
La réversibilité des bâtiments : quels leviers juridiques ?
Pénurie de logements, milliers de m2 de bureaux vacants depuis la crise sanitaire, zéro artificialisation nette, exigence de durabilité des matériaux de construction ou encore limitation de la consommation de matière : les défis auxquels les politiques d’aménagement de la ville doivent répondre sont nombreux.
Et si la réversibilité des bâtiments était la solution à tous ces enjeux et problématiques ?
Avant de détailler quels outils juridiques peuvent être mobilisés au service de la réversibilité des bâtiments, précisons ce que recèle cette notion.
Qu’est-ce que la réversibilité des bâtiments ?
La réversibilité des bâtiments consiste à d’une certaine façon recycler un immeuble, en facilitant son changement d’usage, plutôt que déconstruire pour reconstruire.
L’architecte Anne Démians explique à cet égard que la réversibilité consiste à « dissocier l’acte de construire de celui de l’affectation des fonctions ».
Il s’agit donc de penser, dès sa conception, le bâtiment, sa structure, ses matériaux, son aménagement de manière indépendante de son usage initial, afin de favoriser une grande flexibilité dans le temps.
La réversibilité fonctionnelle invite les acteurs du secteur de la construction à adopter des logiques d’anticipation dans la conception des bâtiments afin qu’un futur changement de destination puisse être réalisé à moindre coût et sans travaux de réaménagement majeurs, dans une logique d’économie circulaire.
Longtemps un frein à la réversibilité des bâtiments, le droit s’est depuis plusieurs années agrémenté de plusieurs dispositifs, destinés à faciliter ce mode de construction vertueux.
Planification urbaine, autorisation individuelle, évolution des normes de construction : les leviers se sont multipliés : Tour d’horizon des outils juridiques mobilisables
Premier levier : la planification urbaine
Tout d’abord, sous-estimé, le plan local d’urbanisme (PLU) constitue un outil important au service de la réversibilité des bâtiments.
Pour ne pas faire barrage à tout changement de destination d’un bâtiment, les auteurs du plan local d’urbanisme peuvent veiller à ne pas imposer une seule destination des constructions dans les zones qu’ils définissent au règlement graphique.
Permettre que coexistent au sein d’une même zone plusieurs destinations offre la possibilité de faire évoluer les usages du bâti existant.
Le PLU peut même être proactif en ciblant des espaces bâtis au sein desquels est imposée une destination pour tout nouveau projet.
Il en résulte ce qu’on peut qualifier de réversibilité « imposée ».
À titre d’exemple et pour faire face à la forte croissance des livraisons, la Ville de Paris a identifié en 2016 au sein de son plan local d’urbanisme 62 « périmètres de localisation » pour la création d’Espaces Logistiques Urbains (ELU), destinés à accueillir et répartir l’offre d’espaces de stockage de colis dans le cadre du « dernier kilomètre » (dernière phase de la livraison d’une marchandise au destinataire final).
Autre levier mobilisable, les zones d’aménagement concerté (ZAC).
Lors de la cession ou concession de terrains à l’intérieur d’une ZAC, la personne publique a la faculté, au sein du cahier des charges de cession de terrain, de fixer des prescriptions techniques, urbanistiques et architecturales de nature à favoriser la réversibilité (article L. 311-6 du code de l’urbanisme).
Néanmoins et parce qu’il est délicat d’anticiper les équipements publics nécessaires à des bâtiments dont la nature et l’échéance d’un futur changement de destination ne sont pas connues, il est préférable d’instaurer un seuil de réversibilité assurant l’adéquation des équipements publics prévus avec les évolutions probables de la destination des bâtiments.
Le levier de l’autorisation d’urbanisme individuelle
En premier lieu, le paragraphe 3° de l’article L. 152-6 du code de l’urbanisme permet de déroger aux règles relatives à la densité et aux obligations en matière de création de places de stationnement du règlement du PLU pour autoriser la transformation à usage principal d’habitation d’un immeuble existant. Ce paragraphe offre un bonus de constructibilité de 30 % du gabarit existant.
Peuvent autoriser cette dérogation les communes qui ne sont pas en carence de logements locatifs sociaux et qui, soit comptent plus de 50 000 habitants et subissent un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, soit comptent plus de 15 000 habitants et sont en forte croissance démographique.
Cette dérogation doit être sollicitée par les porteurs de projet à l’occasion d’une demande d’autorisation d’urbanisme (permis de construire).
En deuxième lieu, la loi du 7 juillet 2016 relative à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine (LCAP) a créé le dispositif expérimental du « permis d’innover », désormais en vigueur jusqu’en 2030 (Alinéa V de l’article 22 Loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte).
Réservé aux maîtres d’ouvrage de constructions situées dans le périmètre d’une Opération d’Intérêt National (Article L. 102-12 du code de l’urbanisme ), d’une Grande Opération d’Urbanisme (Articles L. 312-3 et suivants du code de l’urbanisme) ou d’une Opération de Revitalisation du Territoire (Article L. 303-2 du code de la construction et de l’habitation), il permet de déroger à l’ensemble des règles de construction opposables au projet.
Pour être délivré, une étude démontrant que le moyen mis en œuvre permet d’atteindre des résultats équivalents à ceux qui seraient atteints si le projet suivait les moyens prévus par les textes est requise.
Voir notre article :
Dans la même veine, existait un permis d’expérimenter qui a été remplacé depuis le 1er juillet 2021 par la possibilité offerte aux maîtres d’ouvrage de mettre en œuvre des solutions techniques ou architecturales innovantes qui dérogent aux règles de construction, à condition que le projet permette d’atteindre des résultats au moins équivalents à la solution de référence (« solution d’effet équivalent » – Articles L. 112-9 et suivants du code de la construction et de l’habitation).
Un contrôle des modalités d’exécution des travaux est également prévu pour ce permis.
Grâce à ces dérogations, il est possible de contourner des règles faisant obstacle à la réversibilité des constructions.
En dernier lieu, dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) 2024, la loi du 26 mars 2018 a introduit la possibilité de délivrer des permis de construire « à double état ».
À l’issue d’une instruction unique, une seule autorisation est délivrée pour un état provisoire et un état définitif de la construction.
Ce dispositif n’a néanmoins pas été généralisé, mais pourrait ressurgir à l’occasion de l’organisation de grands évènements nécessitant des constructions provisoires, tels que les Jeux Olympiques d’hiver 2030.
Levier indispensable : L’évolution des normes de construction
Enfin, l’un des principaux freins à la réversibilité réside dans les normes de construction très différentes auxquelles sont assujetties les destinations du code de l’urbanisme (réglementation incendie, hauteurs de plafond, normes d’accessibilité PMR), ce qui complexifie les changements de destination, en particulier de bureau vers logement.
Afin d’harmoniser la réglementation, notamment incendie, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN) a introduit, aux côtés des immeubles de grande hauteur, une nouvelle catégorie : les immeubles de moyenne hauteur.
À la différence des immeubles de grande hauteur (hauteur de plus de 28 mètres pour des bureaux et 50 mètres pour des habitations) qui sont soumis à des normes de construction différentes selon s’ils ont une destination de bureaux ou de logements, ces mêmes normes sont harmonisées pour les immeubles de moyenne hauteur (destination exclusive d’habitation avec hauteur comprise entre 28 et 50 mètres), facilitant leur réversibilité.
Malgré ces multiples dispositifs, un changement de destination requiert toujours une déclaration préalable, voire un permis de construire s’il y a modification des structures porteuses ou de la façade du bâtiment. Un changement de destination réalisé sans autorisation constitue une infraction pénale.

Par Nicolas Machet coauteur & Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).
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