Par Baptiste Robelin, avocat spécialisé en bail commercial.

Beaucoup de nos clients se posent la question : Peut-on résilier un bail commercial librement si le bailleur et le locataire sont d’accord ?

Cela semble aller de soi : le bail commercial est un contrat de droit privé qui repose sur la théorie juridique de l’autonomie de la volonté. En somme, ce que la volonté a fait, elle devrait pouvoir la défaire. Si les deux parties, bailleur et locataire, sont d’accord pour résilier le bail commercial, cela devrait suffire.

Et bien non ! Comme on le sait, en matière de bail commercial, les choses sont souvent plus subtiles et complexes et le Code de commerce pose un certain nombre de règles de fond et de forme, que les parties, bailleur et locataire, doivent respecter.

La résiliation du bail commercial n’échappe pas à cette règle.

En l’occurrence, on parle de résiliation conventionnelle lorsque le bailleur et le locataire sont d’accord pour mettre fin au bail commercial. Dans cette hypothèse, tout dépend si le locataire a des dettes ou non, et surtout s’il existe ou non des créanciers inscrits sur le fonds de commerce.

Dès lors que des créanciers sont inscrits sur le fonds de commerce du locataire, la résiliation du bail commercial doit leur être notifiée préalablement.

C’est un scénario que l’on retrouve régulièrement : il est courant que le bailleur et le locataire décident de mettre fin au bail commercial, avec ou sans indemnité d’éviction (le plus souvent, ce sera avec le versement d’une indemnité d’éviction).

Par exemple, dans le cadre d’une vente immobilière : il est habituel qu’un propriétaire décide de vendre des murs commerciaux, et que l’acheteur souhaite acheter le local vide. Une négociation sera menée entre les trois parties, bailleur, acquéreur et locataire : on signera un compromis de vente pour les murs commerciaux, sous condition suspensive de résiliation du bail commercial (éventuellement avec versement d’une indemnité d’éviction). Il faudra alors prévoir dans le contrat la notification préalable aux créanciers inscrits.

En l’occurrence, la règle est prévue par l’article L 143-2 alinéa 2 du Code de commerce :

« La résiliation amiable du bail ne devient définitive qu’un mois après la notification qui en a été faite aux créanciers inscrits, aux domiciles élus »

Il est donc nécessaire d’informer les créanciers inscrits sur le fonds de commerce du locataire préalablement à la résiliation du bail commercial.

Pourquoi cette règle ?

C’est très simple à comprendre en réalité. Le fonds de commerce constitue un actif pour le commerçant : le fonds de commerce peut être valorisé, cédé, et donc servir de garantie aux créanciers.

C’est pourquoi les créanciers doivent être informés en cas de résiliation du bail commercial : à défaut, ils pourraient perdre leur sûreté sans en avoir été informés.

Comment faire en pratique ?

Avant la résiliation du bail commercial, on demandera un état des nantissements et privilèges inscrits sur le fonds de commerce du locataire (disponibles en ligne sur ce site).

S’il existe des créanciers inscrits sur le fonds de commerce, on les informera du projet de notification du bail commercial par lettre recommandée avec accusé de réception ou par exploit d’huissier de justice. Ils pourront alors exiger de nouvelle garantie ou solliciter un règlement immédiat de leur créance.

Dans la rédaction du protocole de résiliation amiable du bail commercial, on indiquera parmi les conditions, l’obligation de notifier préalablement l’opération aux créanciers inscrits. Il est également conseillé de prévoir un séquestre (dont la mission sera le plus souvent exécutée par un avocat) qui aura pour mission de régler les créanciers inscrits sur le fonds.

Attention, la même règle s’applique si c’est le bailleur qui poursuit la résiliation judiciaire du bail !

En effet, la protection des créanciers inscrits sur le fonds de commerce s’applique également si c’est le bailleur qui poursuit la résiliation judiciaire du bail.

C’est une règle piège que les bailleurs doivent avoir bien en tête lorsqu’ils demandent la résiliation du bail commercial en justice (par exemple en cas d’impayés du locataire ; ou pour défaut d’assurance, d’exploitation du fonds de commerce, etc.).

On pourrait penser que ce contentieux ne concerne que le bailleur et son locataire : après tout, le bailleur est le propriétaire, et devrait donc pouvoir décider d’expulser le locataire comme il le souhaite s’il n’est pas payé de son loyer.

Mais là encore, le droit des baux commerciaux est une matière complexe est nuancée.

Lorsque le bailleur poursuit la résiliation judiciaire du bail commercial, il doit également procéder à une notification préalable aux créanciers inscrits.

C’est l’article L. 143-2 alinéa 1er du Code de commerce qui s’applique :

« Le propriétaire qui poursuit la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel s’exploite un fonds de commerce grevé d’inscriptions doit notifier sa demande aux créanciers antérieurement inscrits, au domicile élu par eux dans leurs inscriptions. Le jugement ne peut intervenir qu’après un mois écoulé depuis la notification ».

Comment faire en pratique ?

On commence également par éditer un état des nantissements et privilèges sur infogreffe, afin de vérifier s’il existe ou non des créanciers inscrits sur le fonds de commerce du locataire.

Si tel est le cas, il faudra notifier l’assignation aux créanciers inscrits (par exploit d’huissier). Attention, un mois doit s’être écoulé entre cette notification et le jugement : il faut donc veiller à prendre une date d’audience respectant ce délai.

Quelles sont les conséquences en cas d’absence de notification aux créanciers inscrits ?

Il est essentiel de ne pas oublier de notifier la résiliation du bail commercial aux créanciers inscrits : à défaut, la résiliation du bail commercial leur serait inopposable.

Plus précisément, en l’absence de notification, les créanciers pourraient former une procédure de tierce opposition à la décision prononçant la résiliation du bail commercial, et demander le maintien du bail.

Ils peuvent en l’occurrence le faire dans un délai de 5 ans (délai de prescription pour former tierce opposition) : c’est donc une longue période d’insécurité juridique pour les parties qui auraient omis cette procédure de notification préalable aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce du locataire.

Si les créanciers inscrits obtiennent gain de cause, le bail commercial résilié sera de nouveau applicable et les créanciers pourront alors poursuivre la vente forcée du fonds de commerce, à titre de résiliation de leur privilège.

Enfin surtout, les créanciers inscrits pourront demander des dommages-intérêts au bailleur qui ne les a pas informés de la résiliation.

C’est pourquoi, en cas d’impayé et lorsqu’ils poursuivent la résiliation judiciaire du bail, les bailleurs doivent être attentifs à cette règle de la notification préalable aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce de leur locataire.

Pensez à demander conseil auprès d’un avocat spécialisé en bail commercial !