Dans un arrêt intéressant du 22 juin 2023, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer de nouveau sur la qualification juridique d’une clause de dédit insérée dans une promesse de vente (Cass. 3e civ. 22-6-2023 n° 19-25.822).

Pour rappel, la clause de dédit est une clause que l’on retrouve très souvent dans les promesses synallagmatiques de vente, par laquelle une partie s’engage à acquérir un bien et l’autre à le céder, à condition qu’un certain nombre de conditions suspensives soient levées. Ce type de promesse est habituelle dans la vie des affaires, que ce soit en matière de vente immobilière, cession de titre, ou encore cession de fonds de commerce.

L’acquéreur, à la signature de la promesse, bloque une somme d’argent entre les mains du rédacteur d’acte (avocat ou notaire) représentant un pourcentage du prix convenu si la vente se réalise (généralement entre 5% et 10%). Si, alors que l’ensemble des conditions sont levées, l’acquéreur décidait de ne pas acheter, cette somme resterait alors acquise au vendeur (promettant) à titre de réparation du préjudice subi pour avoir immobilisé inutilement son bien. Dans le jargon des praticiens immobiliers, on appelle ce type de renoncement de l’acquéreur un « caprice ».

Naturellement, selon le prix convenu, cette somme bloquée et le cas échéant acquise au vendeur peut s’avérer très élevée et il est tentant pour l’acquéreur désireux de se rétracter de faire requalifier la clause de dédit en clause pénale.

Quel est l’intérêt d’une telle requalification ? Tout simplement de voir le juge réduire unilatéralement le montant convenu. On sait en effet que les magistrats tiennent cette faculté de l’article 1231-5 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, lequel dispose que :

« Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure ».

L’article 1231-5 du Code civil qui prévoit la possible immixtion du juge dans le contrat est une disposition d’ordre public, qui ne peut être écartée par les parties.

Dans l’arrêt présentement commenté (Cass. 3e civ. 22-6-2023 n° 19-25.822), c’est précisément ce qu’avait tenté de faire l’acquéreur (cessionnaire) désireux de se rétracter alors que les conditions suspensives prévues au compromis de vente étaient levées.

En l’espèce, la promesse de vente avait été conclue sous condition suspensive de purge du droit de préemption de la Mairie. L’acquéreur avait versé une somme importante (deux cent mille euros) à titre de dépôt de garantie, aux termes d’une clause indiquant que cette somme serait acquise au cédant si la vente ne se réalisait pas du fait de l’acquéreur, alors que les conditions suspensives étaient levées. Classique.

Souhaitant se rétracter, l’acquéreur avait saisi le Juge d’une demande en restitution de l’indemnité en sollicitant à titre principal la nullité de la vente (pour des motifs sur lesquels nous ne reviendrons pas ici) et surtout, subsidiairement, demande que l’indemnité de deux-cent-mille euros soit réduite, au titre du pouvoir modérateur du juge s’agissant des clauses pénales. En somme, l’acquéreur demandait à ce que la clause de dédit soit requalifiée en clause pénale.

La Cour de cassation rejette cette demande, relevant que la vente n’a pas été réalisée du fait de l’acquéreur et que la clause permettant à un acquéreur de se libérer unilatéralement de son engagement n’est pas une clause pénale, mais une faculté de dédit, excluant donc le pouvoir modérateur du juge :

« La cour d’appel a relevé, d’une part, que la vente n’avait pas été réitérée du fait de la société Packan, d’autre part, que les parties avaient stipulé que le dépôt de garantie serait « définitivement acquis au vendeur au terme du délai en cas de non-réalisation de la vente […] ». Elle a pu, par une appréciation souveraine et abstraction faite de l’erreur matérielle relative à  l’identification du bénéficiaire de la faculté de dédit, en déduire que cette clause, dont l’objet était de se libérer unilatéralement de cet engagement, n’était pas une clause pénale mais une faculté de dédit ».

On rappellera que la Cour de cassation considère que la qualification d’une clause relève du pouvoir d’appréciation souveraine des juges du fonds. Aussi, il est autorisé de penser que si la clause avait été rédigée différemment (notamment si les parties avaient prévu une somme révisable), elle aurait pu être requalifiée par les magistrats et pourquoi pas modérée, comme une clause pénale. Le débat n’est donc pas définitivement tranché, selon la rédaction de la clause litigieuse.

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Promesse de vente : la clause de dédit n’est pas une clause pénale