Expulsion des locataires ou squatteurs : que faire lorsque la décision d’expulsion n’est pas appliquée ?

Après avoir saisi le juge et obtenu l’expulsion des locataires ne payant plus ou des squatteurs, rien ne garantit encore au propriétaire du logement que son bien lui sera restitué. Que faire alors ?

Qu’est-ce que le concours de la force publique ?

Le concours de la force publique est l’assistance de la police afin de procéder à l’expulsion du locataire.

Lorsque le bailleur détient une décision définitive (ordonnance ou jugement du tribunal de proximité) ordonnant l’expulsion d’un occupant, il doit saisir un huissier afin de la faire exécuter.

Quelle est la procédure permettant de se voir attribuer le concours de la force publique ?

Une fois que le jugement lui a été notifié, le locataire dispose d’un délai d’un mois pour faire appel.

Au-delà de ce délai, si le locataire n’a pas fait appel et qu’il ne libère pas les lieux, l’huissier délivre un commandement de quitter les lieux prévu à l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE).

A la suite de ce commandement le locataire a deux mois pour libérer les lieux de sa propre initiative conformément à l’article L. 412-1 du CPCE.

L’article L. 153-2 du CPCE prévoit que c’est à la fin de ce délai que l’huissier pourra solliciter le concours de la force publique auprès de la préfecture du lieu où se trouve le bien loué.

L’article R. 153-1 du CPCE explique que le préfet dispose d’un délai de deux mois pour accorder le concours de la force publique. Le silence de l’administration pendant deux mois vaut rejet de la demande de concours de la force publique.

Ce délai de deux mois permet aux services de la préfecture de mener une enquête sociale, sur la base desquelles le préfet rend sa décision.

Point important, lorsqu’il est saisi d’une demande d’octroi du concours de la force publique pour l’exécution d’un jugement d’expulsion, le préfet ne peut en aucun cas apprécier la validité du commandement de quitter le logement.

En effet, les juges du Palais Royal ont admis qu’ « il ne résulte d’aucune disposition qu’il appartienne au préfet, saisi d’une demande d’octroi du concours de la force publique pour l’exécution d’un jugement d’expulsion, d’apprécier la validité du commandement de quitter les lieux délivré par l’huissier de justice » (CE, 17 juin 2019, req. n° 414002).

Le refus du préfet ouvre-t ’il le droit à indemnisation ?

Oui, le refus du préfet de prêter le concours de la force publique ouvre droit à une indemnisation.

Ce refus se caractérise :

  • soit par le refus explicite du préfet de prêter le concours de la force publique à la suite de la demande de l’huissier ;
  • soit par le silence de la préfecture pendant deux mois, ce qui vaut décision implicite de refus.

Mais, l’Etat est obligé d’exécuter toutes les décisions de justice et un refus de sa part entraine un droit à réparation.

En effet, l’article L. 153-1 du CPCE, reprenant la célèbre jurisprudence Couitéas (CE, 30 novembre 1923, Couitéas, n° 38284 et n° 48688), dispose que : « L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation. ».

Ainsi, en cas de refus de concours de la force publique, il est prévu une indemnisation du préjudice subi du fait de la carence de l’État.

La responsabilité de l’État est engagée à partir du moment où le préfet refuse le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision juridictionnelle exécutoire.

Toutefois, l’occupant du logement bénéficie parfois d’un sursis prévu à l’article L. 412-6 du CPCE. La responsabilité de l’État est alors engagée à la fin de ce sursis.

En revanche, lorsque le juge judiciaire accorde un délai de grâce à l’occupant, alors que la responsabilité de l’État est déjà engagée pour refus de concours de la force publique, ce délai de grâce n’interrompt pas ou ne met pas fin à la responsabilité de l’État.

Et logiquement, lorsque le concours de la force publique a été refusé alors que l’occupant bénéficiait du sursis prévu par l’article L. 412-6 du CPCE et qui lui a été accordé un délai de grâce avant la fin dudit sursis, la responsabilité de l’État ne peut être engagée qu’à compter de l’expiration du délai de grâce (CE, 9 novembre 2018, req. n° 412696).

Le responsabilité de l’État s’achève avec le départ des occupants. En d’autres termes, la responsabilité de l’État est engagée jusqu’au départ des occupants sans droit ni titre.

Toutefois, en cas de réinstallation ultérieure, des mêmes occupants ou d’autres n’ayant pas de titre, il est nécessaire de faire une nouvelle demande à la préfecture afin d’obtenir de nouveau le concours de la force publique. Ce n’est qu’en refusant cette nouvelle demande que la responsabilité de l’État pourra à nouveau être engagée (CE, 22 novembre 2019, req. n° 417631) :

« lorsque l’administration a refusé au propriétaire d’un local le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre de ce local et qu’il est établi que ceux-ci ont quitté les lieux, la responsabilité de l’État n’est susceptible d’être engagée à l’égard du propriétaire, au titre des préjudices résultant pour lui de l’indisponibilité du local, que jusqu’à la date de départ des occupants. En cas de réinstallation ultérieure de ceux-ci ou de toute autre personne n’ayant pas de titre, la responsabilité de l’État ne peut, le cas échéant, être engagée au titre de cette nouvelle occupation qu’en raison d’un nouveau refus de concours de la force publique répondant à une nouvelle demande du propriétaire. ».

Enfin, dernière précision, l’action en indemnisation est attachée à la personne et non pas au local. Dès lors, lorsque le refus de prêter le concours de la force publique a été émis à l’encontre d’un propriétaire, il ne vaut que pour lui.

En cas de cession, le nouveau propriétaire devra donc obligatoirement procéder en son nom à une nouvelle demande de concours de la force publique. Ce n’est qu’une fois cette demande réalisée qu’il pourra reprendre celle du propriétaire initial et espérer récupérer les sommes dues antérieurement à la cession. Pour se faire, il faudra que l’ancien propriétaire accepte une subrogation de ses droits qu’il détenait envers l’État (CE, 19 octobre 2016, req. n° 383543).

Le retard de l’administration dans l’expulsion du locataire ouvre-t ‘il droit à indemnisation ?

Oui, tout retard de l’administration dans l’expulsion du locataire ouvre droit à indemnisation.

En effet, lorsque le préfet octroie le concours de la force publique, mais que son application est tardive, la responsabilité de l’État est engagée à compter du quinzième jour suivant la démarche de l’huissier tendant à organiser avec l’autorité de police une date pour l’expulsion (CE, 27 janvier 2010, req. n° 320642) :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que le préfet des Bouches-du-Rhône a, par une décision expresse du 25 novembre 2003, accordé à compter du 8 décembre 2003 le concours de la force publique que l’OPAC HABITAT MARSEILLE PROVENCE avait demandé le 14 octobre 2003 ; qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier que l’huissier mandaté par l’OPAC HABITAT MARSEILLE PROVENCE, à qui incombait, en application de l’article 19 de la loi du 9 juillet 1991, l’organisation matérielle de l’expulsion, ait accompli les diligences nécessaires avant la date du 12 mars 2004 à laquelle il s’est mis en rapport avec l’autorité de police en vue de la fixation de la date de l’expulsion ; que, dès lors, le préjudice correspondant à la période antérieure à cette date n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’État ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que l’intervention effective de la force publique pour l’exécution matérielle de l’ordonnance d’expulsion n’a eu lieu que le 28 juin 2004 ; que ce délai, dont il ne résulte pas de l’instruction qu’il serait imputable à l’huissier, a présenté, en l’absence de circonstances particulières, un caractère anormal de nature à engager la responsabilité de l’État à compter du quinzième jour suivant la démarche de l’huissier, soit le 27 mars 2004 ; ».

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Est-il possible d’engager la responsabilité de l’État avant la fin du délai de deux mois prévu à l’article R. 153-1 du CPCE ?

Oui, il est possible pour le propriétaire d’engager la responsabilité de l’État de manière anticipée en démontrant les effets particulièrement graves pour lui du respect par le préfet des dispositions de l’article R. 153-1 du CPCE lui laissant un délai de 2 mois pour répondre à la demande d’octroi du concours de la force publique (CE, 4 décembre 2009, req. n° 310601 ; CAA Lyon, 24 novembre 2011, req. n° 10LY01773) :

« que la responsabilité de l’État peut toutefois être engagée à raison de son inaction, préalablement à l’expiration de ce délai, lorsque les circonstances sont de nature à entraîner pour le propriétaire une privation de son bien dont les effets sont particulièrement graves, et exigent, par suite, une décision rapide sur les suites à donner à la demande ; »

Quels sont les préjudices invocables ?

Le refus ou le retard du concours de la force publique peuvent être synonyme de plusieurs préjudices pour les propriétaires.

Le plus fréquent correspondant à la perte des loyers et des charges consécutives à la non-exécution immédiate de la chose jugée. Cela se traduit souvent par le montant de l’indemnité d’occupation due par le locataire. Il est tout de même obligatoire de déduire les sommes correspondantes aux loyers réglés par l’occupant pendant la période demandée.

Dans certains cas, deux autres préjudices peuvent être pris en compte :

  • les dégradations subies par le local pendant la période litigieuse, si le propriétaire arrive à le démontrer (CAA Paris, 3 mars 1998, req. n° 95PA02214) ;
  • l’impossibilité de vendre le local occupé (CE, 25 avril 2007, req. n° 293377).

Le référé-liberté, seule procédure possible pour obtenir rapidement le concours de la force publique ?

Le recours de plein contentieux pouvant être très long, dans certain cas le juge administratif accepte d’appliquer le référé-liberté prévu à l’article L. 521-2 du code de justice administratif qui permet d’obtenir une décision en 3 jours.

En effet, le Conseil d’État estime que le refus de concours de la force publique peut porter une atteinte grave à une liberté fondamentale, condition nécessaire au référé-liberté.

Toutefois, il faut aussi démontrer qu’une urgence particulière rend nécessaire l’intervention du juge des référés, comme le fait que l’occupant présente un danger pour les autres occupants légitimes de l’immeuble.

A noter, le Conseil d’État a jugé que ni la perte de revenu locatif, ni l’incidence de l’occupation sans droit ni titre d’une partie de l’immeuble sur sa valeur vénale caractérisent une situation d’urgence (CE, 30 octobre 2003, Sté Kentucky, req. n° 261353).

Sous réserve de ces deux conditions précédemment évoquées et si le refus est manifestement illégal, le juge peut enjoindre au préfet d’accorder le concours de la force publique (cf. CE, 1er juin 2017, La Marne Fourmies, req. n° 406103).

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Une décision de refus de concours de la force publique peut-elle être annulée ?

Oui, deux procédures existent pour obtenir l’annulation du refus du concours de la force publique.

  • Recours pour excès de pouvoir

A la suite d’un premier refus de concours de la force publique, si la décision de justice reste inexécutée pendant une durée manifestement longue ; le représentant de l’État doit rechercher toute mesure pour permettre de mettre fin à l’occupation illicite des lieux.

Si le propriétaire des lieux est de nouveau confronté à un refus de concours de la force publique, il peut saisir le juge administratif d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir.

Il appartient alors au juge administratif d’apprécier :

  • la légalité du nouveau refus de concours,
  • les diligences accomplies par le représentant de l’État.

Il peut donc annuler la décision en tant qu’elle refuse d’accomplir des diligences appropriées. Par ailleurs, il peut enjoindre au représentant de l’État, sous astreinte, d’accomplir de telles diligences dans un délai fixé (CE, 13 novembre 2019, req. n° 415262).

  • Référé-suspension

Le Conseil d’État précise que lorsque le propriétaire a introduit un recours en annulation, il peut accompagner celui-ci d’un référé-suspension sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative. Le propriétaire peut alors demander la suspension de la décision préfectorale dans l’attente du jugement au fond.

La condition de l’urgence, nécessaire à cette procédure, s’apprécie en tenant compte de l’atteinte aux intérêts du propriétaire résultant de la poursuite de l’occupation irrégulière de son bien.

Si l’urgence est retenue et qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse, le juge des référés peut suspendre la décision. S’il est saisi de conclusions en ce sens, il peut enjoindre au préfet de réexaminer la demande de concours de la force publique.

Toutefois, le juge des référés ne peut pas ordonner la réalisation de l’expulsion sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CE, 1er juin 2017, La Marne Fourmies, req. n° 406103).

Quelles procédures pour obtenir une indemnisation ?

  • Le recours indemnitaire

Tout d’abord, le propriétaire doit effectuer un recours indemnitaire.

Il doit alors adresser au préfet une lettre recommandée avec avis de réception. Le propriétaire doit exposer les diligences menées par l’huissier et chiffrer le préjudice dont il demande réparation.

Cette demande peut aussi se faire via un formulaire disponible sur le site de la préfecture concernée, c’est le cas à Paris.

Le délai de réponse du préfet généralement est de quatre mois. L’offre indemnitaire proposée peut être différente de la demande présentée.

  • Le recours de plein contentieux

Si le préfet refuse explicitement ou implicitement (né du silence gardé durant deux mois suivant le dépôt de la demande) le propriétaire a deux mois à compter du refus pour exercer un recours de plein contentieux devant le tribunal administratif où se trouve le lieu litigieux.

Il est important de souligner, que les créances à l’égard de l’administration se prescrivent par quatre ans. Le délai commence à courir le 1er janvier suivant l’année de la créance. Il est interrompu par la réclamation adressée par courrier recommandé.

Quels sont les effets de la trêve hivernale sur l’engament de la responsabilité de l’État ?

Depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 dite la loi ALUR, la trêve hivernale  s’étend du 1er novembre au 31 mars.

Durant cette période, la responsabilité de l’État ne peut être engagée. Le point de départ de la période indemnisable est prolongé par l’effet de la trêve hivernale (du 1er novembre au 31 mars). Ainsi, Une demande faite postérieurement au 1er septembre n’engagera la responsabilité de l’État qu’à partir du 31 mars de l’année suivante.

Dès lors, lorsqu’une demande de concours de la force publique présentée moins de deux moins avant la trêve hivernale est refusée, la responsabilité de l’État ne peut être engagée qu’à compter de la fin de celle-ci.

En 2020 spécifiquement, face à l’ampleur de la crise sociale émanant de l’épidémie de la covid-19, la trêve hivernale a exceptionnellement été rallongée par le gouvernement jusqu’au 1er juin 2021.

Toutefois, il est important de préciser que la trêve hivernale ne s’applique pas pour certains occupants sans droit ni titre :

  • les squatteurs occupant un domicile qu’il s’agisse d’une résidence principale ou secondaire ;
  • les squatteurs occupant un garage ou un terrain. Dans ce cas, le juge qui prononce l’expulsion peut décider de supprimer la trêve hivernale ou d’en réduire la durée.

En ce sens, la responsabilité de l’État débutera au refus explicite ou implicite du préfet d’octroyer le concours de la force publique.

Quels sont les effets d’un arrêté d’insalubrité sur une procédure d’expulsion et d’indemnisation ?

Lorsque des locaux sont déclarés insalubres, l’article L. 521-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation prévoit que :

  • le loyer, ou toute autre somme perçue en contrepartie de l’occupation, cesse d’être dû à compter de la notification de la mise en demeure du préfet. Dans ce cas précis, l’occupant est également exonéré du paiement des charges ;
  • la personne qui a mis à disposition les locaux est tenue d’assurer le relogement définitif des occupants et ne peut demander leur expulsion, sans avoir proposé un relogement.

Le propriétaire ne peut donc pas demander l’expulsion de ses locataires si les lieux occupés sont déclarés insalubres. Plus encore, il a l’obligation de les reloger.

Enfin, la survenance d’un arrêté d’insalubrité, quelles que soient les causes de survenance de cette insalubrité, interdisant la perception de tout loyer, implique nécessairement la limitation à la date de cette arrêté de l’indemnisation due par l’Etat (cf. CAA Lyon, 9 juillet 1990, req. n° 89LY01765).