Par Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial.

Avec le développement du télétravail et des espaces de co-working, le besoin de recourir au contrat de bail commercial s’est réduit. Des plateformes comme WeWork ou Spaces ont su émerger pour proposer aux commerçants, et aux professionnels, un mode de mise à disposition de locaux plus modulable : le contrat de prestation de services. Par ce contrat, le bénéficiaire n’est alors pas tenu de payer un loyer fixe et jouit d’une flexibilité séduisante, celle de ne payer que pour les espaces utilisés. Le prestataire fournit, sur la base d’un tarif, l’accès à différentes salles, pour des durées plus ou moins longues, ayant pour avantage de pouvoir s’ajuster au développement de l’activité du bénéficiaire.

Cependant, éluder le contrat de bail commercial revient à se priver des avantages qu’il confère. Outre le droit au renouvèlement, le contrat de bail protège le preneur par l’obligation faite au bailleur de lui verser une indemnité d’éviction s’il entend ne pas renouveler le contrat, ou par l’obligation de motiver l’éviction.

En premier lieu, l’action en requalification d’un contrat de prestation de services en contrat de bail commercial suppose que le statut des baux commerciaux soit applicable et que l’action puisse être valablement menée. Subsidiairement, il paraît utile d’aborder la requalification du contrat de bail inférieur à trois ans (bail dérogatoire), du contrat de bail saisonnier et du contrat de bail d’occupation précaire (convention d’occupation précaire).

La requalification du contrat de prestation de services en contrat de bail commercial

Pour qu’un contrat soit requalifié en contrat de bail commercial, il faut d’une part que le statut des baux commerciaux soit applicable à la partie qui deviendra preneuse et, d’autre part, que l’action en requalification soit valable (non prescrite).

En vertu de l’article L. 145-1 du Code de commerce, le statut des baux commerciaux est applicable aux commerçants immatriculés au RCS, lorsque le contrat porte sur un local, en vue qu’y soit exploité un fonds de commerce. Selon la jurisprudence, le local est un lieu clos et couvert d’une stabilité suffisante.
Le contrat de bail commercial peut également porter sur un terrain nu et, dans ce cas, il devra être fait mention de l’édification de constructions où sera exploité un fonds de commerce, avec l’accord du propriétaire du terrain.
Puisqu’il faut qu’un fonds de commerce soit exploité, il ne peut y avoir de contrat de bail commercial sans qu’il y ait de clientèle propre au preneur et sans que celui-ci bénéficie d’une autonomie de gestion, qui sont les conditions d’existence du fonds.

Les actions en requalification du contrat de bail commercial sont enfermées dans un délai de prescription de deux ans selon l’article L. 145-60 du Code de commerce. Ce délai très court pose un réel problème puisque ce délai court à partir de la conclusion du contrat initial, que le renouvèlement du contrat ne fait pas courir un nouveau délai de deux ans, et que les litiges surviennent généralement à l’expiration du contrat. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à lancer l’action avec promptitude.

Une exception est posée par la jurisprudence : la fraude entraîne la suspension du délai de prescription, rendant l’action en requalification possible au-delà du délai de deux ans. La fraude est caractérisée à la réunion de trois critères : l’existence d’une règle impérative (ici, les règles relatives aux baux commerciaux sont impératives) ; une intention frauduleuse ; et un moyen de contourner la règle (le contrat). Ces critères sont soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond.
La Cour de cassation a ainsi précisé que le contrat intitulé « prestation de services réciproques » et les clauses stipulées « dans le but exclusif de contourner le statut des baux commerciaux » constituait une fraude, et que « cette fraude avait suspendu la prescription biennale pendant la durée du contrat » Civ. 3ème, 19 novembre 2015, n°14-13.882.

Pour apprécier la fraude, les juges se fondent sur des indices factuels. Si le contrat de prestation de service n’est pas assorti d’une grille tarifaire précisant le coût de chacun des services, mais plutôt d’un prix fixe, alors peut-être s’agit-il d’un contrat de bail où la redevance s’analyse comme étant un loyer. De même si le prix de la redevance est similaire au prix du loyer des baux commerciaux de la zone géographique, ou encore si la substance des services est si fine qu’il serait permis de douter de leur réalité.

La requalification des autres contrats en bail commercial

Le bail inférieur à trois ans – Le bail dérogatoire

Aux termes de l’article 145-5 du Code de commerce, il est possible de déroger à l’application du statut des baux commerciaux pour les baux conclus pour une durée inférieure à trois ans. En principe, le bail cesse de plein droit selon l’article 1737 du Code civil, ce qui dispense le bailleur de délivrer congé au preneur.

Cependant, le Code de commerce affirme que le preneur laissé en possession durant un mois après l’expiration du terme du bail (à l’expiration des trois mois légaux) se voit conférer automatiquement un nouveau contrat de bail, cette fois-ci commercial, s’il s’y maintient effectivement. Cette solution est également retenue par la jurisprudence – Civ. 3ème, 28 juin 2011, n°10-19.236.

Concernant la preuve, il incombe au bailleur de prouver qu’il n’a pas accepté que le preneur se maintienne dans les lieux, et non au preneur de démontrer qu’il en avait l’autorisation – Civ. 3ème, 27 juin 1990, n°88-16.424, JurisData n°1990-702201. Pour apprécier le maintien en possession, les juges se fondent des éléments factuels comme la perception de loyers, le défaut de sommation de déguerpir, ou le défaut de demande de restitution des clefs.

Le bail saisonnier

Le contrat de bail saisonnier de l’article 145-5 du Code de commerce est celui consenti « pour une saison ou pour une période de l’année déterminée par une unité d’activité économique » – CA Nîmes, 8 mars 2007, n°06/04324 : JurisData n°2007-337522.

Il diffère du contrat de bail commercial par une jouissance discontinue, avec remise des clefs après chaque unité de temps. N’est donc pas saisonnier le bail qui serait conclu sur une période de neuf mois chaque année.

La légitimité de la requalification du bail saisonnier en bail commercial naît de la perte des caractères saisonnier de la location. Le caractère saisonnier disparaît lorsque le locataire reste en possession des clefs, lorsqu’il laisse dans le local le matériel nécessaire à l’exploitation du fonds de commerce (sauf si cela résulte uniquement de la tolérance du bailleur par pure commodité), ou lorsqu’il paye toute l’année durant les factures de gaz, d’eau ou d’électricité.

Enfin, la requalification peut avoir lieu en cas de fraude. Comme dans le cas du contrat de prestation de service, la fraude est caractérisée lorsqu’il est fait recours au contrat de bail saisonnier pour éviter le statut des baux commerciaux.

La convention d’occupation précaire

La convention d’occupation précaire est celle qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties, selon l’article 145-5-1 du Code de commerce.

Afin de dûment conclure une convention d’occupation précaire il faut réunir deux conditions cumulatives à savoir la précarité objective d’une part, et une contrepartie financière modique d’autre part. La précarité objective s’entend comme une situation précaire objective existante au moment de la signature (ex. une expropriation).

La requalification en bail commercial intervient lorsque la convention d’occupation précaire est utilisée pour éluder le statut des baux commerciaux. Le juge recherche alors si les droits de l’occupant sont fragiles, si le droit de jouissance est limité et si le montant de la redevance est faible – critères de la précarité – pour apprécier l’existence d’une fraude.
Ainsi, la fraude a pu être constituée lorsque le preneur avait conclu plusieurs conventions d’occupation précaire sur une durée de dix ans, tantôt à son nom, tantôt avec un prête-nom – Civ. 3ème, 1er avril 2009, n°07-21.833 : JurisData n°2004-047669.

Si la convention d’occupation précaire n’a pas excédé une durée de trois ans, alors il est peut-être dans l’intérêt de celui qui demande la requalification, de la demander pour que soit appliqué le régime des baux dérogatoires de courte durée. En effet, sans précarité, il pourrait s’agir d’un bail dérogatoire, mais si, de surcroît, le preneur est laissé en possession des lieux alors par cet intermédiaire son bail dérogatoire pourra automatiquement être requalifié de bail commercial. Ce raisonnement en deux étapes est validé par la Cour de cassation – Civ. 3ème, 19 novembre 2003, n°02-15.887 : JurisData n°2003-020994.