Retrouvez les principales décisions rendues au cours du mois de mai 2024 en matière principalement de marché public.

Le Cabinet NOVLAW Avocats (Laurent Bidault) accompagne ses clients de façon transversale en droit immobilier et en droit public

Absence de production des documents nécessaires pour apprécier la conformité d’une offre

Pour rappel, le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions, ce qui implique que l’acheteur ne peut pas attribuer le contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement.

L’acheteur peut néanmoins déroger à cette exigence si cette dernière se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d’une erreur purement matérielle d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.

Dans cette affaire, l’attributaire n’avait pas produit certains documents et fiches exigés par l’acheteur et qui étaient nécessaires pour ce dernier pour apprécier la conformité des offres à certaines normes.

Ces exigences étaient donc utiles, et ce d’autant que ces informations n’étaient pas renseignées dans d’autres documents.

Le marché ne pouvait donc pas être attribué à cette société.

TA Clermont-Ferrand, 6 mai 2024, n° 2400677

Analyse des échantillons et inégalité de traitement des candidats

L’article R. 2151-15 du Code de la commande publique prévoit qu’au titre des documents de la consultation, l’acheteur peut exiger que les offres soient accompagnées d’échantillons, de maquettes ou de prototypes ainsi que de tout document permettant d’apprécier l’offre.

Ici le règlement de la consultation prévoyait que l’acheteur se réservait la possibilité de demander des échantillons au premier ou aux trois premiers des candidats pressentis et non à la totalité des candidats ayant présenté une offre recevable.

Toutefois, le critère de la qualité et de la valeur technique des offres était apprécié au travers du mémoire technique du candidat et des échantillons justement.

Dès lors, en évaluant la qualité et la valeur technique des offres soit sur le seul mémoire technique pour certains candidats soit sur le mémoire technique et sur les échantillons présentés pour d’autres candidats, l’acheteur a porté atteinte au principe d’égalité de traitement des candidats et a opéré un système de présélection des offres qui a nécessairement eu pour effet d’accorder un avantage aux seules sociétés ayant été invitées à fournir des échantillons et a été de nature à léser l’entreprise requérante auquel la fourniture d’échantillons n’a pas été demandée.

TA Clermont-Ferrand, 6 mai 2024, n° 2400677

Marché public de travaux : Une présentation des sommes dues par le maître d’ouvrage n’est pas un mémoire en réclamation

Cette affaire est une nouvelle illustration du soin à apporter au mémoire en réclamation dans le cadre d’un marché public de travaux.

Ainsi, un document de présentation des sommes auxquelles prétend l’entreprise dans son projet de décompte final au titre de l’exécution du marché ne constitue pas un mémoire en réclamation.

Ce document a, selon la Cour, a pour objet d’engager la procédure d’établissement du décompte général, ne peut être regardé comme un mémoire en réclamation présenté dans les conditions prévues par le premier alinéa de l’article 50.1.1 du CCAG-Travaux.

CAA Douai, 7 mai 2024, n° 23DA00077

Irrecevabilité de la candidature d’une société en redressement judiciaire

L’acheteur aurait dû considérer la candidature d’une société placée en redressement judiciaire comme étant irrecevable et la rejeter, dès lors que la période durant laquelle cette société a été autorisée à poursuivre son activité par le tribunal de commerce est inférieure à la durée d’exécution du marché.

Le juge du référé précontractuel considère donc que la procédure est irrégulière.

Par ailleurs, le juge relève également que l’acheteur a manqué à ses obligations de mise en concurrence en s’abstenant de demander les justificatifs lui permettant de vérifier l’exactitude des informations données par les candidats alors qu’il a exigé des caractéristiques déterminées sur la qualité des prestations.

TA Guadeloupe, 10 mai 2024, n° 2400482

Les traces de corrosions apparentes à la réception ne relèvent pas de la garantie décennale

Dans cette affaire, la Cour considère que les traces de corrosion existant sur les canalisations d’ouvrage (en l’occurrence une usine de traitement de l’eau), qui ont été signalées comme étant des trois réserves dans le procès-verbal de réception et qui ont été constatées dans le rapport de constat qui lui était antérieur, ne relèvent pas de la garantie décennale.

Au regard de ces constats, le maître d’ouvrage ne pouvait ignorer le risque que cette corrosion soit beaucoup plus étendue à l’intérieur de ces canalisations et qu’elle se généralise.

En outre, il était loisible pour le maître d’ouvrage d’apprécier dans toutes leurs conséquences les désordres affectant les ouvrages en cause, désordres qui n’ont en outre pas une nature différente de ceux apparus avant la réception.

CAA Nantes, 13 mai 2024, n° 23NT00572

Prescription de la garantie décennale et interruption par deux actions en référé

Pour mémoire, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître de l’ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui le rendent impropre à sa destination, et que toute personne dont la responsabilité peut être engagée à ce titre est déchargée de la garantie pesant sur elle au terme d’un délai de 10 ans à compter de la réception des travaux.

Dans cette affaire, les travaux avaient été réceptionnés le 24 janvier 2007, de sorte que le délai de 10 ans expirait le 24 janvier 2017 à 24 heures.

Rappelons alors qu’une demande d’expertise interrompt ce délai de 10 ans jusqu’à la date à laquelle le juge des référés ordonne l’expertise.

Le maître d’ouvrage a saisi le juge des référés dans ce délai, en décembre 2007, d’une demande d’expertise et l’expert avait été désigné par une ordonnance du 19 mars 2008.

Partant, le délai de garantie recommençait à courir à compter de cette date et expirait au 19 mars 2018 et l’action en garantie décennale est alors prescrite à compter de cette date.

Par la suite, le maître d’ouvrage a saisi à nouveau le juge des référés le 4 mai 2011.

Mais la Cour relève que cette action ne tendait pas aux mêmes fins que la première expertise, de sorte que cette saisine n’a pas interrompu une nouvelle fois le délai de prescription de la garantie décennale.

Par conséquent, l’action que l’acheteur a engagée le 13 février 2020 contre les constructeurs à raison des désordres relatifs au confort thermique de bâtiments était prescrite.

CAA Bordeaux, 13 mai 2024, n° 22BX01473

Illégalité de l’absence de communication de la décomposition de la pondération du critère prix

Saisi d’un référé précontractuel, le juge des référés annule la procédure de passation d’un marché d’équipements médicaux considérant que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

En effet, le pouvoir adjudicateur s’est abstenu de porter à la connaissance des candidats la décomposition de la pondération du critère du prix, alors que l’un des éléments d’appréciation – qualifié de sous-critère par l’acheteur – avait une importance prépondérante par rapport aux autres, de sorte qu’il était assimilable à un véritable critère de jugement des offres.

TA Paris, 13 mai 2024, n° 2408557

Mention du CCAG Travaux et de la norme AFNOR NP F03-001

Dans cette affaire, les documents du marché et le CCAP prévoyaient parmi les pièces constitutives du marché le CCAG Travaux.

En revanche, la norme AFNOR NP F03-001, portant cahier des charges générales applicables aux travaux de bâtiments faisant l’objet de travaux privés, n’est pas applicable au marché, quand bien même il est fait référence à cette norme aux termes du CCTP.

La Cour précise que la référence à cette norme a pour seul objet l’exécution technique des ouvrages et ne peut donc avoir pour effet de rendre applicable cette norme, en tant qu’elle prévoit les règles applicables à l’établissement du décompte, ces dernières relevant du CCAG travaux 2009 auquel le CCAP, comme il a été dit, fait expressément référence.

CAA Nancy, 14 mai 2024, n° 20NC00519

Décompte tacite et référé provision

Cet arrêt illustre les pouvoirs du juge des référés saisi d’une demande de provision relative au décompte général d’un marché.

Classiquement, il appartient au juge des référés de rechercher si en l’état du dossier qui lui est soumis, l’obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n’est pas sérieusement contestable, sans pour autant avoir à trancher, ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation, ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.

CAA Marseille, 21 mai 2024, n° 23MA02500

 Responsabilité du maître d’ouvrage en raison de la faute du maître d’ouvrage délégué

Qu’il délègue ou non ses attributions à un mandataire, le maître d’ouvrage demeure seul responsable vis-à-vis des constructeurs.

Ainsi, le Conseil d’État rappelle qu’il appartient aux constructeurs, s’ils entendent obtenir la réparation de préjudices consécutifs à des fautes du mandataire du maître d’ouvrage dans l’exercice des attributions qui lui ont été confiées, de rechercher la responsabilité du maître d’ouvrage, seule engagée à leur égard, et non celle de son mandataire.

Et cela y compris dans le cas où c’est le mandataire qui a signé les marchés conclus avec les constructeurs, dès lors qu’il intervient au nom et pour le compte du maître d’ouvrage, et qu’il n’est pas lui-même partie à ces marchés.

Il appartient alors au maître d’ouvrage dont la responsabilité serait engagée à ce titre d’appeler en garantie son mandataire sur le fondement du contrat de mandat qu’il a conclu avec lui.

Notons également que les constructeurs peuvent cependant rechercher la responsabilité du mandataire, non pas sur un fondement contractuel puisqu’ils ne sont liés par aucun contrat, mais sur le terrain quasi délictuel dans l’hypothèse où les fautes alléguées auraient été commises en-dehors du champ du contrat de mandat liant le maître d’ouvrage et son mandataire.

À ce titre, les constructeurs ne sauraient rechercher la responsabilité du mandataire du maître d’ouvrage en raison de fautes résultant de la mauvaise exécution ou de l’inexécution de ce contrat.

CE, 21 mai 2024, société GTM Guadeloupe, n°490688

Marché public : absence de réponse aux questions des candidats et non-respect de règlement de la consultation

L’acheteur manque à ses obligations de publicité de mise en concurrence en ne respectant pas les termes du règlement de consultation qui lui imposait de répondre aux demandes de renseignements complémentaires, obligation qu’il s’est « fixé lui-même alors qu’il pouvait faire le choix s’il estimait n’avoir pas suffisamment de temps pour y répondre de reporter la date de remise des offres ».

De surcroit, dans cette affaire, les questions posées par le soumissionnaire démontrent le caractère utile de celles-ci au regard des incertitudes et ambiguïtés contenues dans le dossier de consultation qui étaient de nature à influencer la manière dont le soumissionnaire pouvait comprendre les besoins de l’acheteur et donc construire et présenter une offre réellement concurrentielle.

Le juge des référés en conclut que « la société requérante, en ne disposant pas des renseignements complémentaires qu’elle a sollicités, a été lésée par ce manquement ».

TA Poitiers, 21 mai 2024, n° 2401010

Révocation du mandataire d’un groupement conditionnée à l’accord du maître d’ouvrage

Pour rappel, en application des dispositions du CCAG Travaux, le mandataire d’un groupement est seul habilité à accepter le décompte, ou, au contraire, à formuler une réclamation.

À ce titre, le mandataire du groupement a seul qualité pour porter la réclamation du groupement devant le tribunal administratif compétent.

La Cour rappelle ici que la désignation d’un mandataire constitue une garantie pour le maître d’ouvrage de disposer d’un interlocuteur unique dans le cadre de la procédure de réclamation puis de la procédure contentieuse.

En outre, elle rappelle également que celui-ci ne peut être révoqué par ses cotraitants sans l’accord du maître d’ouvrage public.

CAA Marseille, 21 mai 2024, n° 22MA02173

Caractère infondé de la résiliation pour faute d’un marché

Le maître d’ouvrage doit justifier sa décision de résiliation pour faute d’un marché, en apportant à cet égard les précisions et justificatifs permettant d’étayer les motifs invoqués.

À défaut, la décision de résiliation du marché est infondée.

CAA Lyon, 23 mai 2024, n° 22LY03564

Office du juge pour sur le droit à indemnisation du candidat évincé

Le Conseil d’État rappelle dans cette affaire que lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient alors au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.

En l’absence de toute chance, le candidat évincé n’a droit à aucune indemnité.

Mais, dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu’il a engagés pour présenter son offre.

Voir notre article : Marché public : Indemnisation du candidat évincé

De plus, il appartient au juge de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d’emporter le contrat conclu avec un autre candidat ; si tel est le cas, celui-ci a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre.

Or, dans cette affaire, le Conseil d’État relève que le juge des référés s’est seulement limité à relever que l’offre du candidat évincé, sur plusieurs critères, avait été sous-évaluée ou mal évaluée, sans rechercher si, sans ces irrégularités, cette offre aurait été mieux classée que celles des autres candidats et s’il avait ainsi des chances sérieuses d’emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats.

CE, 24 mai 2024, société anonyme gardéenne d’économie mixte (SAGEM), n°474763

Opposabilité d’un protocole transactionnel                      

L’article 2052 du code civil prévoit que la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet.

Dès lors, la signature d’un protocole d’accord entre le maître d’ouvrage et l’entreprise qui était en charge de la réalisation de travaux, aux termes duquel le maître d’ouvrage renonce à tout recours concernant certains désordres, fait obstacle à ce que ce dernier puisse rechercher la responsabilité de ladite société dans ce cadre.

CAA Nancy, 28 mai 2024, n° 21NC01716

Pas de sujétions imprévisibles en cas d’aléa prévisible

Pour mémoire, le titulaire d’un marché à forfait dispose d’un droit à indemnisation des difficultés rencontrées lorsqu’elles trouvent leur origine dans des sujétions imprévues.

Dans cette affaire, le titulaire faisait valoir notamment que les retards pris par les autres intervenants et le défaut de coordination des différents intervenants constituaient des sujétions imprévues.

Cependant, la Cour relève que compte tenu du nombre important des corps d’état techniques en lien avec l’exécution de son propre lot et de leur interdépendance dans l’exécution du marché, les modifications des études et le retard d’exécution pris par les autres intervenants constituaient des aléas prévisibles que la société en cause ne pouvait pas raisonnablement ignorer.

De surcroit, le CCAP prévoyait des dispositions spécifiques concernant la coordination avec les autres intervenants, de sorte que la Cour relève que la coordination « était entrée dans la commune précision des parties au moment de la signature du contrat » et Il appartenait ainsi à la société en cause de prendre en compte, dans l’évaluation des risques du marché auxquels elle s’exposait, les conséquences potentiellement dommageables liées à cet aléa.

CAA Toulouse, 28 mai 2024, n° 22TL21256

Rejet d’une candidature en raison de l’absence d’une notice non demandée

Rappelons que s’il est loisible à l’acheteur d’attribuer une note de zéro à un critère ou sous-critère, dès lors que le soumissionnaire n’a pas fourni les informations lui permettant d’apprécier la valeur de l’offre au regard du sous-critère, il doit cependant préciser dans le règlement de consultation qu’en l’absence de ces informations, l’offre sera notée de zéro au regard du sous-critère en cause.

Dans cette affaire, l’acheteur avait attribué une note de zéro à l’un des soumissionnaires en raison du fait qu’il n’avait pas joint à son offre une « notice justificative et explicative sur l’organisation et la logistique mise en œuvre par le candidat pour respecter le délai sur lequel il s’engage ».

Néanmoins, il ne ressort pas du règlement de la consultation qu’en l’absence de production d’une telle notice, la note attribuée serait de zéro.

De plus, la notice en cause ne figurait pas au nombre des documents à présenter au soutien du dossier d’offre sous peine d’incomplétude de celui-ci, comme le prévoyait le règlement de consultation.

L’acheteur en attribuant la note de zéro en raison de l’« absence de réponse ou inadaptée », a dénaturé l’offre du candidat en cause.

TA Rouen, 30 mai 2024, n° 2401667

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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