâtiments publics (hôtel de ville, médiathèques, écoles, mobiliers urbains).

Afin de permettre la reconstruction et la réparation de ces équipements et ouvrages, le Gouvernement a pris des mesures transitoires en matière de commande publique et d’urbanisme.

Pas de publicité pour les marchés publics de travaux dont la valeur est inférieure à 1.500.00 euros HT, dérogation à l’obligation d’allotissement, recours aux marchés globaux.

Ce dispositif n’est cependant pas sans certaines limites, voire critiques.

Marché public et émeutes urbaines : Quels sont les textes applicables ?

L’article 3 de la loi n°2023-656 du 25 juillet 2023 avait autorisé tout d’abord le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires permettant aux maîtres d’ouvrage soumis au code de la commande publique (État, collectivités territoriales), pendant une durée limitée, de conclure en dessous d’un certain seuil des marchés publics de travaux sans publicité préalable mais avec mise en concurrence, de déroger au principe d’allotissement et de recourir aux marchés globaux.

Dans la continuité de cette loi, une première ordonnance, portant sur les marchés publics, a été adoptée le 26 juillet 2023 portant diverses adaptations et dérogations temporaires en matière de commande publique nécessaires à l’accélération de la reconstruction et de la réfection des équipements publics et des bâtiments dégradés ou détruits au cours des violences urbaines survenues du 27 juin au 5 juillet 2023 (Ordonnance n°2023-660).

Puis, une troisième ordonnance a été prise le 13 septembre 2023, portant sur les règles d’urbanisme, (Ordonnance n°2023-870) afin d’accélérer notamment de la délivrance et la mise en œuvre des autorisations d’urbanisme dans le cadre de cette reconstruction (Ordonnance n°2023-870).

Enfin, toujours le 13 septembre 2023, un troisième ordonnance a été prise visant à faciliter le financement de la reconstruction et de la réfection des bâtiments dégradés ou détruits (Ordonnance n°2023-871).

Comment s’applique ce dispositif dérogatoire du droit des marchés publics ?

Quels travaux ? Quels bâtiments ? Ces dérogations ne s’appliquent que pour les marchés qui portent sur la reconstruction et la réfection des bâtiments dégradés au cours des violences urbaines, et uniquement ces travaux.

Le maître d’ouvrage doit donc justifier cette dérogation. D’ailleurs, la DAJ précise que les acheteurs doivent veiller à conserver tout document permettant de démontrer que son usage était justifié au regard des conditions prévues par l’ordonnance et que la mise en concurrence des entreprises a été effectuée de manière régulière.

Par ailleurs, les marchés de travaux peuvent porter sur :

  • Les équipements publics : la voirie, les réseaux, les abribus, les équipements sportifs ou culturels, notamment ;
  • Les bâtiments publics : les mairies, les commissariats, les écoles, les médiathèques ou de tout autre bâtiment dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par un acheteur soumis au code de la commande publique, que son statut soit public ou privé (notamment les immeubles HLM) ( Note de la DAJ).

Quelles durées de validité des dérogations ? Ces dérogations ne s’appliquent que pour les marchés pour lesquels une consultation est engagée ou un avis de publicité est envoyé à la publication à compter de son entrée en vigueur, c’est-à-dire à compter du 28 juillet 2023.

Enfin, ces dérogations peuvent être utilisées pendant 9 mois à compter du 27 juillet 2023, soit jusqu’au 28 avril 2024.

Violences urbaines : quelles sont les dérogations prévues pour les marchés publics ?

Pas de publicité pour les marchés publics de travaux dont l’objet est la reconstruction des ouvrages impactés par les violences urbains et la valeur est inférieure à 1.500.00 euros HT :

L’article 1er de l’ordonnance n°2023-660 prévoit que des marchés de travaux peuvent être conclus, avec négociation, sans publicité mais avec mise en concurrence qui :

  • Sont nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments affectés par des dégradations ou destructions liées aux troubles à l’ordre et à la sécurité publics survenus entre le 27 juin et le 5 juillet 2023 et ;
  • Répondent à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 1.500.000 d’euros HT, contre 100.000 euros HT actuellement de façon transitoire jusqu’au 31 décembre 2024 (Pour en savoir plus : Nouveautés en droit de la commande publique).

Deux remarques importantes.

Première remarque : l’organisation d’une procédure de mise en concurrence reste obligatoire.

Concrètement, un marché dont la valeur estimée est située entre 100.000 euros HT et 1.500.000 une procédure adaptée (pour en savoir plus sur les MAPA) devra être organisée. Pour mémoire, au-delà de 5.382.000 euros HT, une procédure formalisée (appel d’offres, procédure avec négociation, dialogue compétitif) doit être obligatoirement organisée.

Dans ce cadre, comme le rappelle la DAJ, une mise en concurrence devra être organisée de manière à garantir le respect des principes fondamentaux de la commande publique, notamment l’égalité de traitement des candidats et le bon usage des deniers publics.

Seconde remarque : cette dérogation est applicable aux lots dont le montant est inférieur à 1 000 000 d’euros HT, mais à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots du marché considéré.

Concrètement, si la valeur de l’ensemble des lots est de 10.000.000 d’euros HT, la valeur cumulée des lots profitant de cette dérogation ne pourra pas être supérieure à 2.000.000 d’euros HT.

Dérogation à l’obligation d’allotissement pour les marchés publics de travaux portant sur la reconstruction des ouvrages impactés par les violences urbains

Pour mémoire, par principe, l’allotissement est obligatoire, les marchés devant être passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l’identification de prestations distinctes (pour en savoir plus : Allotissement dans les marchés publics).

Le dispositif prévoit qu’il peut être dérogé à l’obligation d’allotissement pour les marchés nécessaires à la reconstruction ou à la réfection des équipements publics et des bâtiments détruits ou endommagés dans le cadre des émeutes peuvent faire l’objet d’un marché unique.

Le maître d’ouvrage n’a donc pas besoin de justifier qu’il est dans l’un des cas prévus par l’article L. 2113-11 du Code de la commande publique (impossibilité d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination, allotissement rendant techniquement plus difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution).

La reconstruction des ouvrages endommagés par les violences urbaines, nouvelle hypothèse de recours aux marchés globaux

Le marché de conception-réalisation permet de confier à un seul et même opérateur une mission portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.

Et ce par dérogation à la séparation des missions de maîtrise d’œuvre et des missions de réalisation des travaux (Article L. 2431-1 du Code de la commande publique).

L’article L. 2171-2 du Code de la commande publique énumère les cas dans lesquels les maîtres d’ouvrages peuvent avoir recours à ces contrats qui dérogent notamment au principe d’allotissement des prestations : notamment des motifs d’ordre technique ou en présence d’engagement contractuel portant à la fois sur l’établissement des études et l’exécution des travaux.

Dans le cas de la reconstruction des ouvrages endommagés, la seule condition à respecter est de démontrer que le marché porte sur des équipements publics et des bâtiments dégradés dans le cadre des émeutes urbaines.

De plus, comme le relève la DAJ, par l’application combinée des dérogations au principe d’allotissement et aux conditions de recours au marché de conception-réalisation, les maîtres d’ouvrages peuvent également passer, sur le fondement de l’ordonnance, des marchés globaux de performance prévus à l’article L. 2171-3 du code et permettant d’associer l’exploitation ou la maintenance à la réalisation ou à la conception-réalisation de prestations afin de remplir des objectifs chiffrés de performance.

Pour conclure, précision importante, l’ordonnance ne déroge pas à l’obligation d’identifier une équipe de maîtrise d’œuvre (Article L. 2171-7 du Code de la commande publique) et à l’obligation du titulaire du marché global de confier une part de son exécution à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans (Article L. 2171-8 du Code de la commande publique).

Violences urbaines : Quelles sont les limites de ce dispositif ?

La durée du dispositif apparait inadaptée à l’ampleur de la tâche

On peut tout d’abord s’interroger sur la durée de ce dispositif (pourquoi 9 mois alors que la durée du dispositif en droit de l’urbanisme est de deux ans), voire regretter la durée assez courte de celui-ci.

La reconstruction de certains ouvrages va nécessiter, préalablement au lancement du marché de travaux, la réalisation d’études techniques afin d’apprécier la nature et le périmètre des travaux à réaliser, la réalisation d’opérations d’expertise parfois judiciaires dont les délais sont longs.

À cela s’ajoute les délais liés à l’établissement des documents de consultation des entreprises puisqu’il mise en concurrence doit être mise en place et la consultation des entreprises (analyse des candidatures et des offres, négociation, attribution).

Certes en l’absence d’obligation en matière de publicité, l’acheteur « gagne » un peu de temps, mais pour autant il devra toujours prévoir des délais appropriés pour la remise des candidatures/offres à la nature des travaux.

Le montant du seuil de 1.500.000 euros HT insuffisant

Comme l’a par exemple indiqué Monsieur Benoit Jimenez, Maire de Garges-Lès-Gonesse, dans une lettre ouverte à la Première ministre, ce seuil est inadapté pour les ouvrages ayant subi les dégâts les plus importants, en l’occurrence la reconstruction de son hôtel de ville qui a été détruit partiellement par un incendie (voir article du Moniteur sur le sujet).

Celui-ci plaide pour un doublement de ce seuil, à hauteur de 3.000.000 euros HT donc.

Pour mémoire, le Gouvernement expliquait dans l’étude d’impact du projet de loi que la fixation de ce seuil dérogatoire devait prendre en compte le seuil de procédure formalisée fixé au niveau européen.

Entre 1.500.000 euros HT et 5.382.000 euros HT, il y a donc encore un peu de marge !

L’exclusion des marchés de fournitures et de services liés aux opérations de reconstruction

Enfin, comme évoqué, ces travaux de reconstruction ne nécessitent pas uniquement des travaux, mais également pour l’acheteur de s’entourer de prestataires techniques afin d’apprécier la nature des travaux à réaliser, d’appréhender eu égard l’ampleur des dégradations les solutions techniques pour y remédier, plus généralement de concevoir ces opérations, voire d’en gérer l’organisation et le déroulement.

On ne peut que regretter que les marchés de maîtrise d’œuvre en particulier soient exclus du dispositif.

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault , Avocat Associé chez Novlaw Avocats , spécialisé en droit public , notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’ innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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