Retrouvez les principales décisions rendues au cours du mois de février 2024 en matière principalement de marché public.

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Marché public de travaux : Exiger une certification n’est pas discriminatoire

Dans cette affaire, la candidature d’une société avait été écartée comme étant irrecevable au double motif que sa liste de travaux était insuffisante et qu’elle ne disposait pas de la qualification Qualibat 2194 Restauration pierre de taille et maçonnerie des monuments historiques, ces références et cette qualification étant requises par le règlement de la consultation pour que l’offre puisse être examinée et notée.

La Cour considère que la certification exigée par l’acheteur est à la fois en rapport avec l’objet du marché et qu’elle est proportionnée à la nature des prestations dans la mesure où les travaux en cause nécessitaient un degré de qualification.

En définitive, cette exigence ne constitue pas une discrimination.

CAA Lyon, 1er février 2024, n°22LY01219

Voir également notre article : Marché public et certification Qualibat

Marché de travaux : le juge ne peut pas relever d’office le moyen tenant à l’insuffisante motivation d’un mémoire en réclamation

Rappelons que la réclamation du titulaire d’un marché de travaux ne peut être regardée comme un mémoire en réclamation, au sens particulièrement du CCAG Travaux, que si ce mémoire comporte l’énoncé d’un différend et expose, de façon précise et détaillée, les chefs de la contestation en indiquant les montants des sommes dont le paiement est demandé et les motifs de ces demandes.

En revanche, la réclamation du titulaire ne peut pas se limiter à se référer à un document antérieurement communiqué sans le joindre à son mémoire.

Dans cette affaire, le tribunal administratif a jugé que les demandes indemnitaires présentées par le titulaire du marché de travaux étaient irrecevables dans la mesure où le mémoire en réclamation et les différentes pièces qui y étaient jointes n’étaient pas motivés.

Cependant, la Cour relève que les premiers juges ne pouvaient pas se saisir d’office de l’insuffisante motivation de cette réclamation, le maître d’ouvrage ne soulevant lui-même pas un tel moyen.

Il reste que sur le fond, la Cour relève que la réclamation en cause n’est pas suffisamment motivée, de sorte qu’elle ne peut être regardée comme un mémoire en réclamation au sens du CCAG Travaux.

CAA Lyon, 1er  février 2024, société ECAD, n° 22LY01395

Reconstruction et exploitation d’un centre nautique : Distinction entre marché public et concession

Dans cette affaire, était discutée la qualification d’un contrat portant sur la reconstruction et l’exploitation d’un centre nautique, les requérants estimant que ce contrat constituait un marché public, et non pas un contrat de concession.

Cependant, la Cour relève en particulier qu’outre que la commune a retenu le principe du recours à la gestion déléguée, la reconstruction et l’exploitation d’un centre nautique relèvent d’un service public municipal.

De plus, compte tenu de l’objet du service, de la durée du contrat (25 ans) et du nombre d’usagers susceptible de variations importantes durant l’exécution, la part de risque transférée au délégataire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de sorte qu’il existe un risque d’exploitation pour le titulaire du contrat.

Le contrat en cause est donc un contrat de concession.

CAA Versailles, 1er février 2024, n° 21VE00801

Principe d’impartialité et procédure de passation d’un marché public de transport

Le principe d’impartialité implique l’absence de situation de conflit d’intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat et sa méconnaissance par l’acheteur est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Dans cette affaire, il a été jugé que la présence au sein de l’acheteur de l’ancienne directrice de la société attributaire d’un marché ne constitue pas une situation de conflit d’intérêts.

En effet, le tribunal relève que cette personne n’a en particulier pas participé aux procédures de mise en concurrence des opérateurs de transport, de sorte qu’elle n’a exercé aucune influence sur la procédure d’attribution du marché en cause.

TA Nancy, 1er février 2024, société SADAP, n°2102295

Irrégularité d’une offre ne respectant pas le nombre imposé de pages

Cette affaire illustre à nouveau l’attention particulière que doivent apporter les soumissionnaires à la limitation du nombre de pages du mémoire technique lorsqu’elle est imposée par l’acheteur.

Ici, le tribunal administratif de Nancy relève que l’offre du groupement attributaire aurait dû être écartée car irrégulière dès lors que le nombre de « pages utiles » de son mémoire technique était supérieur aux 40 pages exigées dans les documents de la consultation.

Son offre aurait donc dû être écartée pour ce motif et un tel vice entache la validité du contrat, qui n’est pas susceptible d’être régularisé devant le juge.

TA Nancy, 1er février 2024, n°21022999

Irrecevabilité d’un recours en cas d’absence de transmission du mémoire en réclamation

En cas de différend sur le décompte général d’un marché de travaux, son titulaire doit transmettre un mémoire en réclamation au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai de 45 à compter de la date à laquelle ce dernier lui a notifié le décompte général et en adresser une copie au maître d’œuvre dans le même délai.

Le respect de ce délai s’apprécie à la date de réception du mémoire tant par le pouvoir adjudicateur que par le maître d’œuvre.

Mais, si le titulaire omet de communiquer dans ce délai son mémoire en réclamation au maître d’œuvre alors son action est irrecevable.

CE 2 février 2024, société Valent, n° 471122

Appréciation du lien de causalité entre l’irrégularité du contrat résilié et le préjudice subi par l’attributaire

Il appartient au juge administratif d’apprécier le lien de causalité entre l’irrégularité du contrat tenant en des manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur et le préjudice invoqué par l’attributaire découlant de la résiliation du contrat.

Ce lien de causalité ne peut être regardé comme direct que lorsque les manquements en question ont eu une incidence déterminante sur l’attribution du contrat.

À cette fin, le juge administratif doit apprécier ce caractère déterminant, sauf à commettre une erreur de droit.

CE, 2 février 2024, SOGECCIR, n°471318

Marché public de travaux : Application des pénalités de retard en cas de réception sous réserve

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Marseille précise que les pénalités de retard prévues au CCAG Travaux sont applicables en cas de retard dans l’achèvement des travaux, lorsque la réception est prononcée sous réserve de la réalisation justement des travaux non achevés.

À l’inverse, rappelons que les pénalités de retard dans l’achèvement des travaux ne sont pas applicables lorsque la réception des travaux a été prononcée avec réserves, les travaux ayant été réputés achevés (Voir en ce sens : CAA Douai, 5 août 2021, n° 20DA00864).

CAA Marseille, 7 février 2024, société Climatech, n° 22MA00138

Marché public de travaux : Exécution aux frais et risques du titulaire défaillant et établissement de son décompte

Pour mémoire, dans le cas où le titulaire d’un marché n’exécute pas les travaux, le maître d’ouvrage a la faculté de les faire exécuter par un tiers aux frais et risques du titulaire, y compris lorsque ces travaux s’inscrivent dans le cadre d’une réception sous réserve.

Dans ce même arrêt, la Cour administrative d’appel de Marseille apporte des précisions importantes sur le règlement du marché du titulaire défaillant dans ce cadre.

Aucune règle ni aucun principe applicable n’imposait en l’espèce au maître de l’ouvrage, avant d’exiger du titulaire défaillant le remboursement du coût des travaux réalisés par l’entreprise tierce, d’attendre que le décompte général du marché de cette dernière ait acquis un caractère définitif.

Autrement dit, le maître d’ouvrage peut imputer directement dans le décompte du titulaire défaillant les sommes dues à l’entreprise tierce pour achever les travaux, sans attendre que ces sommes soient définitives (c’est-à-dire que le décompte du marché de substitution soit définitif).

CAA Marseille, 7 février 2024, société Climatech, n° 22MA00138

Référé précontractuel et référé contractuel en Polynésie

Dans cette décision, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que d’une façon générale le référé contractuel n’est pas ouvert au demandeur qui a déjà pu faire un référé précontractuel.

Ce principe est applicable en Polynésie française alors même que les articles du Code de justice administrative mentionnés à l’article L. 551-14, notamment l’article L. 551-1 relatif au référé précontractuel, ne sont pas applicables en Polynésie française.

Cependant, pour le Conseil d’État, l’article L. 551-14 doit être interprété, pour son application en Polynésie française, comme fermant la voie du référé contractuel lorsque :

  • D’une part, le demandeur a formé un référé précontractuel en application de l’article L. 551-24 ;
  • D’autre part, la personne publique a respecté la suspension de la signature du contrat ordonnée par le président du tribunal administratif et s’est conformée à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours.

CE, 9 février 2024, Société Occelia, n°471851

Appréciation de l’influence d’un candidat sur la procédure d’attribution d’un marché public

L’acheteur peut exclure de la procédure de passation d’un marché public une personne qui peut être regardée, au regard d’éléments précis et circonstanciés, comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en question (ou dans le cadre d’autres procédures récentes), entrepris d’influencer la prise de décision de l’acheteur et qui n’a pas établi, en réponse à la demande que l’acheteur lui a adressée à cette fin, que son professionnalisme et sa fiabilité ne peuvent plus être mis en cause et que sa participation à la procédure n’est pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement entre les candidats (Article L. 2141-8 du Code de la commande publique).

Les faits susceptibles de justifier une telle exclusion s’apprécient sur une période limitée à 3 ans, dont le point de départ est la date d’une condamnation pénale non définitive.

Dans cette affaire, il était reproché au candidat exclu le fait que son associé majoritaire a été condamné pour des faits qui peuvent être regardés comme une tentative d’influer indûment sur le processus décisionnel de l’acheteur, notamment par un jugement intervenu un an auparavant.

Invité par l’acheteur, en application des dispositions de l’article L. 2141-11 du code de la commande publique, à établir « que son professionnalisme et sa fiabilité ne pouvaient plus être remis en cause », le candidat a fait valoir que la personne reconnue coupable des faits de corruption active n’avait plus la qualité de gérant.

Toutefois, le candidat n’établit pas avoir pris des mesures afin que cette personne, qui détient toujours un pouvoir de contrôle de cette société en sa qualité d’associé majoritaire, ne puisse plus s’immiscer dans sa gestion.

L’acheteur a donc pu régulièrement estimer que les preuves apportées par ce candidat ne sont pas de nature à démontrer sa fiabilité et donc il pouvait l’exclure.

CE 16 février 2024, Département des Bouches-du-Rhône, n°488524

Voir notre article : Marché public : Les cas d’exclusion des candidats

Gravité des vices entachant un marché global de performance

Dans cette affaire, il était question de la régularité d’un marché global de performance ayant pour objet la création d’un réseau multi-services pour l’ensemble des équipements urbains et des bâtiments communaux en vue du développement durable (création d’un réseau de capteur, d’un centre d’Hypervision – Smart City).

En l’occurrence, le marché était dénoncé par le préfet des Bouches-du-Rhône qui en demandait l’annulation (recours en contestation de la validité du contrat).

Le Tribunal administratif de Marseille relève un certain nombre d’irrégularités entachant ce marché (irrégularité de la convention de mandat conclue entre une SEM et la commune, erreur manifeste d’appréciation dans l’analyse des candidatures, absence de vérification des informations fiscales et sociales de l’attributaire, insuffisance dans la définition du besoin).

Néanmoins, le tribunal a rejeté cette demande d’annulation.

Outre que le marché avait depuis lors été résilié par la commune, le tribunal relève que le contrat ne présente pas un contenu illicite et que les irrégularités en cause ne constituent pas des « manquements aux règles de la commande publique commis dans le but intentionnel de favoriser l’attributaire ou un manquement au principe d’impartialité du pouvoir adjudicateur ou tout autre vice d’une particulière gravité que le juge devrait relever d’office ».

TA Marseille, 22 février 2024, n°2203581

 Voir notre article : Marché global de performance et smart city

La régularisation d’une offre ne doit pas modifier les caractéristiques substantielles

Pour mémoire, quelle que soit la procédure de passation d’un marché public, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières, à condition que ces offres ne soient pas anormalement basses (Article R. 2152-2 du Code de la commande publique).

Précisons qu’il s’agit d’une simple faculté pour l’acheteur et non pas d’une obligation, comme le rappelle le Tribunal.

Toujours est-il que la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier les caractéristiques substantielles de l’offre.

Dans cette affaire, le candidat évincé avait omis de préciser certains frais (de déplacement) dans son offre financière, de sorte que son offre était susceptible d’être qualifiée d’anormalement basse.

En réponse à la demande de l’acheteur de régulariser son offre, le candidat a intégré ces frais, ce qui a eu pour conséquence de modifier la teneur de son offre et d’augmenter le prix global de celle-ci de plus de 22%.

Le tribunal considère alors que « cette modification substantielle apportée au prix de l’offre de la société postérieurement à la date limite de réception des offres, bien qu’induite par l’acheteur public, ne peut être regardée comme la rectification d’une erreur purement matérielle, aisément décelable par le pouvoir adjudicateur, d’une nature telle que nul n’aurait pu s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat aurait vu son offre retenue ».

L’offre de la société en cause était donc irrégulière et non régularisable.

TA Guadeloupe, 22 février 2024, n° 2400144

Réparation du préjudice à la suite du rejet irrégulier d’une offre dénaturée

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Versailles relève que l’éviction irrégulière de l’offre d’un candidat, qui avait été dénaturée par le maître d’ouvrage, ne constitue pas un vice d’une particulière gravité, de nature à entraîner l’annulation du marché qui a été conclu.

Le candidat irrégulièrement évincé a droit alors à une indemnisation au titre de ses frais de présentation de son offre (rédaction de l’offre et visite sur les lieux).

En revanche, le candidat n’est pas fondé à solliciter l’indemnisation de son manque à gagner, qui ne présente pas de caractère certain, en raison du fait que l’accord-cadre litigieux ne prévoyait aucun minimum.

CAA Versailles, 27 février 2024, n°20VE01767

Marché de maîtrise d’œuvre : une demande d’honoraires n’est pas un projet de décompte final

Une note d’honoraire adressée par le maître d’œuvre au maître d’ouvrage ne constitue pas une demande de paiement du solde sous forme d’un projet de décompte final, qui plus est lorsqu’elle est parvenue avant l’achèvement de sa mission.

En procédant au règlement de cette note, la commune ne peut être regardée comme ayant entendu procéder au règlement du solde du marché de maîtrise d’œuvre et mettre fin définitivement aux droits et obligations financiers nés de l’exécution de ce marché.

La responsabilité contractuelle du maître d’œuvre peut donc être engagée.

CAA Versailles, 28 février 2024, n°21VE00344

Laurent Bidault Avocat - Novlaw Avocats

Par Laurent Bidault, Avocat Associé chez Novlaw Avocats, spécialisé en droit public, notamment en droit des contrats publics (marché public, concession) et en droit immobilier public (aménagement, urbanisme, construction). Il a également développé une expertise particulière en matière d’innovation appliquée au secteur public (achat innovant, R&D, BIM).

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