Dans un arrêt notable du 10 mai 2021 (n°18VE04196) la Cour administrative d’appel de Versailles rappelle le régime de la faute assimilable à une fraude ou à un dol en matière de responsabilité des constructeurs.

Après avoir constaté que les désordres révélaient l’existence d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol justifiant alors que soit engagée la responsabilité du constructeur dans le délai prévu par l’article 2224 du Code civil, la Cour administrative d’appel de Versailles a considéré que c’est à la date du dernier rapport d’expertise que le maître d’ouvrage a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’engager une action.

En effet, le délai de prescription ne saurait commencer à courir tant que le créancier ne connait pas l’étendue de ses droits.

Dans cette affaire, un office public de l’habitat (OPH) avait fait construire plusieurs immeubles dans une zone d’aménagement concerté (ZAC) permettant la création de quatre-vingt-cinq logements sociaux.

Les travaux, confiés à un architecte, un constructeur et un contrôleur technique, s’inscrivaient dans le cadre d’une opération plus vaste comportant deux programmes privés réalisés par les mêmes constructeurs.

La réception des ouvrages a été prononcée le 27 octobre 1989, mais assortie de réserves, lesquelles ont été levées définitivement le 28 juin 1991.

Le 25 janvier 2007, le balcon de l’un des immeubles s’est effondré, emportant dans sa chute l’ensemble des balcons inférieurs.

Un expert a été désigné par le tribunal administratif afin d’émettre un avis sur les risques d’effondrement des balcons de l’ensemble immobilier et la gravité du péril pour les personnes et les biens.

Au vu de son rapport, le maire de la commune a pris un arrêté de péril imminent prescrivant aux propriétaires des six immeubles concernés diverses mesures conservatoires.

Par la suite, le tribunal de grande instance de Nanterre a également ordonné une expertise. Par un arrêté de péril ordinaire, le maire de la commune a mis en demeure les propriétaires des immeubles concernés d’assurer la mise en sécurité pérenne des immeubles dans un délai de six mois. L’office a alors fait démolir et reconstruire la totalité des balcons.

L’OPH a saisi le tribunal administratif d’une demande de condamnation in solidum, sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol, d’un constructeur, venant aux droits du constructeur initial, de deux assureurs et du contrôleur technique, à lui verser une somme en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis à raison des malfaçons affectant les balcons.

Par un jugement en date du 16 octobre 2018, le tribunal administratif a condamné un constructeur à verser une indemnité à l’OPH concerné.

Le constructeur a interjeté appel de ce jugement.

La responsabilité des constructeurs pour faute assimilable à une fraude ou à un dol

La responsabilité des constructeurs pour faute assimilable à une fraude ou à un dol

Le délai de prescription quinquennale

Après avoir rappelé les dispositions des articles 2222, 2224 et 2232 du Code civil, portant réforme de la prescription en matière civile, la Cour administrative d’appel relève que le délai de prescription de l’action engagée par l’OPH, qui a été réduit par la loi précitée du 17 juin 2008, est, en application des dispositions précitées, de cinq ans à compter du jour où l’OPH a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer cette action.

Partant, le juge administratif considère qu’en l’espèce « ce n’est qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise que l’OPH a eu connaissance précise et complète des malfaçons affectant les balcons lui permettant d’exercer une action à l’encontre des constructeurs sur le fondement de leur responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou un dol ».

Le délai de prescription n’avait donc pas commencé à courir avant cette date, malgré l’organisation de nombreuses réunions dans le cadre de l’expertise judiciaire, l’existence d’un rapport d’expertise déposé dans le cadre de la procédure de péril ou encore l’entreprise de travaux de reprise des balcons.

En effet, d’une part, le rapport ne se prononce pas sur les malfaçons éventuellement imputables à certains constructeurs, mais seulement sur l’état des balcons, la dangerosité de la construction et les mesures conservatoires à prendre et, d’autre part, les travaux de reprise ont été effectués après mise en demeure dans le cadre d’une procédure de péril imminent.

Dans ces conditions, la requête de l’OPH ne pouvait être regardée comme prescrite, puisque le délai de prescription quinquennale n’a commencé à courir qu’à la date à laquelle l’OPH a eu connaissance des faits relevant d’une faute assimilable à une fraude ou un dol, commis par le constructeur en question.

L’existence d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol

La Cour rappelle que « L’expiration du délai de l’action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu’ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l’exécution de leur contrat, ou bien d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu’ils puissent en ignorer les conséquences »

En l’espèce, les expertises démontrent que les choix techniques opérés par le constructeur étaient inadaptés aux exigences en matière de balcons préfabriqués.

Un ensemble de désordres a en effet conduit à l’ouverture d’un « joint sec » au niveau de la reprise de bétonnage et, par suite, à une forte corrosion des armatures supérieures qui ont fini par céder et entraîner l’effondrement d’un balcon.

Ainsi, eu égard aux caractéristiques de leur conception et de leur construction, les balcons pouvaient s’effondrer sous le seul effet de leur propre poids.

Le régime de la responsabilité contractuelle du constructeur pour faute assimilable à une fraude ou à un dol

Le régime de la responsabilité contractuelle du constructeur pour faute assimilable à une fraude ou à un dol est issu d’une solution jurisprudentielle consacrée de longue date par le Conseil d’État (V. en ce sens CE 24 mai 1974, Société Paul Millet, n°s 85939 86007, qui affirme pour la première fois la possibilité d’engager la responsabilité du constructeur sur ce fondement, y compris pour des faits anciens et postérieurement à l’expiration du délai de garantie décennale) et maintes fois réaffirmée depuis (V. CE 26 novembre 2007, Société Les travaux du Midi, n°266423 ; pour une application plus récente : CE 28 juin 2019, Société Icade Promotion, n°416735, selon lequel la seule gravité des désordres est insuffisante).

Il ressort de l’ensemble de ces jurisprudences que l’engagement de cette responsabilité pour faute du constructeur nécessite la réunion de 3 conditions :

  • La méconnaissance intentionnelle de ses obligations par le constructeur ;
  • Le caractère volontaire de la faute commise ;
  • Le fait que le constructeur ne puisse ignorer les conséquences de cette faute.

En l’espèce la Cour relève que le constructeur « ne conteste à aucun moment ni la réalité de ces manquements, ni leur gravité, ni qu’ils sont à l’origine de l’effondrement du balcon » et n’allègue pas qu’il pouvait « légitimement penser que les techniques de construction (…) choisies présentaient des garanties de fiabilité et de solidité suffisantes ».

En outre, eu égard à la nature et à la gravité extrême de ces manquements et leurs conséquences, les manquements du constructeur à ses obligations contractuelles ne pouvaient avoir qu’un caractère volontaire.

Dans ces conditions, l’OPH est fondé à engager la responsabilité du constructeur pour faute assimilable à une fraude ou à un dol à raison des malfaçons affectant les balcons.

La responsabilité du contrôleur technique

L’OPH sollicitait également la condamnation du contrôleur technique.

Toutefois, le juge administratif considère que « la seule circonstance que les manquements [du constructeur] aient échappé à la surveillance [du contrôleur technique] ne permet pas d’établir que la faute de cette dernière serait assimilable à une fraude ou à un dol ».

Partant, la responsabilité du contrôleur technique n’a pas été retenue.

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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