Pour demander la requalification d’un bail commercial de courte durée en bail commercial classique, le locataire doit saisir le tribunal judiciaire d’une demande au fond en indiquant le motif de la demande de requalification. Le plus souvent, le locataire indiquera que le bail de courte durée s’est poursuivi au-delà de trois pour justifier sa demande. Sur ce point, la jurisprudence n’a cessé d’évoluer.

La dernière décision de la Cour de cassation (Cass. Civ., 3ème, 25 mai 2023, n° 21-23.007) est clairement favorable au preneur, dès lors qu’elle énonce que l’action en requalification du bail de courte durée en bail commercial est imprescriptible (ou plus exactement, qu’elle échappe au principe de la prescription biennale prévue en matière de baux commerciaux).

Que dit précisément la jurisprudence en matière de requalification d’un bail dérogatoire en bail commercial ?

Si les dispositions législatives relatives au statut des baux commerciaux sont d’ordre public y compris celles relatives à la durée de neuf années, en pratique cette durée n’est pas toujours opportune. Ainsi, preneur et bailleur peuvent convenir de conclure un bail dérogatoire à condition que celui-ci n’excède pas trois ans.

Les tribunaux sont régulièrement saisis de contentieux liés à la requalification d’un bail dérogatoire en bail soumis au statut des baux commerciaux notamment lorsque le preneur considère qu’il bénéficie d’un droit au maintien dans les locaux.

À l’origine, ce type de contentieux était parfois périlleux pour le preneur désirant jouir du statut en raison de la prescription biennale de l’article L145-60 du Code de commerce. Toutefois la jurisprudence n’a cessé d’évoluer au profit du preneur et un pas de plus a été franchi avec l’arrêt du 25 mai 2023.

Aux termes de l’article L.145-5 du Code de commerce, les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger à l’application du régime des baux commerciaux à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à trois ans. À l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux (Cass. 3ème civ., 12 avr. 1995). Ainsi, une fois le terme du bail arrivé, si le preneur reste dans les lieux sans opposition du bailleur, un nouveau bail commercial se forme automatiquement entre le bailleur et le preneur après l’écoulement d’un délai d’un mois à compter de l’échéance du précédent bail (Code de Commerce – Article L.145-5, al.2).

Un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux remplace ainsi le précédent (C.com., L.145-5, al.2).

L’action en requalification d’un bail commercial est enfermée dans un délai très court puisque l’article L145-60 du Code de commerce prévoit que toutes les actions exercées en matière de baux commerciaux se prescrivent par deux ans. De plus, ce délai court à compter de la conclusion du contrat initial (Cass.3ème civ., 11 juin 2013, n°12-16.103).

Fort heureusement pour le preneur, cette règle connaît deux atténuations consacrées en jurisprudence et notamment une en matière de baux de courte durée.

En effet, dans un arrêt en date du 1er octobre 2014 (Cass, 3ème civ., 1er octobre 2014, n° 13-16.806), la Cour de cassation a expressément jugé que « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale ». Une telle demande n’étant pas soumise à la prescription biennale de l’article L.145-60 du Code de commerce, il était admis, jusqu’alors, qu’elle était soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil.

Or, dans un arrêt du 25 mai 2023, la Cour de cassation franchit un pas supplémentaire en énonçant que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L.145-5 du Code de commerce, n’est soumise à aucun délai de prescription.  

En l’espèce, un groupement forestier a consenti, le 14 juin 2004, à une société un « bail commercial de courte durée » ayant pour terme le 30 septembre 2006. À l’expiration dudit bail, la société s’est maintenue dans les lieux et a été laissée en possession de ceux-ci. Le bailleur, quant à lui, a continué d’émettre des quittances de loyer jusqu’au 31 décembre 2016, date à partir de laquelle il a facturé à la société des indemnités d’occupation.

En 2017, la société a assigné le groupement forestier en constatation de l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux né du fait de son maintien en possession à l’issue du bail dérogatoire.

La Cour d’appel de Pau déclare, dans un arrêt rendu le 29 juillet 2021, l’action de la société prescrite retenant que l’action en constatation de l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux est soumise aux dispositions de l’article 2224 du Code civil et que, le premier bail ayant été signé le 14 juin 2004, la société aurait dû agir au plus tard dans un délai de cinq ans, soit le 14 juin 2009.

La Cour de cassation casse et annule cet arrêt au visa de l’article L.145-5 du Code de commerce et consacre l’imprescriptibilité de l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire né du maintien en possession du preneur après un bail dérogatoire.

Ainsi, en vertu de l’article L.145-5 du Code de commerce, lorsque le preneur se maintient dans les lieux à l’issue d’un bail dérogatoire, le bail commercial est formé de plein droit par ce maintien, de sorte que sans contrainte de temps, le locataire est recevable à revendiquer le statut des baux commerciaux lorsque, conformément aux dispositions susvisées, il est resté dans les lieux loués sans opposition du bailleur.

Cette solution rendue par la Cour de cassation ne se limite pas au seul preneur mais concerne également le bailleur qui pourra, s’il le souhaite, solliciter la requalification d’un bail dérogatoire en bail soumis au statut des baux commerciaux à tout moment si le preneur se maintient dans les lieux plus d’un mois après l’expiration dudit bail dérogatoire.

Désormais, les parties à un bail dérogatoire devront faire preuve de vigilance en démontrant, par des actes positifs et non équivoques leur volonté de mettre fin à la relation contractuelle qui les lie dès lors qu’elles ne souhaitent pas être engagées par un bail soumis au statut des baux commerciaux.

En revanche, pour le locataire désirant se maintenir dans les lieux, il est clair que ce mouvement jurisprudentiel est particulièrement favorable.

Comment demander la requalification d’un bail de courte durée en bail commercial ?

Par Baptiste Robelin, avocat expert en droit immobilier en collaboration avec  Carla Bellavia.

Comment demander la requalification d’un bail de courte durée en bail commercial ?